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Moyen-Orient - Éclairage

Le Khouzistan à l’avant-poste de la crise de l’eau en Iran

Depuis plusieurs jours, la province connaît une vague de contestations liée au stress hydrique dans un contexte marqué par des températures particulièrement élevées.

Le Khouzistan à l’avant-poste de la crise de l’eau en Iran

Une femme marche avec ses enfants le long de la rivière Karun à Ahvaz, la capitale de la province du Khouzistan, dans le sud-ouest de l’Iran, le 11 avril 2019. Photo AFP

Dans la province iranienne du Khouzistan, l’eau ni ne jaillit ni ne s’écoule. De cette plaie qui saigne depuis de nombreuses années surgit à intervalles réguliers la fureur populaire. Comme ces derniers jours, où de Susangerd à Ahvaz en passant par Susha et près d’une demi-douzaine de villes, les résidents se rassemblent massivement pour protester contre le criant déficit en or bleu alors que les températures atteignent leur acmé, aux alentours de 50 degrés. Comme à l’orée de l’été 2018, lorsque des manifestations se sont emparées des villes de Abadan, de Bandar-e Mahshahr, de Bandar-e Emam Khomeiny, d’Ahvaz ou encore de Khorramchahr, toutes situées au cœur des zones pétrolifères, à la frontière de l’Irak et du golfe Persique. Mais à présent, la République islamique se débat avec une sécheresse particulièrement intense, la plus vive en près d’un demi-siècle. Si la réduction de 50 pour cent des précipitations au cours des deux saisons précédentes est en cause, les contestataires pointent du doigt des décennies de mauvaise gestion des ressources par les autorités et fustigent les migrations forcées.

Le tout sur fond de discriminations structurelles dont cette région du Sud-Ouest – où se concentre la minorité arabe – fait les frais. Les images et les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux depuis trois jours montrent une foule manifestant en scandant des mots d’ordre en persan et en arabe. « Nous voulons de l’eau », « L’eau est mon droit », « Ma vie pour Karun » – en référence à la rivière éponyme – ou encore « Ma vie pour Ahvaz ».

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Pour beaucoup d’entre eux, la situation du Khouzistan est porteuse d’une ironie tragique. Certes, elle contribue à hauteur de 16 % au produit national brut et caracole, selon les classements, à la deuxième ou troisième position en termes d’apports au pays. Certes, elle abrite près de 80 % des réserves de pétrole onshore de la République islamique. Toujours est-il qu’elle fait partie des zones les plus négligées d’Iran. En juin 2020, les cas de Covid-19 représentaient par exemple environ un quart du total à l’échelle nationale. La pénurie d’eau actuelle a forcé les habitants à se pourvoir pour leurs besoins individuels auprès de camions-citernes, a dévasté l’agriculture et l’élevage, et a conduit à des pannes d’électricité. Sur les moyen et long termes, cette crise a également entraîné une augmentation des déplacements des zones rurales vers les zones urbaines, où les travailleurs sans diplôme ne parviennent pas à trouver un emploi.

Un dépit d’autant plus fort que le Khouzistan – berceau de la civilisation élamite – était autrefois abondant en eau et peut se targuer d’une histoire riche en avancées hydrologiques. En témoigne ainsi le système d’irrigation de Shushtar inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2009 et décrit à cette occasion par l’agence des Nations unies comme « un chef-d’œuvre de génie créatif ». Une méthode complexe née au Ve siècle avant Jésus-Christ sous le règne du roi achéménide Darius le Grand et permettant l’acheminement de l’eau vers les maisons, les bâtiments et les moulins de la ville grâce à des canaux artificiels. Des siècles plus tard, ces contributions au progrès en matière de gestion de l’eau s’effaceront derrière la découverte par les Britanniques en 1908 du pétrole dans la localité de Masjed Soleiman. L’amorce d’une nouvelle ère marquée par l’établissement de l’Anglo-persian Oil Company – ancêtre de la British Petroleum – qui alimentera l’Europe en or noir grâce à la vente des ressources iraniennes.

