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Société - Eclairage

Dans les assiettes de la classe moyenne libanaise

Toute une partie de la population a dû changer ses habitudes alimentaires en raison de la crise.

Dans les assiettes de la classe moyenne libanaise

Une assiette de riz. Photo João Sousa

Médecin, juge, professeur d’université ou ingénieur… : telles étaient les professions dont les parents rêvaient pour leurs enfants. Elles étaient vues comme la crème de la crème de la société, comme la garantie d'un bon niveau de vie.

Mais voilà que la crise économique a ramené plus de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté. En conséquence, le pouvoir d’achat de la classe moyenne a sévèrement été affecté entraînant dans sa chute un changement d’habitude alimentaire obligatoire “pour faire avec” la situation.

Il fut un temps où la classe moyenne passait devant les rayons de supermarché et n'avait qu'à tendre la main vers les produits dont elle avait envie sans avoir à en vérifier le prix. Le niveau de la livre libanaise à ce moment permettait à toute une partie de la population d’avoir accès à de nombreux produits étrangers. Mais la dévaluation de la monnaie nationale, qui a perdu plus de 90% de sa valeur, a changé la donne. « Faire les courses est devenu une source d’énervement », dit Mohammad*, professeur dans une université privée. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 402,25 % entre décembre 2019 et décembre 2020.

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« Maintenant j’achète le moins cher et uniquement le nécessaire au supermarché. C’est fini les apéros vin et fromage », témoigne Leila*, 38 ans, qui est magistrate. Son salaire moyen est de quatre millions de livres libanaises. Avant la crise, il était équivalent à plus de 2 500 dollars. Aujourd’hui, il correspond à moins de 200 dollars. Même son de cloche du côté de Cosette*, 57 ans, qui est endocrinologue dans l’un des hôpitaux les plus réputés du pays. « Avant je ne regardais jamais les prix, maintenant ce n’est plus possible ». Depuis la crise économique, ses rentrées d’argent ont nettement diminué et ses rendez-vous médicaux ont baissé de 50%.

« Soit mes patients ont quitté le pays, soit ils n’ont plus les moyens de se soigner, soit ils ont peur de la nouvelle tarification ». Si auparavant la consultation était de 105.000 LL, Cosette a presque triplé ses frais d’honoraires au vu de la situation. Elle demande maintenant 300.000 LL soit moins de 15 dollars. Ce qui l’a contraint à modifier ses habitudes alimentaires. « Je ne passe plus devant certains rayons comme la charcuterie ou le fromage français, tout ce qui vient de l’étranger quoi. En plus, de nombreuses marques ont disparu ». Elle ajoute que la sortie au supermarché réserve toujours de nouvelles découvertes au passage à la caisse : « Les prix augmentent du jour au lendemain ». La valeur de la livre ne cesse de fluctuer au rythme des rebondissements politiques et économiques du pays. La dernière en date : la récusation de Saad Hariri qui a fait disjoncter le taux du marché parallèle, le dollar ayant dépassé la barre symbolique des 20 000 LL. « Maintenant je sais d’avance ce que je ne peux pas acheter, donc je ne regarde même plus certains rayons », avance Marwa*, enseignante dans le secondaire. Son salaire est de 3.500.000, soit moins de 175 dollars. Alors, pour faire face à la crise, elle se prive.

Priorité aux plats sans viande
Viande, poulet, poisson : les quantités sont à la baisse dans les foyers de la classe moyenne. Dans une grande enseigne, un kilo de steak est vendu à 170.000 LL, un poulet coûte un peu moins de 40.000 LL, tandis qu’un filet de saumon d’Ecosse d’un kg est proposé à 280.000 LL. Du 14 février 2020 au 30 mars 2021, le prix des viandes bovines a augmenté de 114,7% tandis que celui du poulet a connu une hausse de 72,8%.

Élie*, 50 ans, est professeur d’université. « Mon pouvoir d’achat ne cesse de se détériorer », confie celui dont le salaire est de six millions  de LL, ce qui équivaut à moins de 300 dollars par mois. « Nous mangeons moins de viande. On en achète en petites quantités. Nous n’achetons plus de boîte de chocolat, seulement quelques pièces à l’unité ».

