
Des avocats qui se rendent aux urnes lors d’une élection passée de quatre membres du conseil de l’ordre. Photo d’archives OLJ
Les diverses coalitions du mouvement de contestation du 17 octobre n’ont pas réussi à présenter un candidat de consensus pour l’élection, le 21 novembre prochain, d’un bâtonnier de Beyrouth qui succéderait à Melhem Khalaf. Pendant ces derniers mois, ces groupements avaient pourtant convergé leurs efforts pour se présenter à l’échéance électorale en rangs serrés, mais les tentatives ont finalement capoté mardi sur fond d’un refus de l’aile gauche de la thaoura de s’allier au parti Kataëb, qui se réclame pourtant de l’opposition. À l’occasion du scrutin qui prévoit en outre l’élection de 9 membres du conseil de l’ordre des avocats, ces coalitions avaient fait le projet de présenter un programme commun qu’aurait exécuté, en cas de réussite, leur candidat, en étroite collaboration avec ceux qu’elles auraient également soutenus pour accéder aux sièges à pourvoir. Mais les fortes tensions produites par un ressentiment persistant de l’aile gauche contre « un parti de la classe politique, du passé et de la guerre », comme est décrite la formation de Samy Gemayel dans ces milieux, ont fini par avoir le dessus et diviser les forces de l’opposition.
Avant que les tentatives d’entente ne basculent, Me Karim Daher était pressenti pour être le candidat consensuel des composantes de la thaoura. Percevant l’impasse, il a jeté l’éponge mardi, trois jours seulement après avoir déposé sa candidature vendredi dernier. Connu pour son profond engagement dans le mouvement de contestation, l’éminent fiscaliste confie à L’Orient-Le Jour qu’il s’est retiré parce qu’il avait décidé de ne pas se lancer dans la course si l’opposition « ne se regroupe pas dans sa globalité ».
Me Daher, qui a représenté le barreau au Parlement en participant à l’élaboration de lois financières, fait partie de plusieurs commissions au sein de l’ordre, notamment celle pour la protection des droits des déposants. « J’aurais voulu être le porteur d’un projet professionnel et national émanant de toute l’opposition réunie, regrette-t-il. Une telle union aurait été une alternative crédible qui aurait fourni un bel exemple pour les prochaines échéances électorales dans le pays. »
Aussitôt que l’information sur la division de la thaoura a été ébruitée, nombre d’avocats l’ont déplorée, estimant que « l’opposition a diminué ses chances de mener dans une bonne gouvernance une bataille existentielle contre la caste politique ». Mais d’autres soutiennent au contraire qu’« une diversité de tendances et de candidats est un signe de bonne santé et de démocratie ».
Neuf candidats
Après le retrait de Karim Daher, neuf candidats briguent désormais le poste de bâtonnier. Pour y prétendre, ils doivent d’abord être élus membres du conseil et font ainsi partie des 41 candidats convoitant 9 sièges de membre sur les 12 que comporte le conseil. S’il se déroule à la date prévue pour la succession de Melhem Khalaf, élu à la tête de l’ordre en novembre 2019 pour un mandat de deux ans, le rendez-vous électoral se tient toutefois après que le scrutin consacré à l’élection de 4 membres eut été reporté l’an dernier, en raison des mesures prises contre la propagation de la pandémie du Covid-19.
Outre les 4 membres dont le mandat était arrivé à échéance en 2020 sans avoir été remplacés, quatre autres voient le leur expirer cette année, selon le principe du renouvellement du conseil par tiers. S’ajoute à eux un 9e candidat, Nader Gaspard, qui a préféré ne pas poursuivre son mandat expirant en 2022, pour participer à l’instar de ses concurrents au 1er tour avant de s’engager le cas échéant dans le second tour consacré au poste de bâtonnier.
Les candidats à la tête de l’ordre sont par ordre alphabétique Fadi Barakat, Michel Eid, Tanios Eid, Nader Gaspard, Ramzi Haykal, Moussa Khoury, Abdo Lahoud, Wajih Massaad et Alexandre Najjar.
Les supputations liées à l’appui de tel ou tel candidat par telles ou telles forces sont d’ores et déjà lancées. Des observateurs expliquent que la thaoura est pratiquement formée de trois composantes. L’aile gauche comprend Mouwatinoun wa Mouwatinat, Beyrouth Madinati, Marsad, Li Hakki… Au centre, l’Appel du 13 avril formé de 16 groupes dont le Bloc national, Mentechrine et Tahalof Watani, et à droite le « Front de l’opposition », qui allie les Kataëb à nombre de formations, dont Khatt Ahmar, Taqaddom, Ammiyat 17 Techrine.
