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Jeu de société

Nous ne sommes pas morts, mais ce qui ne nous tue pas nous affaiblit durablement. À voir l’onde de tristesse qui traverse aujourd’hui le Liban, du Nord au Sud et d’Est en Ouest, les traits tirés d’une population qui dort mal ou pas du tout, accablée de chaleur et de soucis vitaux, rongée par l’angoisse du lendemain, hantée par les pleurs d’enfants qui n’ont pas demandé à naître et que l’on couche à l’extérieur le ventre vide, qu’au moins un souffle de vent, même mauvais, compense les crampes de la faim, on ne peut que constater les ravages de la pire gouvernance que puisse connaître une nation. Comme dans un film d’horreur bon marché où se multiplient les épreuves invraisemblables, les Libanais semblent prisonniers entre deux murs qui se rapprochent lentement pour les écraser, ou attachés à des bombes à retardement dont le compteur n’affiche plus que des secondes, ou serrés dans une pièce sans issue où monte l’eau qui va bientôt les noyer ; tandis que leurs bourreaux jouent aux dés leur tunique. À chaque fois qu’un Premier ministre désigné franchit le seuil de Baabda pour reprendre à zéro les fameuses négociations autour de la formation du gouvernement, on l’imagine avec son protagoniste avançant tels des pions les portefeuilles à attribuer : « – Tu me donnes les Finances, je te cède l’Intérieur.

– Ah, non, si tu prends l’Intérieur, je veux contrôler les élections. – Soit. Je prends les Télécoms, tu prends l’Intérieur. – Ah, mais si tu prends les Télécoms, il me faudra l’Énergie. – Soit. Tu prends les Télécoms, je prends l’Énergie. – Mais si tu prends les Affaires étrangères, ..., etc. »

Depuis plusieurs mois que dure ce sympathique jeu de société pimenté par les répartitions communautaires, les interventions étrangères et les diverses convoitises et ambitions personnelles, le Liban se défait, maille après maille, et il est désormais certain que quand le président aura quitté son siège mité et que le Premier ministre aura finalement réussi à trouver la combinaison magique de quelque gouvernement, ils ne reverront pas, une fois sortis du palais, le même pays qu’ils ont laissé derrière la porte.

Les jeunes qui ont réussi cette année à obtenir un diplôme supérieur l’ont échappé belle. Ils font partie de la dernière génération qui aura bénéficié de l’excellence académique dont ce pays tirait sa fierté. Parce qu’à ces enfants-là, nous avons décidé de donner le meilleur de la vie. Parce que nous les avons soutenus parfois au-delà de nos moyens pour leur permettre de se consacrer à leurs études et ne songer qu’à l’avenir. Nous avons voulu pour eux la facilité dont nous avons été privés, nous autres, génération de la guerre, et à travers eux, nous avons rêvé d’un Liban réconcilié, pacifié, animé de débats intelligents, ouvert à tous les faits de culture, immunisé contre la barbarie. Hélas, ce n’est pas au Liban que profiteront leur formation et leurs talents.

En cette veille de rentrée scolaire, événement qui donnait habituellement prétexte, dans les centres commerciaux comme dans les petits commerces, à un gargantuesque étalage de « fournitures », c’est à peine si l’on trouve quelques imitations de stylos Bic sur un présentoir orphelin. On n’osera même pas évoquer les prix rédhibitoires des livres. Les enseignants, sous-payés, jettent l’éponge.

À supposer qu’un jour, au hasard d’une conjugaison favorable des astres, ce pays commence à se rétablir, le chantier que nous aurons sur les bras sera bien plus vaste que celui laissé par la guerre ou la double explosion du 4 août. C’est l’humain qu’il nous faudra restaurer de fond en comble, sa confiance en soi et en l’avenir, sa dignité, son enthousiasme, son énergie, sa propension à l’amabilité, à la solidarité, son niveau intellectuel, sa créativité… Tout cela aura été détruit sans coup férir par une poignée de monstres irresponsables qui trouvent encore de malheureux ébahis pour croire en leur auréole de sauveurs. Pardon, mais s’ils étaient capables de la moindre action constructive, cela se serait su. À mesure que durera cette impasse, de nouvelles rancunes vont s’ajouter aux anciennes, et le cercle maléfique ne sera jamais rompu. Que ceux d’entre nous qui n’ont aujourd’hui ni faim, ni chaud, ni soif, ni sommeil commencent, en plus d’aider les plus vulnérables, à réfléchir sérieusement à une stratégie en vue d’une relève politique. Le Liban ne se redressera jamais tant qu’il restera fagoté avec les oripeaux de son mauvais passé.

Nous ne sommes pas morts, mais ce qui ne nous tue pas nous affaiblit durablement. À voir l’onde de tristesse qui traverse aujourd’hui le Liban, du Nord au Sud et d’Est en Ouest, les traits tirés d’une population qui dort mal ou pas du tout, accablée de chaleur et de soucis vitaux, rongée par l’angoisse du lendemain, hantée par les pleurs d’enfants qui n’ont pas demandé à...

commentaires (5)

Relevons-nous et marchons contre cette pseudo République. Et pensons nos (ir) responsables politiques haut et court. En sommes nous capables, seulement ?

EZZEDINE Hussein

10 h 02, le 22 août 2021

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Commentaires (5)

  • Relevons-nous et marchons contre cette pseudo République. Et pensons nos (ir) responsables politiques haut et court. En sommes nous capables, seulement ?

    EZZEDINE Hussein

    10 h 02, le 22 août 2021

  • Entre ces deux murs qui se rapprochent.... je suis claustrophobe.

    Hitti arlette

    14 h 01, le 19 août 2021

  • Entre ces deux murs qui se rapprochent.... je suis claustrophobe.

    Hitti arlette

    14 h 01, le 19 août 2021

  • Lire cet article bien senti ,mais plus lugubre qu'un faire-part, est plus angoissant que la situation dans laquelle nous pataugeons . Âmes sensibles s 'asbtenir

    Hitti arlette

    13 h 56, le 19 août 2021

  • le seul signe positif est que pour la 1ere fois les Libanais de toutes confessions ont enfin realise- QUE KELLON toutes confessions et partis confondus qu'ils sont associes aux memes malheurs provoques par les memes tyrans. Il reste un petit pas a faire, se revolter TOUS du meme pas, un 17 Oct VRAIMENT unifie MAIS avec ce qui lui avait aussi manque: la violence oui, la violence qui sera facile a appliquer la et a ceux qu'il faut. faut quand meme un element majeur qui manque, un Robespierre qui aura 2 fonctions, l'instigateur de cette neo revolution,ET celui qui saura en limiter la violence.

    Gaby SIOUFI

    09 h 33, le 19 août 2021

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