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« Nous nous privons de tout, pour ne pas avoir à priver nos enfants »

Nabil, qui est médecin, était censé prendre sa retraite, mais la cherté de la vie l’a obligé à poursuivre son activité. « On continue d’acheter mais pas comme avant. On consomme moins de poulet et on prépare des plats sans viande en priorité », raconte-t-il. Ces changements d'habitudes alimentaires ne sont pas sans conséquence sur la santé.

« Ce n’est pas seulement un problème d’accès aux protéines, il se pose également au niveau des fruits et légumes. Tout cela affecte négativement la santé des gens. Chez les enfants, cette insécurité et instabilité entraîne un stress chronique, qui affecte les hormones et impacte la croissance mentale et physique. Depuis des années, nous remarquons que l’effet de ce stress sur les enfants du Liban mène à des maladies auto-immunes, comme le diabète du type 1. Et avec la situation dans laquelle nous sommes, cela ne peut qu’empirer », explique Mireille Rizk-Corbani, diététicienne et nutritionniste. Les adultes sont quant à eux sujet au risque d’obésité.  « Trouver des produits de substitution aux protéines animales n’est pas facile, car ils sont importés donc chers. C’est généralement des fruits secs, des lentilles ou des pois chiches », poursuit-elle. Le riz a augmenté de 106%. Les bananes de 105,3%, les tomates de 96%, les oignons de 83%, la laitue de 77,1%, les pommes de terre de 79,6%, les oranges de 64,4% et les pommes de 67,9%.

« Chez nous, on fait tout avec de l’huile comme les haricots verts ou les cornes grecques. On mange de la purée de lentilles (moujadara), du blé concassé (borghol) avec des pommes de terre, ou des pâtes avec du yaourt, mais j’avoue que même ce dernier devient cher, donc on se limite… On privilégie les plats traditionnels », affirme Élie.

Insécurité sanitaire des aliments
Fini le chocolat de marque. La classe moyenne choisit plutôt des substituts qui viennent de l’étranger. « Je choisis des chocolats qui viennent de Turquie par exemple, car ils sont moins chers », dit Nabil. « Nous ne connaissons pas le type de sucre et de conservateur artificiel qui sont utilisés dans ces produits. Les Libanais mangent de la nourriture « qui n’est pas sûre » », avertit Mireille Rizk-Corbani. Pour d’autres, les petits desserts qui font plaisir ont tout simplement disparu de la liste des courses. « J’achetais quatre, voire cinq différents types de céréales, j’avais des tiroirs remplis de chocolat, de glaces... je ne les achète plus parce que les prix sont indécents », raconte Cosette. Pour Marwa, impossible d’acheter de la pâte à tartiner de marque, parfois même de l’huile ou du fromage. Pour ce qui est des laitages, elle se tourne vers le labné, sachant que si la situation perdure elle ne pourra plus se le permettre.

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D’autres ont profité du confinement pour apprendre le fait-maison. Solange, 38 ans, est ingénieur agricole. Cette mère de deux enfants fait à la maison son labné, son lait d’amande, ainsi que les snacks pour les enfants. « Avant, tout ce que nous mangions était bio. Maintenant on achète les fruits et légumes du village ou du primeur du coin ». « En fait, cette crise m’a fait réaliser que tout était artificiellement construit dans le pays, ce n’était pas normal de pouvoir consommer autant », résume Mohammad, un ingénieur de 28 ans.

*Les prénoms ont été modifiés

Médecin, juge, professeur d’université ou ingénieur… : telles étaient les professions dont les parents rêvaient pour leurs enfants. Elles étaient vues comme la crème de la crème de la société, comme la garantie d'un bon niveau de vie.Mais voilà que la crise économique a ramené plus de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté. En conséquence, le pouvoir d’achat de...

commentaires (12)

Je suis vraiment meurtrie de lire cet article en pensant au gaspillage des pays occidentaux. J'en ai même honte.

Lilou BOISSÉ

15 h 20, le 23 juillet 2021

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • Je suis vraiment meurtrie de lire cet article en pensant au gaspillage des pays occidentaux. J'en ai même honte.

