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Comme en 2019, la tristesse en plus

Par 40°, ils sont venus de toutes les directions. Lentement, comme on avance vers un autel, nous avons conflué au port. Tant de visages familiers dans cette foule, trop peut-être, on ne peut pas connaître autant de monde. Le Liban est petit, certes, mais cette façon que nous avions d’échanger des sourires, de nous guider les uns les autres, nous regarder avec affection… Aucun doute, les malheurs en cascade couronnés par la monstrueuse explosion dont on célébrait hier le premier anniversaire ont fait de nous une même famille. Plus que jamais, et en l’absence flagrante de tout représentant du pouvoir, nous avons ressenti la force du lien qui nous unit, nous autres, peuple en quête d’un État et d’une classe politique à la hauteur de ses aspirations. Certes, notre petit groupe qui se dirigeait vers Gemmayzé a préféré changer d’itinéraire, d’autres manifestants nous ayant prévenus que des partisans du Parti communiste libanais avaient provoqué les Forces libanaises en passant devant un de leurs QG, et qu’il y avait des tirs et des jets de pierres. Une preuve de plus, s’il en fallait, que tous les partis dans ce pays ne sont capables que de vandalisme et de destruction, à l’image de leurs représentants.

Sous un soleil de plomb, aux abords du port de Beyrouth, devant la silhouette cauchemardesque des silos éventrés, une humanité compacte, respectueuse du deuil collectif que nul ne semble encore avoir dépassé, écoute discours et déclarations. À la tribune de fortune se succèdent des gens qui émanent de cette même foule et parlent son langage. Tous réclament justice. Les proches des victimes témoignent, les cœurs se serrent. Ce 4 août, un an après la tragédie, nous réalisons que nous n’avons fait que semblant de vivre, presque honteux d’avoir survécu. Les parents des victimes sont entourés d’une sorte de halo. Ils dégagent une force magnétique, comme s’ils avaient pris sur eux, en eux toute la douleur qui court en silence à travers la foule. Comme s’ils avaient injustement payé pour chacun de nous et qu’à travers eux, chaque victime venait nous rappeler à notre devoir citoyen. Il n’y a pas de miracle. Les nations ne se forment pas toutes seules. Avoir survécu nous oblige face à ceux qui ont eu moins de chance.

18h08. Comme si c’était hier. Le bruit indescriptible et puis un autre comme jamais personne n’en a entendu. Les bâtiments qui s’écroulent, les vitres qui explosent, les meubles qui s’envolent, la tempête de débris, les hurlements, les sirènes d’alarme. Mais non, ce ne sont que cinq pauvres avions de l’armée libanaise qui paradent au-dessus de la foule affolée. Tardif hommage, fumée tricolore, message de solidarité sans doute, dépense inconsidérée, songent certains. Le bruit passé, minute de silence. On pleure. Tout le monde pleure. On applaudit pour ne pas pleurer, mais une digue s’est ouverte et toutes les larmes qu’on retient depuis des mois se mêlent à la sueur de nos visages ruisselants. Jamais foule n’a autant pleuré à l’unisson. Aziza entonne l’hymne national. C’est bien. Ou pas. On n’est pas là, pas encore. De quel pays parle-t-on ? À quoi correspond cet hymne, quand l’ennemi intérieur est pire que l’ennemi aux frontières ? Et par ailleurs, que signifie la tentative de réactiver le front israélien qui a eu lieu le matin même ?

La veille, quelques discours officiels dans la note amoureux éconduit nous avaient été servis, entre autres par le président. La tentative, pour louable, de se rapprocher des gens après tout ce qui s’est passé se solde par un souverain mépris de leur part. Au clair de la lune… Levez toutes les immunités ! Rien d’autre désormais n’étanchera notre soif de justice et de réparation. Vous avez beau jeu de parler derrière vos écrans quand aucun de vous n’ose se mêler à une foule aux mains nues. Car vous le savez, ces mains nues nous suffisent. Aucun de vous n’ose regarder le plus petit d’entre nous dans les yeux, et ces yeux qui vous regardent nous suffisent. Aucun de vos discours ne peut plus nous convaincre. Quant aux partisans qui tentent encore de vous défendre, voyez comme ils se mettent eux-mêmes hors sujet. Quelque chose a changé. Fondamentalement. Tant que vous ne l’aurez pas constaté, tenez-vous à l’écart de l’histoire, c’est elle qui vous emportera.

Par 40°, ils sont venus de toutes les directions. Lentement, comme on avance vers un autel, nous avons conflué au port. Tant de visages familiers dans cette foule, trop peut-être, on ne peut pas connaître autant de monde. Le Liban est petit, certes, mais cette façon que nous avions d’échanger des sourires, de nous guider les uns les autres, nous regarder avec affection… Aucun doute, les...

commentaires (1)

Merci Fifi Abou Dib d´avoir rédigé cet article de ta plume alerte et vigilante.

hoda Rizk

10 h 43, le 05 août 2021

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Commentaires (1)

  • Merci Fifi Abou Dib d´avoir rédigé cet article de ta plume alerte et vigilante.

    hoda Rizk

    10 h 43, le 05 août 2021

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