Barrages et réservoirs
Aujourd’hui, la plaine du Khouzistan n’en finit plus de cumuler les fléaux, avec un effet de loupe sur l’ensemble du pays. L’Iran souffre de sécheresse depuis de nombreuses années. Résultat des courses : les sols se durcissent et les inondations sont chroniques. Au cours des trois derniers jours, elles se sont – d’après le Croissant-Rouge iranien – abattues sur huit provinces, faisant cinq morts, dont un foudroyé, et un autre disparu. Au Khouzistan, l’asséchement se traduit depuis au moins quinze ans par des tempêtes de sable puisant leurs sources en Irak ou dans la péninsule Arabique.

Aux racines de la crise, une combinaison de facteurs, certains remontant jusqu’au milieu du XXe siècle. L’influence anglo-américaine dans la région s’est traduite par l’adoption de nouvelles activités économiques, non adaptées à la terre. Avec, notamment, l’embargo des États-Unis sur le sucre cubain dans les années 60, la canne à sucre a gagné en popularité en Iran alors qu’elle n’est pas endogène à la région et qu’elle nécessite de trop grandes quantités d’eau. Malgré tout, la tendance se poursuivra après la guerre Iran-Irak. Dans les années 1990, une usine de 70 000 hectares est ainsi créée au sud d’Ahvaz avec des conséquences néfastes pour l’environnement. C’est toutefois aujourd’hui l’incompétence du pouvoir qui est dans le collimateur des habitants. Un leadership blâmé pour ses négligences et son allocation des fonds et mêmes des ressources naturelles, dont les eaux, depuis l’époque du chah, sont détournées au profit d’autres régions. Et le délabrement des infrastructures n’arrange rien à l’affaire conduisant souvent à un colossal gâchis.

Autre enjeu de taille, les barrages et réservoirs dont la construction a été initiée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui, quoiqu’ efficaces, sont à l’origine d’inégalités et de déséquilibres importants. D’abord pensés comme moyen de pourvoir en eau les exploitations agricoles et les installations pétrolifères, dont la province du Khouzistan ruisselle, ils privent la population de ressources hydriques de plus en plus rare.

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À ces raisons internes se conjugue l’impact des sanctions occidentales frappant le pays. Parce qu’elle ne peut pas importer de produits pétroliers raffinés, la République islamique a développé ses propres raffineries de brut, à l’origine de carburants polluants. Les mesures punitives ont également influé sur la rhétorique du régime qui s’en est saisi afin de se défausser de ses responsabilités sur Washington pour les épreuves que le pays traverse. Une technique largement éprouvée par un pouvoir sourd aux revendications de la population et souvent à la recherche d’un tiers à blâmer. Ainsi, alors que les activistes accusent les forces de sécurité d’avoir tué près de trois personnes depuis le début de la contestation jeudi, les autorités, elles, rejettent la faute sur les “émeutiers” . Un responsable local a ainsi reconnu samedi la mort d’un homme la veille dans la ville de Shadegan (al-Falahiya). Mais il a, d’après lui, été abattu par des contestataires armés.

La province du Khouzistan s’était trouvée à l’avant-poste du soulèvement en 2019 et avait été férocement réprimée par les autorités. Quelques jours avant le déclenchement du mouvement à l’échelle nationale, des centaines de personnes avaient pris d’assaut les rues d’Ahvaz pour crier leur colère suite à la mort – par empoisonnement selon eux – d’un jeune poète connu au sein de la communauté ahwazie pour sa critique virulente du régime. De quoi s’interroger : si elles se poursuivent, les manifestations actuelles auront-elles un effet de contagion ?

Dans la province iranienne du Khouzistan, l’eau ni ne jaillit ni ne s’écoule. De cette plaie qui saigne depuis de nombreuses années surgit à intervalles réguliers la fureur populaire. Comme ces derniers jours, où de Susangerd à Ahvaz en passant par Susha et près d’une demi-douzaine de villes, les résidents se rassemblent massivement pour protester contre le criant déficit en or...

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Les ayatollahs qui fassent le ménage chez eux et qui laissent le Liban tranquille et Nasrallah arrête d’être le joujou de l’Iran

Eleni Caridopoulou

19 h 00, le 19 juillet 2021

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  • Les ayatollahs qui fassent le ménage chez eux et qui laissent le Liban tranquille et Nasrallah arrête d’être le joujou de l’Iran

    Eleni Caridopoulou

    19 h 00, le 19 juillet 2021

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