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Canevas pour que l’élan populaire soit une alternative à la structure confessionnelle

Canevas pour que l’élan populaire soit une alternative à la structure confessionnelle

L’élan populaire, bien au-delà des revendications économiques et politiques, a exprimé un ras-le-bol vis-à-vis du confessionnalisme politique. Photo Nabil Ismaïl

« L’homme est pleinement homme dans le citoyen. » (Marcel Gauchet)

Les mouvements populaires spontanés depuis 2015 se caractérisent par l’intermittence et l’absence de programmes politiques. Cependant, ils instaurent de nouvelles donnes devenant progressivement incontournables sur la scène politique si nous considérons les résultats récents des élections étudiantes et syndicales. Il n’est donc pas étonnant de constater la crainte ostensiblement exprimée par certains milieux politiques confessionnels et traditionnels à l’égard de ce fait nouveau survenu à l’aube des élections parlementaires. Ainsi, ils cherchent ouvertement à intégrer dans leurs listes électorales respectives ce qu’ils considèrent comme représentants de la société civile.

L’esprit animant cet élan populaire est nouveau, mais il peut et doit maintenant se concrétiser afin de devenir le véritable fondement d’une nouvelle construction nationale et étatique. Faire aboutir concrètement cette nouveauté, à un moment charnière où se vit l’approche des élections parlementaires, représente un immense défi. D’une part, les différentes étapes par lesquelles doit obligatoirement passer ce renouvellement ne sont pas clairement identifiées. D’autre part, la diversité des revendications soulevées par les mouvements populaires, allant de la justice sociale, la lutte contre la corruption, le refus du confessionnalisme, l’échec de la classe politique… jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement ou la tenue des élections parlementaires, voire présidentielle, anticipées, sont brandies, d’une manière ou d’une autre, par les partis confessionnels et traditionnels depuis la nuit des temps. Cet élan populaire risque donc de s’effilocher et de se perdre dans de beaux slogans pour finir par s’éclipser devant un discours confessionnel incendiaire.

Le défi se précise ainsi : comment exprimer d’une façon claire ce qui constitue l’essence même de cet élan pour le réaliser concrètement, sachant que l’ultime objectif qu’il véhicule est un État démocratique non confessionnel ? Or, il se trouve que le chemin aboutissant à cet État souhaité est le système confessionnel lui-même. C’est dans la résolution de ce défi que réside précisément l’enjeu d’un changement potentiel. En d’autres termes, l’élan populaire est pris entre deux écueils. Le premier : se satisfaire de beaux slogans criés par tous les acteurs politiques confessionnels et traditionnels qui s’entendent sur les mots, mais dont l’action concrète va régulièrement contredire l’objectif de ce qui a été dit. Le second écueil est le système confessionnel lui-même qui s’impose comme un fait accompli constitutif de la culture confessionnelle du pays. Il résulte qu’un changement du système politique par voie révolutionnaire est difficile, voire impossible.

Pourtant, il n’y a pas là de cercle vicieux. L’élan populaire, bien au-delà des revendications économiques et politiques, a exprimé un ras-le-bol vis-à-vis du confessionnalisme politique, et là se trouve la preuve qu’une attitude positive et favorable à dépasser le système confessionnel est née. Au-delà de la conviction que ce système ne produira que misères et désespoir pour les Libanais, une aspiration nouvelle et constitutive de cet esprit voit le jour : celle d’être un citoyen émancipé de toute tutelle.

Le politologue néerlandais Arend Lijphart a démontré que la possibilité du dépassement du système confessionnel par le biais de ce système lui-même est possible. Il décrit un système démocratique se basant sur l’associatif et le consensus. Les caractéristiques de ce système facilitent la recherche d’un terrain d’entente ou de compromis dans la société entre ses différentes composantes qui, à terme, deviennent moins nécessaires, voire obsolètes. La bonne application du « consociationalisme » aboutit à la démocratie majoritaire fondée sur le citoyen et non plus sur le groupe. En d’autres termes, grâce à la vision nationale et la recherche du bien commun chez les dirigeants, les éléments composant la société peuvent d’une part dépasser leurs conflits réciproques pour devenir des citoyens ayant un même sentiment d’appartenance à l’État et à la nation, et d’autre part se soumettre au système politique garantissant l’égalité et les droits de l’homme. C’est un premier point que les représentants de l’élan populaire peuvent développer en s’appuyant de plus en plus sur la naissance du citoyen libanais.

Mais ce dernier point a besoin lui-aussi d’être éclairé. Il s’agit du passage de la culture de la confession à la culture de la liberté individuelle, ce qui est la pierre angulaire de l’État moderne. Avant d’être rejoints par les partis politiques traditionnels, les mouvements populaires au Liban se caractérisaient par la participation d’hommes et de femmes à titre individuel. En effet, de nombreux Libanais ont commencé à réaliser leur capacité à décider par eux-mêmes indépendamment de leur allégeance confessionnelle. Alors que la culture confessionnelle avec l’atmosphère qu’elle génère occulte la volonté du Libanais de vouloir, de choisir, d’accepter ou de rejeter, en faisant de lui un simple moyen destiné à servir ce qui est imposé comme intérêt confessionnel, la culture de la liberté individuelle, en revanche, pousse à accroître la conscience personnelle de la dignité, de la liberté et de la singularité de l’individu, et donc la capacité de prendre des décisions par soi-même.

La transformation dans les rapports sociaux et politiques qui s’opère doit être mise en exergue et être développée par les mêmes représentants de l’élan populaire. Cette transformation lente mais évidente de la structure confessionnelle se résume ainsi : d’un système hiérarchique ayant à la tête ceux qui se considèrent comme les garanties et les représentants incontournables de leur confession, et en bas les « sujets » qui sont plutôt « chosifiés » – c’est-à-dire qui sont devenus des choses dont on peut disposer –, on passe à une relation horizontale qui seule peut poser les fondements de l’égalité devant la loi et la croissance d’un sentiment d’appartenance à l’État et à la nation.

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« L’homme est pleinement homme dans le citoyen. » (Marcel Gauchet)Les mouvements populaires spontanés depuis 2015 se caractérisent par l’intermittence et l’absence de programmes politiques. Cependant, ils instaurent de nouvelles donnes devenant progressivement incontournables sur la scène politique si nous considérons les résultats récents des élections...

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