    Lilou BOISSÉ

    15 h 20, le 23 juillet 2021

  • Bientôt nous serons heureux de manger les chats de gouttières, le pigeons, avant d'en arriver aux rats de nos égoûts. Que Dieu maudisse la caste dirigeante libanaise, la plus criminelle de l'histoire humaine

    COURBAN Antoine

    09 h 12, le 23 juillet 2021

  • Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 402,25 % entre décembre 2019 et décembre 2020.... VIEUX, DEPASSES CES CHIFFRES.. 'IL FAUDRAIT ALLER PLUS LOIN DANS LE TEMPS, VU QUE LA HAUSSE VERTIGINEUSE ULTRA RAPIDE A EU LIEU SURTOUT LES QQS DERNIERS MOIS DE 2021

    Gaby SIOUFI

    09 h 02, le 23 juillet 2021

  • PROCHAINEMENT IL N,Y AURA QUE DES HERBES SAUVAGES COMESTIBLES. LA FAIM Y OBLIGE. MAIS POURQUOI CE PEUPLE APPAUVRI ET AFFAME NE SE SOULEVE PAS EN UNE SEULE MASSE DE LA FAIM, MASSE GIGANTESQUE POUR DEBOULONNER TOUS LES MAFIEUX DE LEURS CHAISES, NETTOYER LES ETABLES DES PANURGES ZAIMS DES MOUTONS GALEUX, DES ANES ET DES MULETS QUI Y SONT ENCORE ATTACHES ET IMPOSER LES CHANGEMENTS ? LE MONDE SE LE DEMANDE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 44, le 23 juillet 2021

  • C'est triste. En même temps, la diaspora libanaise se vante d'aller passer l'été au Liban car avec leurs euros et dollars (frais), ils en profitent au maximum sans penser à ses pauvres libanais qui souffrent. C'est encore plus triste.

    Achkar Carlos

    19 h 42, le 22 juillet 2021

  • Mais le président Aoun est au courant de la misère ?

    Eleni Caridopoulou

    19 h 07, le 22 juillet 2021

  • Cet article devrait être envoyé à ceux qui ont empêché la formation du gouvernement, eux qui encaissent tranquillement des salaires exorbitants provenant de l'argent du peuple. Cela devrait les inciter à visiter les magasins d'alimentation pour y constater les rayons vides, les prix qui changent tous les matins et les produits importés de pays où la fabrication peut être douteuse. Les familles n'arrivent pas à joindre les deux bouts alors que les repas de leurs excellences débordent de protéines.

    Un Libanais

    18 h 59, le 22 juillet 2021

  • Merci qui???

    Politiquement incorrect(e)

    15 h 29, le 22 juillet 2021

  • Le corolaire de cette malédiction: Les majors de l’énergie vont-ils manœuvré politiquement via l’outil de la corruption à grande échelle suite à l’appauvrissement du Liban pour pouvoir acheter les concessions du gaz au rabais.?

    DAMMOUS Hanna

    13 h 02, le 22 juillet 2021

  • Le pays et sa population sont totalement ruinés sauf les happy few de la classe politicienne, des banquiers et de leurs proches. Mais les droits des chrétiens sont sauvegardés, les prérogatives du président fort sont rétablies et nous n’avons plus de gouvernement depuis que tonton Diab a été nommé premier technocrate. Ce régime est vraiment très très fort, si on pouvait le garder pour 10 ans au moins, qu’est ce qu’on serait comblés

    Lecteur excédé par la censure

    12 h 55, le 22 juillet 2021

  • Encore une réalisation à inscrire au crédit du régime fort. Nul doute que le script de service à Baabda prend bien toutes ces notes pour pouvoir documenter le prochain discours des grands accomplissements du président fort. Je pense même qu’il faille proposer en thèse de doctorat d’économie: comment faire passer un pays prospère au stade du pays le plus reculé du monde ?? Réponse : en mettant à la tête de l’Etat un président fort

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 07, le 22 juillet 2021

  • Les pourcentages dans cet article sont nettement faux. Il faudrait parler d'augmentations autour de 600%.

    Esber

    05 h 01, le 22 juillet 2021

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