Une fois de plus, c’est à un ancien-nouveau bras de fer entre le chef de l’État Michel Aoun et le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé qu’assistent effarés les citoyens. Le président, qui s’était juré que les subventions ne seraient pas levées sous son mandat – une décision extrêmement impopulaire, alors que le pays croule sous une crise sans précédent – a fini par se plier au fait accompli. Non sans avoir auparavant tenté sans succès, par de nombreux moyens, de mobiliser le gouvernement sortant et le Parlement en faveur de sa cause.
Hier, et au lendemain d’une réunion au palais présidentiel de Baabda, à l’issue de laquelle un accord avait été trouvé pour l’affaire des subventions sur les carburants, les nouveaux prix de ces produits – majorés de 70 % selon les nouveaux tarifs officiels – ont été annoncés par la direction du pétrole rattachée au ministère de l’Énergie. Il s’agit d’une solution médiane et surtout provisoire qui reste loin de proposer un règlement durable à la crise des carburants et à laquelle Michel Aoun a dû adhérer à son corps défendant.Soutenu par son camp politique, notamment le Courant patriotique libre (CPL), le président s’était efforcé de se dérober à la paternité de cette mesure, laissant entendre qu’il avait été contraint de la prendre. Coincé par le temps, la grogne populaire et les mouvements de rue devenus de moins en moins contrôlables, le chef de l’État ne pouvait entre-temps que se livrer à un jeu dont il maîtrise désormais parfaitement les rouages : faire porter le blâme à ses adversaires, en l’occurrence au gouverneur Riad Salamé et à tous ceux qui le soutiennent, notamment une majorité parlementaire qui n’a pas tenu compte vendredi de la lettre qu’il avait adressée à la Chambre pour obtenir qu’elle débatte de la décision du gouverneur de la BDL, en espérant sa condamnation.
Au terme d’une séance d’une heure et demie marquée par des échanges d’accusations entre les différentes parties, la Chambre avait renvoyé la balle indirectement dans le camp de Baabda en se prononçant en faveur de la formation rapide d’un gouvernement, de l’accélération de la mise en place de la carte d’approvisionnement pour les plus nécessiteux et de la libération du marché de l’emprise des accapareurs. Tout ce que Michel Aoun ne voulait pas entendre. À l’exception du Hezbollah, la majorité des groupes parlementaires avaient soutenu la décision du gouverneur, sous la baguette du chef d’orchestre Nabih Berry, qui venait ainsi de remporter une nouvelle manche dans la bataille contre son adversaire de tout temps, Michel Aoun.
Avant de s’adresser au Parlement, le chef de l’État avait aussi tenté le 13 août de forcer la main au gouvernement sortant, en sollicitant le Premier ministre Hassane Diab pour qu’il réunisse à titre exceptionnel le gouvernement pour, éventuellement, contrer la décision de M. Salamé.
« L’expédition des affaires courantes au sens étroit du terme n’empêche absolument pas le cabinet de se réunir en cas de circonstances extrêmement urgentes », avait justifié le président de la République. Un forcing auquel M. Diab s’était opposé, ne voulant plus être de la partie, encore moins arbitrer ce bras de fer alors que le pays s’effondre. Le Premier ministre sortant martèle en effet depuis sa démission son refus de convoquer le Conseil des ministres, estimant qu’en période de gestion des affaires courantes, cela serait contraire à la Constitution.
Fort du soutien de plusieurs groupes parlementaires, le gouverneur de la Banque du Liban avait d’ailleurs juré qu’il ne reviendra pas sur une décision qu’il avait pris le temps de mûrir. Riad Salamé avait en effet prévenu, de manière quasi régulière depuis près de six mois, que les fonds allaient bientôt s’assécher et que, surtout, il ne pouvait plus subventionner une matière qui sert à nourrir la contrebande vers la Syrie et l’emprise des sociétés qui accaparent les carburants.
