Le premier Conseil des ministres (après le vote de confiance) pour le gouvernement de Nagib Mikati, tenu mercredi à Baabda, sous la présidence du chef de l’État, Michel Aoun, a accouché d’un message clair adressé au Premier ministre : le président Aoun veut avoir son mot à dire dans tous les dossiers, notamment les négociations avec le Fonds monétaire international. C’est ce qui explique le forcing mené par Baabda pour inclure deux conseillers du président dans la délégation chargée des pourparlers avec l’institution de Bretton Woods. Selon des informations qui ont fuité ces derniers jours dans la presse, il s’agit de Charbel Cordahi, qui avait déjà pris part, en tant que conseiller du président de la République, aux négociations menées avec le FMI sous le gouvernement de Hassane Diab, et de Rafic Haddad, présenté comme responsable financier au sein du Courant patriotique libre.
Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, les noms de ces deux conseillers ont été dans un premier temps greffés à la délégation officielle, contrairement à la volonté du Premier ministre. Ce dernier voulait que les négociateurs libanais soient des ministres auxquels se joindrait le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, incontournable dans ce genre de négociations. Mais le président aurait exercé des pressions pour que ses deux représentants soient incorporés à la délégation, rapporte notre chroniqueur politique.
Signe de la détermination de M. Aoun d’imposer sa volonté à l’équipe Mikati, le ministre de l’Information Georges Cordahi, qui s’exprimait à l’issue du Conseil des ministres de mercredi, a déclaré que la délégation libanaise, dirigée par le vice-président du Conseil, Saadé Chami, un vétéran du FMI, incluait les ministres des Finances, Youssef Khalil, de l’Économie, Amine Salam, ainsi que le gouverneur de la BDL et « deux experts représentant la présidence de la République ». Il a, en outre, précisé que les experts en question « n’ont pas encore été (officiellement) nommés ». La décision actant l’entrée en fonctions officielle de la nouvelle équipe de négociateurs a été annoncée hier, par le biais d’un communiqué publié par le bureau de presse du chef du gouvernement. Mais ce texte a été marqué par un léger pas en arrière que le pouvoir en place aurait effectué. Le communiqué détaille évidemment la composition de la délégation libanaise, citant nommément le vice-président du Conseil et les ministres des Finances et de l’Économie, ainsi que le gouverneur de la BDL. Il ne fait toutefois pas mention des deux experts représentant Baabda, tout en précisant que la délégation « fera appel à des ministres et des experts en fonction des sujets et des dossiers examinés durant le processus de négociations ».
Comment expliquer cette modification apportée à la position officielle ? Un proche de Nagib Mikati, contacté par L’Orient-Le Jour, assure que ce sont surtout des raisons de forme, dans la mesure où « l’on ne peut pas donner à des conseillers le même niveau de décision que des ministres ».
Pour sa part, Baabda présente une autre explication : « Les conseillers en question sont chargés d’aider les ministres membres de la délégation à élaborer le plan sur la base duquel les pourparlers avec le FMI doivent être menés », explique à L’OLJ un proche de la présidence, laissant ainsi entendre que les conseillers n’ont pas de rôle décisionnel, mais auxiliaire au sein de l’équipe libanaise.
Les rapports de force politiques
La décision de Michel Aoun d’inclure des personnes qui lui sont proches dans l’équipe chargée des tractations avec le FMI demeure toutefois éminemment politique. Il s’agit pour le président de défendre ce qu’il estime relever de ses prérogatives face à une équipe dont aucun membre ne lui est acquis. Outre le gouverneur de la banque centrale, devenu persona non grata pour le chef de l’État et son camp, le ministre des Finances Youssef Khalil occupait le poste de directeur du département des opérations financières à la BDL, et a été nommé par Nabih Berry, contrairement à la volonté de Michel Aoun. Ce dernier y voyait une sérieuse entrave à l’audit juricomptable au sein de la banque centrale et du reste des administrations et établissements publics, cheval de bataille de la présidence qui dit lutter contre la corruption et mener la bataille des réformes. Mais Michel Aoun a fini par céder à la pression du président de la Chambre, Nabih Berry, avec qui ses rapports ne sont pas au beau fixe.
Quant au ministre de l’Économie, Amine Salam, sa nomination était le fruit d’un consensus entre le président de la République et le Premier ministre. Pendant plusieurs semaines, la naissance du cabinet butait sur l’attribution du ministère de l’Économie, du fait de son rôle important dans… les négociations avec le FMI. Nagib Mikati a longtemps insisté pour avoir son mot à dire sur ce plan, dans la mesure où il serait ainsi représenté lors des tractations avec l’institution financière.
Cela fait dire à un proche de Baabda, comme à plusieurs sources proches du dossier, que « le président n’est pas représenté » dans la délégation officielle. « Il est tout à fait normal qu’il inclue des conseillers à la délégation, parce que les ministres et personnalités concernés ne gravitent pas dans son orbite », souligne le proche de Baabda. De même, un expert qui a requis l’anonymat note que la décision du président pourrait permettre d’élargir l’éventail des idées et dossiers discutés. « Et cela est une bonne chose », dit-il, rappelant qu’aucun texte de loi n’impose un profil bien déterminé aux négociateurs.
Quoi qu’il en soit, la présence de représentants de Michel Aoun dans les rangs de la délégation suscite des interrogations autour d’une probable crise de confiance entre MM. Aoun et Mikati. Une question à laquelle personne ne répond, du moins à ce stade, pour ne pas mettre des bâtons dans les roues de l’équipe ministérielle que la communauté internationale attend au tournant sur plusieurs dossiers, dont les pourparlers avec le FMI. Autre question à laquelle le déroulement des négociations pourrait répondre : la présidence se fera-t-elle l’écho de son allié de longue date, le Hezbollah, qui depuis février 2020 s’était opposé à un éventuel recours au FMI pour redresser le pays ?
En attendant le début du premier round de négociations et dans la même logique, le chef de l’État a demandé hier au cabinet international Lazard (dont il a reçu une délégation à Baabda) de poursuivre sa mission en amendant son plan de redressement qu’il avait préparé pour le compte du gouvernement Diab au printemps 2020, afin d’aider le Liban à sortir de sa grave crise économique et engager des négociations avec le FMI.
commentaires (15)
Un PM français , socialiste, a créé la notion de "responsable mais pas coupable". Les PM libanais ont créé la notion " ni responsable ni coupable, mais solidaire". C'est celui qui commande qui est responsable. Depuis Taef, c'est le PM qui commande. On ne peut pas continuer comme par le passé. Et aujourd'hui le Président a raison de se mêler de tout. Il faut seulement espérer que ceux qui travaillent pour le Président sont plus respectables que .....
NASSER Jamil
00 h 17, le 02 octobre 2021