Les appels au calme de la part de la classe politique libanaise et certains dirigeants internationaux se multipliaient jeudi face aux combats armés dans des rues de Beyrouth qui ont fait au moins six morts et une trentaine de blessés. Ces combats ont éclaté en marge d'une manifestation organisée en matinée par des militants du Hezbollah et du mouvement Amal contre le juge Tarek Bitar, en charge de l'enquête sur l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Les accrochages opposaient vraisemblablement des miliciens du Hezbollah et d'Amal à d'autres positionnés dans des quartiers chrétiens avoisinant le secteur de Tayyouné. Le rassemblement ce matin devant le palais de Justice de la capitale s'inscrit dans une politique claire de pressions et d'intimidations contre le magistrat de la part du tandem Hezbollah-Amal, ce qui fait craindre d'autres sérieux dérapages sécuritaires dans le pays.
"Sédition"
Le chef de l'Etat, Michel Aoun, a "contacté le Premier ministre Nagib Mikati et les ministres de la Défense et de l'Intérieur ainsi que le commandant en chef de l'armée et a suivi les développements sécuritaires à la lumière des combats qui ont éclaté à Tayyouné et dans sa banlieue, et ce afin de traiter la situation en vue de rétablir le calme dans la région".
Pour sa part, M. Mikati a appelé "au calme et à ne pas se laisser aller à la sédition, sous n'importe quel prétexte". Le chef du gouvernement a également fait savoir qu'il suivait la situation avec le commandant en chef de l'armée, le général Joseph Aoun, "(...) en vue d'arrêter tous les instigateurs des combats à Tayyouné". M. Mikati est également entré en contact avec le chef du Parlement, Nabih Berry, des miliciens du parti Amal qu'il dirige étant impliqués dans les combats. M. Mikati s'est ensuite rendu au siège du ministère de la Défense afin de suivre l'évolution de la situation avec le ministre Maurice Slim et les officiers sur place. "L'armée protège la nation, et cela n'est pas juste un slogan que nous répétons lors de célébrations", a affirmé le Premier ministre sur place. "L'armée poursuit ses mesures afin de rétablir la sécurité, poursuivre les suspects et les traduire en justice," a-t-il ajouté.
Le ministre de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, qui a présidé jeudi une réunion du Conseil de sécurité central, a affirmé qu'il allait demander aux responsables politiques de "faire le nécessaire pour contrôler la situation". "La paix civile n'est pas un jeu. Il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour la préserver", a lancé M. Maoulaoui
"Personne ne peut imposer son avis aux autres"
A Bkerké, où il a été reçu par le patriarche maronite Béchara Raï, le député Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre et allié du Hezbollah, avec qui il est toutefois en désaccord sur le dossier de l'enquête, a critiqué la manifestation à Beyrouth. "La liberté d'expression est sacrée, et nous la respectons. Mais personne ne peut imposer son avis aux autres", a commenté l'élu de Batroun, dans une pique à peine voilée au tandem chiite, dont son allié le Hezbollah.
Dans un communiqué publié en soirée, le Courant patriotique libre (CPL) de Gebran Bassil a dénoncé les événements sanglants de la journée à Tayyouné, en stigmatisant tout autant le comportement du Hezbollah que celui des Forces libanaises, mais sans les nommer. Le CPL a notamment reproché au parti de Hassan Nasrallah de manifester "dans la rue et par le biais d’intimidation médiatique" son opposition à la procédure engagée par le juge d’instruction Tarek Bitar. "Personne ne peut s’arroger le droit d’interdire par n’importe quel moyen la liberté d’expression, notamment par la violence ou encore d’imposer par la force son opinion aux autres", a dit le CPL qui visait ainsi les deux partis. "Ce qui s’est passé aujourd’hui est une agression armée contre des gens qui voulaient exprimer leur point de vue, même si nous ne sommes pas d’accord avec celui-ci", a poursuivi le CPL qui a appelé les autorités compétentes à identifier les coupables et à les déférer sans tarder devant la justice. "Ces gens préparaient une discorde qui a été étouffée dans l’œuf grâce à ceux qui ont fait preuve de retenue et ceux qui se sont empressés de trouver des règlements politiques et sécuritaires" aux incidents de la journée.
Pour sa part, l'ancien Premier ministre, Saad Hariri, a dénoncé "les scènes de tirs et de déploiement armé qui rappellent des épisodes de la guerre civile", estimant que cela est "inacceptable et condamnable". M. Hariri a plaidé en faveur du dialogue pour résoudre les problèmes et mis en garde contre la discorde. Il a également appelé l'armée libanaise et les forces de sécurité à prendre les mesures nécessaires pour arrêter les personnes armées, protéger les citoyens et les biens publics et préserver la paix civile.
