Suite à l’annonce par la Banque du Liban (BDL), il y a près de 2 semaines, de la levée des subventions sur les importations de carburant, c’est finalement par une nouvelle demi-mesure temporaire que les responsables politiques et économiques tentent à nouveau de gagner un peu de temps. Résultat : l’abolition brutale des subventions sur le carburant, qui ferait exploser les prix à la pompe, a été repoussée de quelques semaines, alors que les queues devant les stations-service ne cessent de s’allonger.
Cet accord a été trouvé à l’issue d’une réunion qui s’est déroulée samedi après-midi au palais présidentiel de Baabda, dédiée à la crise du carburant. Le chef de l’État Michel Aoun, le Premier ministre sortant Hassane Diab, le ministre sortant des Finances Ghazi Wazni et le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé étaient présents à cette réunion. Le ministre sortant de l’Énergie et de l’Eau Raymond Ghajar y a, lui, participé par visioconférence.
Taux de 8 000 livres le dollar
Première décision annoncée, les prix officiels seront désormais calculés au taux de change de 8 000 livres libanaises pour un dollar, contre un taux de 3 900 LL auparavant. Mais à l’inverse des précédents mécanismes où c’était la BDL qui vendait des dollars aux importateurs à des taux inférieurs (1 507,5 LL et par la suite 3 900 LL) tout en supportant les pertes, cette fois c’est l’État qui en sera responsable. Ce mécanisme de subvention avait déjà été mis à jour une première fois en juin, pour permettre aux importateurs d’obtenir des dollars fournis par la BDL au taux de 3 900 livres afin de financer 100 % de leurs factures. Avant cette modification, les importateurs pouvaient, selon un premier mécanisme adopté en octobre 2019, échanger 85 % des montants requis au taux officiel de 1 507,5 livres, le reste de la facture devant être assuré par les importateurs au taux du marché parallèle.
Pour cela, la BDL assurera une enveloppe maximale de 225 millions de dollars afin de « couvrir une subvention urgente et exceptionnelle aux carburants (essence, mazout et gaz domestique), aux prestataires de services et à l’entretien des centrale électriques », indique le communiqué publié à l’issue de la réunion. Les pertes subies suite au différentiel entre les taux de la plateforme Sayrafa (12 000 livres pour un dollar selon une source à la BDL) et celui de 8 000 livres seront remboursées par l’État sur le budget de... 2022, note ce communiqué. Cette enveloppe devrait contribuer à maintenir un prix subventionné pour le carburant jusqu’à fin septembre, alors que la carte d’approvisionnement, un système d’aide directe prévu à plus de 500 000 familles les plus pauvres, devrait être mise en place début octobre, selon les délais cités ces derniers jours par plusieurs responsables politique.
Mais en attendant son application, Bassam Tleiss, président de la Fédération des syndicats des transporteurs routiers, a averti hier que le tarif minimum du taxi-service « atteindra 16 000 ou 20 000 livres libanaises au vu des nouveaux prix, si le gouvernement ne respecte pas les promesses qu’il nous avait faites ». Car outre le fait d’inclure les transporteurs routiers parmi les personnes qui bénéficieront de cette carte d’approvisionnement, ils avaient aussi reçu des promesses, mi-juillet, concernant l’obtention d’une aide de 500 000 livres par mois pour chacun d’entre eux pour l’entretien de leurs véhicules et la possibilité d’obtenir des quantités limitées de carburant à prix réduits (40 000 livres pour les 20 litres d’essence et 30 000 livres pour les 20 litres de mazout). En contrepartie, ils s’étaient engagés à ne pas augmenter leurs tarifs, fixés à 6 000 livres pour les taxis-services et à 3 000 livres pour les bus. « Des tarifs qui deviennent ridicules, si l’on s’en tenait seulement aux nouveaux prix des 20 litres d’essence, sans tenir compte des éventuelles difficultés à s’en approvisionner », a indiqué M. Tleiss à L’Orient-Le Jour.
