Le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, a affirmé jeudi, à l'issue de sa cinquième réunion avec le président libanais, Michel Aoun, qu'il n'avait jusqu'à présent aucune raison d'abandonner sa mission de formation d'un nouveau cabinet, assurant qu'aucun des protagonistes ne "s'obstine" à vouloir obtenir un portefeuille plutôt qu'un autre et faisant état de "lentes avancées".
Dans ses déclarations après un peu plus d'une demi heure d'entretien avec le président au palais de Baabda, M. Mikati semblait plus optimiste qu'à l'issue de sa réunion de lundi avec le chef de l'Etat et n'a plus rejeté d'emblée certains aspects des tractations, comme la rotation des portefeuilles régaliens (Affaires étrangères, Finances, Intérieur, et Défense) entre les différentes communautés. "Selon la Constitution, aucun ministère n'est lié à une confession spécifique", a-t-il souligné. Lundi, le député de Tripoli avait affirmé d'emblée que ce principe, réclamé par Baabda, n'était pas sur la table et qu'il préférait une mouture similaire à la composition du cabinet sortant.
"La réunion d'aujourd'hui était particulièrement importante après ce qu'il s'est passé hier", a déclaré M. Mikati, en référence aux dizaines de milliers de personnes qui sont descendues dans les rues de Beyrouth pour la première commémoration des explosions au port de Beyrouth. "Il faut prendre en considération les appels des sinistrés du 4 août qui se sentent laissés à leur sort en l'absence d'un Etat capable", a-t-il dit. Et de poursuivre : "Il faut aussi prendre en considération les déclarations faites hier lors de la conférence internationale de donateurs à laquelle j'ai participé. Vous avez entendu les participants tous nous dire : formez un gouvernement et nous serons à vos côtés". Lors de la troisième "Conférence internationale de soutien à la population libanaise", la communauté internationale avait en effet sommé les dirigeants libanais d'agir pour extirper le pays de la pire crise économique de son histoire. "Aucune aide ne sera jamais suffisante si les responsables politiques du Liban ne s'engagent pas à faire le dur mais nécessaire travail de réformer l'économie et combattre la corruption", avait averti le président américain, Joe Biden. Son homologue français Emmanuel Macron, qui présidait la visioconférence, avait fustigé des "dysfonctionnements injustifiables" de la classe politique libanaise. "Le Liban mérite définitivement mieux (…) que de vivre de la solidarité internationale et cela dépend de vous. (…) La première priorité reste la formation d’un gouvernement chargé d’engager la mise en œuvre des réformes les plus urgentes au service de la population", avait-il ajouté.
Nagib Mikati a expliqué que c'est à partir de là qu'il a entamé sa réunion aujourd'hui avec M. Aoun, lui soulignant la nécessité de former rapidement un cabinet sinon nous "commettrions un grand péché". "Il faut être optimistes, nous sommes obligés de l'être", a encore déclaré le Premier ministre désigné, soulignant que la réunion d'aujourd'hui avait permis des "avancées" dans les discussions, même si elle restaient "lentes". Et d'annoncer une nouvelle réunion demain avec le président.
Le principal point d'achoppement des tractations entre entre MM. Aoun et Mikati s’articule autour du ministère de l’Intérieur (actuellement aux mains des sunnites) au sujet duquel le locataire de Baabda semble déterminé à avoir son mot à dire. Michel Aoun croit ainsi pouvoir faire d’une pierre deux coups : d’une part, il veut inclure dans son lot le ministère qui sera chargé d’organiser les législatives de mai 2022, et d’autre part, il veut retirer au tandem chiite, notamment le président de la Chambre, le ministère des Finances. Une lecture que les milieux de Baabda ne partagent pas, naturellement. Citée par notre correspondante Hoda Chédid, une source proche de la présidence explique que l’appel à la mise en application de la rotation vise surtout à garantir l’égalité entre les communautés religieuses libanaises en matière d’accès aux divers portefeuilles. La source proche des cercles de la présidence insiste sur le fait que la position du chef de l’État vise surtout à faire barrage aux tentatives de consacrer des coutumes politiques qui iraient à l’encontre de la Constitution. Une pique évidente à l’adresse du président de la Chambre avec qui Michel Aoun et son camp entretiennent des rapports en dents de scie.
