
Le militant Alaa Abdel Fattah à son domicile au Caire, le 17 mai 2019, peu après sa libération en mars 2019, et avant son incarcération de septembre. Khaled Desouki/AFP
Blogueur, icône révolutionnaire et prisonnier politique. C’est peut-être parce qu’il incarne à lui seul les promesses et les désillusions du printemps égyptien que Alaa Abdel Fattah est devenu au fil des années un symbole. Une figure tragique, certes, mais représentative d’une génération qui a vibré au rythme des slogans de la « midan » avant de déchanter à l’été 2013 lorsque la reprise autoritaire du pays par Abdel Fattah al-Sissi referme la parenthèse démocratique ouverte en janvier 2011.
Aujourd’hui en prison en continu et sans jugement depuis près de deux ans, le militant a fait savoir lundi, via son avocat Khaled Ali, qu’il était sur le point de flancher psychologiquement. La loi égyptienne fixe à deux ans maximum la durée de détention provisoire, mais le jeune homme est toujours dans l’attente d’un procès. « Je ne peux pas continuer comme ça. Sortez-moi de prison. Je vais me suicider », a lancé le détenu au juge en charge du renouvellement de sa détention qu’il a demandé à voir, alors qu’il avait été interdit d’assister à l’audience censée statuer sur son propre dossier.
De son côté, la famille de Alaa Abdel Fattah se mobilise depuis des années pour la défense des prisonniers politiques afin d’obtenir justice ou, plus sobrement, pour négocier une amélioration des conditions de détention. Échanger des lettres, recevoir des visites ou avoir accès à un psychiatre, comme le demandent aujourd’hui ses proches, font partie des combats quotidiens. « J’essaie d’utiliser l’attention médiatique passagère que nous avons actuellement, liée à la dégradation de l’état de santé de Alaa, pour faire comprendre au monde ce qu’il se passe réellement dans les zones de sécurité maximale des prisons », explique Mona Seif, l’une des deux sœurs de Alaa Abdel Fattah et la seule de la fratrie à ne pas être actuellement détenue par le régime.
Aile 2, « sécurité maximale »
Le blogueur, ainsi que tous les prisonniers politiques de Tora, sont détenus au sein de l’aile 2 de « sécurité maximale ». Inaugurée en 2015, elle est le produit d’une architecture brute pensée pour « maximiser l’espace », c’est-à-dire pour optimiser le taux d’incarcération au mètre carré. « La manière dont est gérée cette prison est un piège mortel pour l’ensemble des prisonniers », explique Mona Seif. Dans cette portion du complexe carcéral, l’arbitraire est érigé en règle. « Les prisons ordinaires disposent d’un système interne qui leur est propre. Mais ici, les règles sont différentes pour chaque prisonnier », explique Mona Seif. « Certains ont droit à des livres, d’autres à des visiteurs, d’autres n’ont rien… », poursuit la jeune femme. D’après cette dernière, les ordres ne viennent pas des autorités pénitentiaires mais directement des autorités nationales, notamment du ministère de l’Intérieur et de l’Agence de sécurité nationale, véritables maîtres du jeu. Alaa Abdel Fattah et sa famille n’en sont pourtant pas à leur première épreuve. Depuis 2006, le militant égyptien a fait plusieurs passages en prison. « Je n’ai pas eu une seule année continue dehors depuis 2011 », rappelle-t-il lundi à son avocat. En novembre 2013, quelques mois seulement après le coup d’État militaire ayant porté au pouvoir Abdel Fattah al-Sissi, il est de nouveau arrêté, puis condamné à une peine de cinq ans pour avoir participé à une manifestation contestant de nouvelles dispositions constitutionnelles menaçant de soumettre les civils à la justice militaire. Il est relâché au terme de sa peine, en mars 2019.
Mais le répit est de courte durée, puisque le militant est de nouveau arrêté en septembre 2019, jusqu’à aujourd’hui. Motifs ? « Appartenance à une organisation illégale » et « diffusion de fausses informations ». « Lorsqu’il est arrêté le 28 septembre 2019 au poste de police de Dokki, au Caire, il est emmené à l’Agence de sécurité d’État, puis directement à la prison de Tora. À son arrivée, ils l’ont déshabillé, lui ont mis un bandeau sur les yeux. Il a ensuite marché pieds nus, de la voiture jusqu’à l’intérieur de la prison, dans un corridor rempli de personnes qui le tabassaient et le rouaient de coups », raconte Mona Seif. « Dès le début, ça n’a été qu’abus et torture », poursuit-elle.
60 000 prisonniers politiques
Tout dans les moyens employés sont en réalité caractéristiques de la méthode Sissi qui a commencé à se mettre en place progressivement à partir des années 2015-2016. Les charges « sécuritaires » retenues contre Alaa Abdel Fattah, par exemple, font partie des mobiles courants invoqués dans le cadre de la loi antiterroriste, modifiée en avril 2019 afin d’élargir les motifs d’incarcération. L’arrestation du blogueur, en septembre 2019, intervient également dans le cadre d’un mouvement répressif plus large s’abattant sur les opposants politiques, au lendemain d’une vague de contestation nationale lancée sur Twitter par Mohammad Ali, un homme d’affaires égyptien en exil. Parmi les quelques milliers de personnes arrêtées à ce moment, au moins deux jeunes hommes ont commis des tentatives de suicide en 2021.Les organisations de défense des droits de l’homme estiment aujourd’hui à près de 60 000 le nombre de prisonniers politiques dans cette « république de la peur ».
En début de semaine, le président égyptien avait lancé sa « stratégie nationale » pour les droits de l’homme, avant d’annoncer mercredi l’inauguration de nouveaux complexes carcéraux. Alors que Joe Biden avait initialement promis de durcir sa ligne face au régime, l’annonce hier du département d’État américain semble envoyer un tout autre message, en ne conditionnant que 10 % de l’aide totale octroyée chaque année à l’armée égyptienne à des avancées dans le domaine des droits de l’homme.
« Tout cela arrive au moment où Alaa annonce ne plus pouvoir tenir. A-t-il conscience de l’ironie du timing ? Je ne sais pas, il ne reçoit plus nos lettres, qui sont ses seules nouvelles de l’extérieur », confie Mona Seif.
Blogueur, icône révolutionnaire et prisonnier politique. C’est peut-être parce qu’il incarne à lui seul les promesses et les désillusions du printemps égyptien que Alaa Abdel Fattah est devenu au fil des années un symbole. Une figure tragique, certes, mais représentative d’une génération qui a vibré au rythme des slogans de la « midan » avant de déchanter à...
commentaires (2)
la reprise autoritaire du pays par Abdel Fattah al-Sissi referme la parenthèse démocratique ouverte en janvier 2011. qu'est-ce que bien vivre?
Amamalyon
15 h 01, le 17 septembre 2021