Célébrer la « paix négociée » ; encourager une « région plus prospère » ; promouvoir un effort commun pour « bâtir des ponts ». L’administration américaine célébrera vendredi en vidéoconférence le premier anniversaire des « Accords d’Abraham » en compagnie de représentants israéliens, des Émirats arabes unis (EAU), de Bahreïn et du Maroc. Un an après, le bilan semble laisse peu de place au suspense : l’opération marketing a pris. À Washington comme ailleurs, rien n’est parvenu à entacher la mission que s’étaient attribuée Israël et ses nouveaux alliés arabes, au premier rang desquels Abou Dhabi. Ni les réticences de l’opinion publique arabe, ni le changement d’administration à la Maison-Blanche, ni même la séquence de mai dernier à Cheikh Jarrah et Gaza, qui a remis la question palestinienne au cœur des préoccupations régionales. « Il s’agit d’un accord très solide, voulu par les deux parties de manière ferme et que des soubresauts régionaux ou de possibles violences à Jérusalem ne pourraient enrayer », résume Hussein Ibish, chercheur à l’Arab Gulf States Institute.
Le pari était pourtant loin d’être gagné, le 15 septembre 2020, lorsque les protagonistes se réunissent à la Maison-Blanche pour présenter, en grande pompe et face aux caméras du monde, un « plan de paix » qui semblait promettre de solutionner les maux de la région. Le président américain, Donald Trump, ainsi que ses hôtes, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le ministre des Affaires étrangères émirati, Abdallah ben Zayed al-Nahyane, et son homologue bahreïni, Abdellatif ben Rashid al-Zayani, avaient alors promis la fondation d’un nouveau Moyen-Orient fait de « stabilité », de « prospérité » et de « paix ». Dans la foulée, le traité est suivi par une série d’accords bilatéraux qui confirment la mise en pratique de cette « paix » qui n’a rien à voir avec les précédentes. Les accords signés entre Israël et l’Égypte, en 1979, puis avec la Jordanie, en 1994, restent longtemps montrés du doigt par une partie de l’opinion publique interne et inachevés. Mais les nouveaux alliés arabes d’Israël, surtout les Émirats, n’ont ni la même histoire ni les mêmes obstacles intérieurs. La normalisation est « beaucoup moins problématique dans les pays du Golfe, qui n’étaient pas indépendants avant 1948 et 1967, et qui n’ont pas l’expérience traumatisante des défaites militaires qu’ont connues les pays qui ont combattu Israël », explique Hussein Ibish.
Trentaine de vols par semaine
Ces pays ont également un autre agenda, beaucoup plus pratique, qu’ils mettent en place sans tarder. C’est surtout vrai pour les EAU, avec qui est conclue dans la foulée une série d’accords dans le domaine de la technologie, de la finance, du tourisme, des médias, de la recherche ou du transport aérien. En janvier dernier, quatre mois après la signature des accords, l’État hébreu annonce l’ouverture d’une ambassade à Abou Dhabi. Le mot d’ordre : « Approfondir » toujours plus les relations bilatérales.
Cette amitié naissante s’appuie sur un certain nombre d’atouts, parmi lesquels un capital sympathie qui s’est construit au cours des vingt dernières années entre deux petits pays qui partagent beaucoup, au-delà de leur alliance avec Washington : une obsession sécuritaire, un intérêt pour la cybertechnologie et une aversion pour Téhéran. Les rencontres secrètes, d’affaires ou de coopération sécuritaire, ont lieu depuis le début des années 2000, parfois par l’entremise de Amman. D’une certaine manière donc, la « paix de Washington » ne fait qu’entériner un alignement stratégique déjà en place.
Mais la véritable nouveauté est ailleurs : pour la première fois, la paix israélo-émiratie donne à voir un rapprochement entre les peuples. Outre les échanges commerciaux, les investissements et les partenariats universitaires, les citoyens semblent également de la partie. Signe de l’intérêt touristique, une trentaine de vols par semaine relient désormais les deux pays. Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux symbolise cet enthousiasme populaire : le premier mariage juif orthodoxe est célébré aux EAU début décembre. Même les avertissements du gouvernement israélien, fin novembre, aux lendemains de l’assassinat du scientifique iranien Mohsen Fakhrizadeh, n’auront pas suffi à calmer l’entrain des Israéliens qui visiteront les Émirats par dizaines de milliers lors de la fête juive de la « Hanoukka », en décembre suivant. Selon les autorités israéliennes, quelque 200 000 de leurs ressortissants se sont déjà rendus aux EAU au cours de l’année écoulée.
Plus étonnant encore, le tabou que représente la normalisation avec l’État hébreu pour de nombreux pays arabes ne semble pas poser problème aux Émiratis – outre quelques minoritaires qui ont appris à se faire discrets. Contrairement aux Égyptiens, aux Jordaniens mais aussi aux Marocains et aux Soudanais, plus réticents, les Émiratis rechignent moins à s’afficher dans les rues de Tel-Aviv, à se prendre en photo devant le Mur des lamentations, ou à participer aux évènements promotionnels de la « start-up nation » israélienne – au grand dam des Palestiniens. Ces derniers qui, de toute manière, « étaient déjà nombreux à ne plus rien attendre des Émirats », remarque Hussein Ibish.
Officiellement bien sûr, les mesures cosmétiques et les discours de façade sont toujours de rigueur. « On ne peut pas s’attendre à un consensus, les opinions varient sur la question », admet Ebtesam al-Ketbi, présidente de l’Emirates Policy Center, un institut de recherche ayant récemment conclu un accord de partenariat avec l’Institute for National Security Studies, centre de réflexion israélien. Mais « la précondition avant la signature des accords était une suspension ou un gel des plans d’annexion du gouvernement Netanyahu », poursuit cette dernière, reprenant la ligne officielle. Mais malgré les déclarations au sommet, les actes parlent plus forts que les mots. L’année qui suit la normalisation, les Émirats réduisent de manière considérable leur contribution à l’Unrwa, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens, au bord de l’effondrement depuis que les États-Unis ont cessé de financer l’organisation. Trois mois après l’accord de paix, le cheikh Hamad ben Khalifa al-Nahyane, membre de la famille royale émiratie, rachète 50 % des parts d’un club de football israélien, le Beitar Jérusalem, connu pour les propos racistes et anti-arabes de ses supporters. Seule ligne rouge jusqu’à présent dans cette lune de miel : les relations militaires, qui relèvent certes « d’aspirations réciproques », pourraient également représenter un sujet « particulièrement controversé pour les Émiratis », souligne Hussein Ibish.
Pendant ce temps, au Liban il y a encore des idiots qui pronent la liberation de la Palestine.
15 h 22, le 17 septembre 2021