Quant au Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt, il a mis en garde contre le "risque de tomber dans l'interdit", en allusion à un conflit civil. "Il est très dangereux de voir le retour de scènes qui rappellent les Libanais une époque révolue", a estimé la formation. "Les apparences armées et les coups de feu sont rejetés, d'où qu'ils proviennent", a affirmé le PSP, en tentant de ne pas prendre position avec ou contre un camp politique. Le leader druze Walid Joumblatt a condamné les tirs de snipers contre les manifestants, appelant à une "enquête transparente", dans une interview accordée en soirée au quotidien arabophone Annahar.
Le chef du Parti national libéral, Camille Chamoun, a pour sa part affirmé qu'il n'y a "plus de retour aux guerres dévastatrices" de 1975-1990, un conflit auquel sa formation avait pris part à travers sa milice.
L'ex-ministre et député de Beyrouth Michel Pharaon, connu pour ses positions hostiles au Hezbollah, a affirmé que "le message a été reçu", en allusion à l'étalage de force du tandem chiite. "Ce message dit que +même si votre combat est juste, lorsqu'il touche à des membres de nos groupes ou ceux qui nous ont soutenu, il n'y a plus de lois ni de règles. Nous sommes au-dessus des lois et nous les protégerons jusqu'au bout, même si cela requiert un nouveau 7 Mai+", a critiqué M. Pharaon, en mettant ces propos implicitement dans la bouche du Hezbollah et de ses alliés. Il faisait référence aux combats de rue qui avaient éclaté le 7 mai 2008 lorsque des miliciens du parti chiite et de ses alliés avaient occupé des quartiers de Beyrouth afin de s'opposer à des appels visant à mettre un terme au réseau de télécoms parallèle que gère la formation dans le pays.
Le mufti de la République, le cheikh Abdel Latif Deriane, plus haute autorité sunnite du pays, a appelé l'armée et les forces de sécurité à "maîtriser la situation et à mettre un terme aux combats à Tayyouné". "Nous condamnons et rejetons ce dont est témoin Beyrouth", a ajouté le dignitaire, avant d'appeler le gouvernement à tenir une réunion urgente. Le Conseil supérieur chiite a, lui, "condamné le ciblage de civils pacifiques lors d'une embuscade". Il a réclamé que "les sanctions les plus sévères soient infligées" aux responsables de ces tirs, sans les mentionner.
Le Parti social national syrien (PSNS) a lui aussi "condamné avec force les tirs contre les manifestants pacifiques à Tayyouné". "Cet acte criminel et de sédition n'a pas seulement visé les manifestants, il a visé la sécurité et la stabilité du Liban", a estimé la formation proche du Hezbollah et du régime Assad en Syrie. "Un tel acte criminel a été prémédité", a tranché le parti, sans nommer ceux qu'il vise par ses accusations.
"Indépendance de la justice"
Sur le plan international, la France a appelé à "l'apaisement" et réitéré la nécessité pour la justice libanaise de "pouvoir travailler de manière indépendante et impartiale. "La France marque sa vive préoccupation au regard des récentes entraves au bon déroulement de l'enquête relative à l'explosion survenue dans le port de Beyrouth le 4 août 2020, et des violences survenues dans ce contexte. Elle appelle chacun à l'apaisement", a déclaré la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères.
Les Etats-Unis ont appelé de leur côté à une "désescalade des tensions" au Liban. "Nous nous joignons aux autorités libanaises dans leur appel au calme, leurs appels à la désescalade des tensions", a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price devant la presse à Washington. "Nous nous opposons à toute intimidation et menace de violence contre la justice de tout pays, et nous soutenons l'indépendance de la justice au Liban", a-t-il ajouté, s'adressant notamment au Hezbollah qui avait organisé cette manifestation. Il a toutefois refusé de dire qui les Etats-Unis jugeaient responsables des violences. "L'avenir de la démocratie au Liban dépend de la capacité de ses citoyens à affronter les sujets difficiles en ayant confiance dans l'Etat de droit", a estimé Ned Price.
Le secrétaire général d l'ONU, Antonio Guterres, a lui aussi appelé toutes les parties concernées au Liban de mettre fin à la violence ainsi qu'aux actes et discours provocateurs", dans une critique au Hezbollah qui s'était lancé dans un discours lundi dernier dans une violente diatribe contre le juge Bitar, l'accusant de "politiser" l’enquête et appelant à son remplacement.
De son côté, la coordinatrice spéciale des Nations unies au Liban, Joanna Wronecka, a exprimé son inquiétude et a elle aussi appelé au calme. "Je suis inquiète des incidents violents qui ont lieu aujourd'hui à Beyrouth. Il est important de faire preuve d'un maximum de retenue, de s'assurer que le calme est rétabli et que les citoyens sont protégés", a-t-elle écrit sur Twitter.
L'ambassade du Koweït au Liban a pour sa part appelé ses ressortissants à quitter le territoire libanais et ceux qui désirent se rendre à Beyrouth à la prudence.
commentaires (18)
Le Hezb est un État dans l'État. Fait-il partition ou cherche t-il à achever sa conquête totale du pays ? Avec l'appuie naturel du Parti Syrien, au secours du Parti Iranien : le Hezbétranger.
Nicolas ZAHAR
01 h 29, le 15 octobre 2021