
Depuis le début de la semaine, de longues files d'attente s'étirent de nouveau devant les stations-service. Photo Marc Fayad
Annoncée par certains médias dès lundi, la levée des mécanismes de subventions sur les importations de carburant a été confirmée hier soir en deux temps. Dans un premier temps, à travers une déclaration attribuée au gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé. Déclaration tenue lors d’une réunion du Conseil supérieur de défense organisée dans l’après-midi. Puis, en milieu de soirée, l'information a été confirmée dans un bref communiqué du service de presse de la BDL.
Hausse douloureuse
Dans ce dernier, la BDL confirme qu’à partir de jeudi 12 août, elle échangera ses devises aux importateurs selon le mécanisme précédent, mais selon le « taux du marché ». Elle n’a toutefois pas précisé s’il s’agissait de celui du marché parallèle (environ 20 000 livres pour un dollar ces derniers jours) ou celui de Sayrafa (17 400 livres/USD). Cette dernière est une plateforme qu’elle a lancée il y a un peu plus d’un an, officiellement pour tenter de limiter l’influence du marché noir sur le taux dollar/livre et qui a intégré les établissements bancaires depuis le printemps dernier.
En juin dernier, la perspective d'une levée des subventions sur le carburant se profilait déjà avec la conclusion d’un accord qualifié alors d'« exceptionnel » entre l’exécutif et la BDL, autorisant cette dernière à financer pendant encore trois mois le mécanisme de subventions. Une source interrogée par L'OLJ à l'époque avait évoqué une échéance en réalité fixée à fin août, sans toutefois étayer son propos.
Ni le service de presse de la BDL, ni le syndicat des propriétaires de stations-services, qui relayent habituellement tôt dans la matinée les tarifs de trois catégories de carburants (essence, mazout et gaz), n’ont répondu à nos appels visant à déterminer si ceux-ci allaient évoluer dès jeudi et dans quelles proportions. Une levée de facto des subventions devrait en effet faire exploser les prix des carburants.
S’il est vrai que la BDL doit ménager le niveaux de ses réserves de devises dans lesquelles elle puise pour financer les subventions, la hausse risque en tout cas de se révéler très douloureuse pour de nombreux ménages dans la mesure où les prix des carburants étaient jusqu'à présent calculés en tenant compte principalement de l’effet mitigeant des mécanismes de subventions sur les prix en livres des carburants.
Selon le mécanisme mis à jour en juin, les importateurs pouvaient en effet échanger leurs livres contre des dollars fournis par la BDL au taux de 3900 livres (le même que celui prévu pour les retraits de devises bloquées par les restrictions bancaires autorisés par la circulaire n° 151 de la BDL) afin de financer 100 % de leurs factures. Un mécanisme déjà rationalisé par rapport au précédent qui permettait d’échanger 85 % des montants requis au taux officiel de 1 507,5 livres – et qui avait contribué à faire bondir les prix d’environ 40 % en deux temps. Deux mois après cette première révision du processus de subvention, les prix ont tous globalement augmenté. Selon les nouveaux tarifs mis à jour pas plus tard que mercredi, le prix du bidon d'essence à 95 octane était passé à 77 500 livres (+1 900 livres en une semaine) contre 79 700 livres pour celui de 98 octane (+2 000 livres). Les 20 litres de mazout, un carburant consommé par les propriétaires de générateurs se vendent dorénavant à 58 500 livres (+1400 livres). Le prix de la bonbonne de gaz a également augmenté pour atteindre 58 800 livres (+2 000 livres).
Une multiplication des prix par 5?
Si la BDL, mais aussi une majorité de distributeurs de carburant, ont toujours martelé que la levée des subventions constituait le meilleur moyen de freiner la contrebande à destination de la Syrie ainsi que les comportement délictueux de commerçants qui ont stocké du produit en attendant ce moment, les conséquences de la décision de la BDL devraient être lourdes. Si on considère que les nouveaux tarifs seront calculés en fonction du taux du marché parallèle, les prix pourraient ainsi être multipliés par au moins 5, à commencer par ceux imposés par les générateurs privés qui fournissent du courant pendant les heures de coupure imposées par Électricité du Liban, dont la BDL semble bloquer les avances du Trésor destinées à financer le fuel consommé par ses centrales. Le fait que les tarifs d’électricité soient figés depuis le début des années 1990, ainsi que la dépréciation de la livre, ont drastiquement limité les capacités de l’établissement public à s’autofinancer.
La hausse de la facture énergétique qui attend les Libanais devrait en outre se répercuter de manière tout aussi brutale sur les prix en livres de nombreux produits et denrées, dans un contexte où l’inflation affiche déjà un taux à trois chiffres (plus de 100 % selon les dernières estimations de l’administration centrale de la statistique). Ces perspectives donnent d’ailleurs un tout autre éclairage à la décision annoncée mercredi par le ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni (Amal) de présenter à la présidence du Conseil des ministres un projet de décret demandant le déblocage d’une « avance exceptionnelle » du Trésor d’un montant de 600 milliards de livres libanaises pour payer un mois de salaire aux employés de la fonction publique, en activité ou à la retraite.
Après la mise en œuvre de cette décision, les Libanais pourraient peut-être savoir si la pénurie annoncée de mazout sous le couvert de laquelle de nombreux propriétaires de générateurs ont arrêté de fournir du courant est réelle, ou si elle servait simplement à faire passer plus facilement la levée de subventions qui vient d’être annoncée. Autre certitude, beaucoup de Libanais devront désormais échanger les dollars qu’ils ont réussi à extraire d’un secteur bancaire ébranlé qui limite l'accès aux dépôts en devises depuis l’automne 2019 - ou qu’ils encaissent depuis l’étranger - afin de pouvoir régler leurs dépenses.
Les autres, la classe moyenne décimée et les plus précaires, ne pourront compter que sur la carte d’approvisionnement que l’exécutif vient de finaliser sur le papier. Une carte dont la mise en œuvre effective ne semble toutefois pas pour demain.
C’était sans doute la nouvelle qui angoissait la plupart des Libanais, notamment les automobilistes, très nombreux, depuis le début de la semaine, à faire la queue devant les stations-service dans un contexte de crise économique et financière profonde, marqué par une dépréciation brutale de la livre et des pénuries en série.Annoncée par certains médias dès lundi, la levée des...
commentaires (5)
Tant que personne n’ose toucher à Riad Salame , il continue à faire la pluie et le beau temps au Liban. Malheureusement il les détient tous.
Elias
19 h 31, le 12 août 2021