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Société - Reportage

Au Liban, les cafés comme dernier refuge pour les salariés en mal d'électricité

La crise du carburant a entraîné l’afflux de travailleurs dans les quelques établissements où les clients peuvent profiter de l’accès à la Wi-Fi et de l’électricité pour charger leurs appareils électroniques.

Au Liban, les cafés comme dernier refuge pour les salariés en mal d'électricité

Des clients travaillent dans le noir dans un des cafés de Beyrouth. Photo João Sousa

Les clients se serrent sur un long banc en cuir et partagent les petites tables rondes où s’entassent leurs ordinateurs portables, dans l’un des cafés de Mar Mikhaël, rythmé par la musique de fond, les conversations au téléphone et le ronronnement des machines à café. Si le télétravail est devenu monnaie courante, il se transforme au Liban en symbole du délitement du pays dans un contexte où Électricité du Liban et les propriétaires de générateurs privés rationnent drastiquement le courant.

Ceux qui ont encore un emploi arpentent les quelques cafés ouverts pour espérer trouver une place libre et débuter leur journée de travail. « Il y a une ambiance de coworking ici », lance Fahed, un entrepreneur posé au fond du café. Dans toutes les villes du pays, c’est la même chorégraphie. À Tripoli, les travailleurs connaissent par cœur les horaires de coupure d’électricité de chaque café et les choisissent en fonction. « Sarah et Karim » est leur premier stop. À l’angle d’une ruelle dans le quartier Maarad, ce café, aux murs hauts en couleur et à l’entrée ornée de verdure, offre une échappatoire. Ahmad, un architecte d’intérieur salarié dans une entreprise à Dubaï, arrive tous les jours à neuf heures tapantes pour réserver sa table. Il commence par sa réunion matinale quotidienne puis s’attelle à ses tâches du jour, tout en profitant d’une tasse de café sucré. Près de lui, Rami* est directeur marketing d’une entreprise à Beyrouth. Le groupe pour lequel il travaille ne peut plus se procurer du mazout et leurs salariés se retrouvent forcés d’arpenter la ville à longueur de journée pour grappiller quelques heures d’électricité. À 16 heures, l’établissement « Sarah et Karim » plonge dans le noir, coupure de courant oblige. Aussitôt, les salariés remballent leurs affaires et se dirigent vers le Pain d’or du coin, situé à quelques encablures.

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À Beyrouth, même scénario avec quelques rebondissements en plus. Aux alentours de 13 heures, à Mar Mikhaël, les clients se lèvent d’un coup. Les cliquetis de clavier s’interrompent soudainement. En face du café d’une franchise internationale, une dispute éclate entre les employés d’une station-service et un des automobilistes. Les conducteurs, las d’attendre sous une chaleur de plomb, se déchaînent à coup de klaxons. « C’est vraiment le bordel. Je n’ai pas peur, mais il y a une petite voix dans ma tête qui me dit que quelqu’un peut tirer à tout moment », lance Lara*, 25 ans, qui lâche pendant un instant le clavier de son ordinateur, avant de s’y remettre, comme si de rien n’était.

Le bruit du générateur et les perceuses des ouvriers, qui reconstruisent ce quartier ravagé par la double explosion du 4 août, se fondent dans l’ambiance. Cinq jours par semaine, Lara doit trouver un taxi et débourse 100 000 livres libanaises pour effectuer l’aller-retour de chez elle à son lieu de travail. « Quand je peux, je viens ici à cause des coupures de courant », raconte-t-elle. Avec la crise des déchets qui pointe le bout de son nez, les mouches ont également envahi les terrasses. Près de l’établissement, les poubelles et détritus jonchent le sol, attendant d’être ramassés. À Sassine, certains cafés ont leurs lumières éteintes. Les clients travaillent dans le noir mais profitent de la Wi-Fi.

Aaliya’s Books a fermé ses portes à cause de l'augmentation des prix du mazout. Photo João Sousa

Une bouée de sauvetage

Un nouveau mode de travail qui n’est pas sans conséquences. « Les clients viennent, restent plus longtemps, mais consomment moins, c’est évidemment une perte financière », explique Aref Saadé, trésorier du syndicat des propriétaires de restaurants, pubs et cafés.

Face à la détresse collective, certains restaurateurs ont décidé de faire preuve de solidarité. La propriétaire de Mayrig, Aline Kamakian, a décidé d’ouvrir les portes de son restaurant à Gemmayzé à toute personne ayant besoin d’internet et d’électricité. « Les gens qui viennent chez moi sont ruinés et à bout, je ne m’attends pas à ce qu’ils consomment. Je me satisfais de leur sourire », confie-t-elle. Selon elle, seules 10 % des personnes présentes passent commande dans son restaurant. « Je suis obligée d’avoir du courant, j’ai des produits que je dois conserver, ce n’est pas un coût en plus. Au moins, je lance une bouée de sauvetage », explique-t-elle. Niamh Fleming-Farrell, copropriétaire de Aaliya’s Books dans la rue Gouraud, raconte avoir voulu continuer à accueillir des clients jusqu’au dernier moment avant d’être contrainte de fermer temporairement les portes de son café. Sa facture de fuel est passée d’environ 3 millions de livres en mai à 55 millions trois mois plus tard. « Nous avons pu gérer les autres problèmes, mais celui-ci a enfoncé le clou », soupire-t-elle.

Une dame travaille dans un des cafés de Beyrouth. Photo João Sousa

À Saïda, deux cafés ouverts ne demandent aucune consommation en retour. C’est là que Farouk, un architecte d’intérieur en free-lance âgé de 27 ans, se rend tous les matins. « Ça a un coût : celui de l’essence et de la consommation. Je fais du covoiturage avec un ami pour atténuer les dépenses », poursuit-il. Premier de sa promotion à l’Université libanaise, le temps passe et Farouk se sent coincé par des problèmes qui relèvent du grotesque : trouver une station ouverte et faire la queue pour l’essence, chercher un endroit pour travailler, le tout en s’organisant selon les coupures d’électricité. « Je n’ai jamais voulu quitter le pays, mais je me sens enterré six pieds sous terre. » Un quotidien de contraintes qui affecte directement sa productivité. « Je fais le strict minimum », dit-il en imaginant quitter un jour le pays, qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Mais en attendant, ceux qui restent s’accrochent, tant bien que mal. « On va s’en sortir et on verra la lumière au bout du tunnel », dit Aline Kamakian avec espoir, consciente que le chemin est encore long.

*Les prénoms ont été changés.

Les clients se serrent sur un long banc en cuir et partagent les petites tables rondes où s’entassent leurs ordinateurs portables, dans l’un des cafés de Mar Mikhaël, rythmé par la musique de fond, les conversations au téléphone et le ronronnement des machines à café. Si le télétravail est devenu monnaie courante, il se transforme au Liban en symbole du délitement du pays dans un...

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