En effet, le dimanche matin, la direction du pétrole, rattachée au ministère de l’Énergie et chargée de publier les prix de revente des carburants, et comme convenu lors de la réunion du samedi, a fortement revu à la hausse les prix. Selon le nouveau barème officiel, le prix des 20 litres d’essence à 95 octane passe de 77 500 à 129 000 livres libanaises, celui à 98 octane (quasi introuvable au Liban) a été fixé à 133 200 livres le bidon, alors que le prix du mazout s’établit à 101 500 livres, contre 58 500 auparavant. La bonbonne de gaz est quant à elle vendue à 90 400 livres contre 58 800 auparavant. Elle a toutefois sommé les compagnies pétrolières, les stations-service et les distributeurs de vendre leurs stocks selon les prix du barème du 11 août, et en vigueur depuis, jusqu’à épuisement des quantités précédemment importées. Une consigne qui risque de ne pas être appliquée, au vu du peu de contrôle exercé par les pouvoirs publics sur ce marché.
C’est précisément dans le but de s’assurer que les quantités précédemment importées ne soient pas stockées « pour réaliser des profits illégitimes » qu’il a aussi été décidé lors de la réunion à Baabda de coordonner l’action entre les différents ministères et les différentes directions et les institutions judiciaires, sécuritaires et militaires.
En revanche, aucun délai concernant une mise en œuvre effective n’a été avancé. Le représentant des distributeurs de carburant, Fadi Abou Chacra, a indiqué hier que les nouveaux barèmes seront appliqués à partir de lundi, tout en précisant qu’il serait « faux de dire que les sociétés possèdent désormais du fuel, car nous attendons encore le déchargement prochain d’un navire contenant 120 000 tonnes d’essence ». De son côté, une source proche des importateurs a estimé être « toujours dans le flou », vu le manque de directives claires de la part des autorités. « Il se peut que la tarification entre en vigueur à partir de mercredi », a-t-elle confié.
Des aides aux fonctionnaires
Troisième décision à avoir été annoncée : l’augmentation de l’indemnité de transport accordée aux fonctionnaires à 24 000 livres libanaises par jour ouvrable au lieu des 8 000 livres en vigueur depuis fin 2008. Ce point avait déjà fait l’objet d’une note envoyée le 13 juillet par le ministre sortant des Finances Ghazi Wazni à la présidence du Conseil, qui devait être approuvée par le Premier ministre sortant Hassane Diab avant d’être actée. Pratiquement, cela augmentera les indemnités mensuelles de transport de 176 000 à 528 000 livres libanaises par mois, sur base de 22 jours de travail par mois.
Dans un souci d’équité, une délégation de la Confédération générale des travailleurs libanais (CGTL) avait pris contact, il y a plus d’un mois, avec la ministre sortante du Travail Lamia Yammine, afin de « coordonner » l’inclusion des employés du privé dans une éventuelle décision de l’augmentation des indemnités de transport. En effet, pour que celle-ci comprenne le secteur privé, c’est le ministère du Travail qui devra modifier la tarification actuelle en émettant un nouveau décret.
Enfin, la quatrième décision prise il y a deux jours consiste en l’octroi d’une aide sociale d’urgence équivalente à un mois de salaire, payable en deux versements, à tous les employés de l’administration publique, quel que soit leur titre (salariés, contractuels...). Le montant total nécessaire pour cette aide avait été estimé à 600 milliards de livres par le ministre Wazni dans un projet de décret en ce sens présenté le 11 août à la présidence du Conseil des ministres, dans lequel il demandait le déblocage d’une « avance exceptionnelle » du Trésor. Encore une fois, tout comme les pertes encourues suite à l’adoption du nouveau mécanisme de subvention des carburants, ce montant sera remboursé à partir du budget de l’exercice 2022, avait précisé le ministre sortant à l’époque, alors que le budget de 2021 n’a, lui, toujours pas été adopté. L’avant-projet du budget, rappelle-t-on, avait été présenté au Conseil des ministres par le ministère des Finances avec près de quatre mois de retard et avec des chiffres qui déjà ne reflétaient en rien la situation réelle du pays.
commentaires (4)
Et l’Etat continue, à l’approche d’une année électorale, à dépenser l’argent qu’il n’a pas. Cette folle spirale doit s’arrêter en mettant en place un double tarif: un subventionné et un libre qui permet de subventionner l’autre. En France, nous payons des taxes élevées à l’Etat à chaque plein. Ici, c’est l’Etat qui nous paie pour acheter de l’essence. Arrêtons ces politiques suicidaires.
Marionet
12 h 11, le 23 août 2021