« En vérité je vous le dis : on dirait qu’il y a un plan d’obstruction prêt pour contrer toute proposition, idée ou projet (que le président suggère), comme s’il était voulu que perdurent la souffrance des Libanais et leur humiliation dans les files devant les stations d’essence », a affirmé samedi Michel Aoun, après la réunion tenue plus tôt au palais de Baabda pour discuter de la crise des carburants. Il a indiqué à ce propos n’avoir lésiné sur aucun moyen pour trouver une solution à la crise.
Renverser le président
Après la séance parlementaire houleuse de vendredi, le chef du CPL Gebran Bassil avait clairement accusé ses adversaires politiques de tout faire dans l’objectif « de renverser le président de la République » et de « porter un coup » à sa formation politique, et dans une étape ultérieure à « la Résistance ». Il a estimé que la décision de M. Salamé s’inscrit dans le cadre « du projet extérieur d’imposer un blocus économique au Liban », dans une allusion aux États-Unis. Un clin d’œil au Hezbollah qui l’a soutenu dans sa tirade contre la décision du gouverneur. C’était pour Gebran Bassil une façon de contre-attaquer, face à une majorité parlementaire qui venait de pointer du doigt la principale cause à l’aggravation de la crise au Liban : l’absence prolongée d’un gouvernement. Après la mise en minorité des aounistes vendredi à la Chambre, le chef de l’État sait désormais qu’il n’a plus le loisir de jouer serré et que sa marge de manœuvre au niveau de la mise en place d’une nouvelle équipe ministérielle est devenue limitée. C’est ce qui explique entre autres la suspension des pourparlers directs avec le Premier ministre désigné Nagib Mikati au sujet de la composition du cabinet. La valse des noms entre Baabda et la résidence du Premier ministre désigné s’était poursuivie par le truchement du directeur général de la présidence de la République, Antoine Choucair. Certains analystes croient toutefois que même après ce second camouflet politique qu’il vient d’encaisser, Michel Aoun ne va pas pour autant s’avouer vaincu et cherchera plutôt à afficher encore plus de fermeté et d’exigences dans ses tractations avec Nagib Mikati. Son message à la nation de samedi et le discours la veille de Gebran Bassil seraient ainsi la première manche d’une nouvelle bataille dans laquelle le chef de l’État s’apprêterait à s’engager pour s’assurer que son groupe politique ne sera pas mis en minorité dans la nouvelle équipe ministérielle.
Pour l’heure, les blocages demeurent quasiment les mêmes bien que dans les milieux de Baabda aussi bien que dans ceux proches de M. Mikati, on préfère laisser une marge d’espoir. Selon des sources proches du Premier ministre désigné, l’attribution de plusieurs portefeuilles a déjà été résolue. Il reste toutefois quelques embûches qui seraient en voie de règlement, « tant que des deux côtés, on y met de la volonté », dit-on.
Il reste deux types de problèmes à résoudre : le premier porte sur les noms proposés pour les deux portefeuilles litigieux de la Justice et de l’Énergie. On apprenait ainsi qu’à la Justice, c’est une personnalité que le bras droit du président Salim Jreissati voudrait imposer, et pour l’Énergie, une autre alignée sur le chef du CPL, un peu comme le furent les anciens ministres, César Abou Khalil ou son successeur Nada Boustany, que Gebran Bassil souhaite placer.
L’autre handicap serait la question de savoir dans quelle mesure les noms dits indépendants le sont effectivement.
Selon les milieux du Premier ministre désigné, il y a des noms suggérés à des portefeuilles non régaliens et considérés indépendants, mais dont « l’allégeance » est difficilement vérifiable. Un euphémisme qui renvoie au nœud gordien de la désignation des deux ministres chrétiens : qui les nommera ? Nagib Mikati ou Michel Aoun ? comme le relève notre chroniqueur politique Mounir Rabih. Il convient de rappeler en passant que c’est le même problème qui avait contribué à pousser Saad Hariri vers la sortie.
commentaires (13)
Il y eut un temps où "Lorient lejour"se moquait de la censure faite par la sûreté générale libanaise,ne voilà t il pas que madame Anastasie et les ciseaux d'Anastasie sont appliqués par ce même journal! Mais qui êtes vous pour décider de me censurer? Alors pour commenter ....
Nassar Jamal
07 h 47, le 25 août 2021