"Personne ne défie personne. Et personne ne s'obstine à obtenir un portefeuille ou un autre", a assuré Nagib Mikati en réponse à une question, soulignant qu'aucun portefeuille n'est, selon la Constitution, réservé à une confession spécifique. "Ce que j'ai voulu dire par mes dernières déclarations (quand il avait indiqué lundi que le principe de rotation n'était pas sur la table, ndlr), c'est que nous n'avons pas de temps à perdre avec des problèmes de seconde importance. Laissons les nœuds de côté et formons un cabinet", a affirmé M. Mikati, justifiant ainsi le ton plus ferme qu'il avait utilisé lundi.
Pas de délai constitutionnel
"Constitutionnellement, il n'y a pas de délai pour que le Premier ministre désigné forme le cabinet, ajouté le Premier ministre désigné. Mais c'est en raison de mon sens de la responsabilité patriotique et face à l'urgence de former un cabinet que j'ai affirmé la dernière fois que le délai n’était pas ouvert". Et de lancer : "Je ne me limite pas dans le temps, ni dans le nombre de ministres au sein du cabinet. Mon but est de former un cabinet. Je n'ai pas accepté la désignation pour ne pas mettre sur pied une équipe". Et de préciser qu'il n'avait jusqu'à présent "aucune raison de se récuser", contrairement à des informations rapportées dans la presse après la réunion de lundi. "Si je sens que j'arrive dans un cul-de-sac et que je ne peux pas former d'équipe homogène pour relancer le pays, j'en parlerai aux Libanais, mais jusqu'à présent ce n'est pas le cas, alors pourquoi évoquer un problème qui n'existe pas", a-t-il déclaré.
Mardi, dans un discours prononcé à la veille de la première commémoration de la double explosion du 4 août 2020, le président Aoun avait affirmé qu'il travaillait "main dans la main" avec Nagib Mikati. Il avait ajouté que "conformément aux exigences de la Constitution", il allait s'efforcer de "lever tous les obstacles" se dressant face à la mise sur pied du cabinet. Dans certains milieux politiques cités par notre chroniqueur politique Mounir Rabih, on accuse le chef de l’État de ne pas vouloir du milliardaire de Tripoli à la présidence du Conseil. On estime même qu’il préférerait Fayçal Karamé, également député de Tripoli mais proche du Hezbollah.
Le Liban est sans gouvernement depuis la démission de Hassane Diab et de son équipe le 10 août 2020. Le 26 juillet, le président Aoun a chargé Nagib Mikati, 65 ans, de former un nouveau cabinet après l'échec de ses deux prédécesseurs (Moustapha Adib et Saad Hariri qui s'est récusé après neuf mois de tractations) à mettre en place un cabinet censé mener des réformes indispensables pour sortir le Liban de la pire crise socio-économique de son histoire récente. L'aide internationale au Liban est en effet conditionnée à la formation d'un gouvernement capable de lutter contre la corruption et de mener des réformes.
commentaires (7)
Makati nous racontent des mensonges en disant que personne ne s’obstine à vouloir un ministère. Qu’est que qu’il l’empêche de redistribuer ces fameux ministères en retirant les finances à Berry et en composant un gouvernement de 18 comme prévu initialement ou aucun de ces mafieux n’est représenté? Il essaie de se convaincre de la bonne foi de tous pour allonger la sauce et ne pas se récuser. Nous voilà reparti pour un tour de navettes entre la maison du centre et Banda pour perdre encore du temps en oubliant que le pays se meurt et sa population avec sans que ça ébranle les pourris qui sont au pouvoir. Mais je suis sûre que le peuple aura le dernier mot quoi qu’il en coûte.
Sissi zayyat
10 h 06, le 06 août 2021