Parmi les candidats au bâtonnat, Ramzi Haykal et Moussa Khoury sont décrits dans les milieux des avocats comme ceux qui représentent le plus l’opposition. Indépendant, M. Haykal n’est affilié à aucune formation de la thaoura. Quant à M. Khoury, il a cofondé il y a 4 ans Mouwatinoun wa Mouwatinat avec l’ancien ministre Charbel Nahas, avant de suspendre récemment son affiliation à ce mouvement pour, déclare-t-il à L’OLJ, « laisser la politique à l’écart du conseil de l’ordre ».
Sans jamais avoir été membres du conseil de l’ordre, MM. Haykal et Khoury participent à son travail, collaborant notamment avec le bâtonnier Khalaf, figure de proue de l’opposition. L’un et l’autre font partie des membres du bureau de plaintes mis en place par le conseil de l’ordre pour la défense des victimes de la double explosion survenue au port de Beyrouth le 4 août 2020.
L’ordre d’abord
Tous les candidats parient sur les voix des électeurs indépendants, mais comptent aussi sur celles de partisans, tous bords confondus. Les relations au sein de l’ordre sont ainsi faites que les considérations professionnelles et les sympathies personnelles dépassent souvent les considérations politiques. Affilié au Courant patriotique libre (CPL), Fadi Barakat assure à L’OLJ entretenir de très bons rapports avec des avocats de diverses régions, confessions et tendances politiques, soulignant que son appartenance à l’ordre des avocats prime sur toute autre, notamment partisane. M. Barakat affirme en outre qu’il n’est pas le candidat de son parti et se lance dans la course en sa qualité personnelle.
Chacun des concurrents brandit son indépendance. Tel Abdo Lahoud, à qui beaucoup de ses confrères veulent apposer l’étiquette des Forces libanaises (FL). « Je suis indépendant et j’entretiens de bonnes relations avec tout le monde », se défend-il. « Je suis l’avocat de la municipalité de Bcharré, mais ce n’est pas pour autant que je suis affilié aux FL », affirme-t-il, assurant que le parti de Samir Geagea n’a présenté aucun candidat au scrutin du 21 novembre. Des observateurs indiquent dans ce sillage que les partis traditionnels n’entendent pas pour le moment s’immiscer dans l’échéance électorale, d’autant qu’ils avaient subi un sérieux revers lors des élections de 2019.
En dépit de ce constat, certains avocats décrivent Alexandre Najjar comme étant le candidat du parti Kataëb. M. Najjar réfute cette attribution et clame également son indépendance. « Je n’adhère à aucun parti, mais il est normal que des partisans des Kataëb ou de toute autre formation politique qui m’apprécient veuillent voter pour moi », déclare-t-il. Affirmant que « les avocats partisans représentent près de la moitié des votants », M. Najjar note qu’« en l’absence de candidat attitré pour le poste de bâtonnier, chaque parti va appuyer celui qui paraît le meilleur à ses yeux ». « J’ai des soutiens partout et je suis ouvert à tous mes confrères sans exception ni complexe », ajoute-t-il, s’attendant également à attirer de nombreux électeurs proches de la thaoura, vu sa détermination à vouloir « changer les choses dans la sombre période que traverse le pays ».
Sans avoir jamais fait partie du conseil de l’ordre, M. Najjar a toutefois été président et membre de plusieurs commissions au sein de l’ordre, notamment la commission de la francophonie.
Parmi les candidats indépendants, Nader Gaspard est celui qui peut beaucoup compter sur les relations personnelles qu’il a tissées tout au long de son engagement au sein du conseil de l’ordre, qu’il a intégré pour la première fois en 2006. Il jouit par là d’une large expérience des questions touchant au barreau. Commissaire du Palais de justice auprès du gouvernement, il avait brigué à plusieurs reprises le poste de bâtonnier, dont la dernière fois en 2019 lorsqu’il avait perdu la bataille face à Melhem Khalaf.
Les dés sont en somme jetés mais la partie est loin encore d’être jouée. D’ici au 21 novembre, beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts.
Les diverses coalitions du mouvement de contestation du 17 octobre n’ont pas réussi à présenter un candidat de consensus pour l’élection, le 21 novembre prochain, d’un bâtonnier de Beyrouth qui succéderait à Melhem Khalaf. Pendant ces derniers mois, ces groupements avaient pourtant convergé leurs efforts pour se présenter à l’échéance électorale en rangs serrés, mais les...
commentaires (5)
Quelle honte!!
Wlek Sanferlou
21 h 17, le 07 octobre 2021