« Les jours décisifs sur le plan gouvernemental » annoncés par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, lundi sont appelés à se prolonger. Selon les milieux proches du courant du Futur, le Premier ministre désigné, Saad Hariri, ne devrait pas prendre de décision, que ce soit de se récuser ou de former le gouvernement, avant de connaître les résultats des entretiens effectués en Arabie saoudite par les deux ambassadrices des États-Unis et de France au Liban, Dorothy Shea et Anne Grillo. Il pourrait également se rendre la semaine prochaine en Égypte pour un entretien avec le président Abdel Fattah al-Sissi. Avant donc d’avoir une idée précise du panorama régional et de la tendance générale, il ne compterait pas prendre sa décision.
Pourtant, en dépit de ce flou, somme toute justifié puisque la région traverse actuellement une période de transition annonciatrice de changements, des milieux politiques de différentes tendances sont convaincus que Saad Hariri devrait à plus ou moins long terme renoncer à former le prochain gouvernement. Pour ces différents milieux, plusieurs raisons objectives devraient pousser Saad Hariri à faire un tel choix. D’abord, le fait que le rendez-vous des législatives – qui devraient se tenir avant le 20 mai 2022 – se rapproche de plus en plus est un facteur déterminant pour M. Hariri. En effet, en raison des pressions internationales pour la tenue de ces élections à la date prévue, Saad Hariri est convaincu que les différentes forces politiques sont déjà en mode électoral. Chacune cherche dès maintenant à marquer des points sur l’autre en utilisant la colère populaire et l’érosion de toutes les institutions de l’État. Dans ce contexte, le prochain gouvernement, une fois formé, devrait être appelé à prendre des décisions impopulaires, au niveau de la levée des subventions et des négociations avec le FMI. Ce qui devrait augmenter encore la colère populaire et la canaliser contre le gouvernement. C’est justement pour cette raison que l’on parle de plus en plus d’un cabinet chargé d’organiser les élections, dont les membres ne seraient pas candidats, pour que l’impact de ces décisions n’influe pas sur les résultats du scrutin. L’idée de reporter celui-ci pour différentes raisons possibles a été évoquée, mais elle n’a pas été retenue en raison des pressions internationales pour qu’il se déroule dans les délais constitutionnels.
Ensuite, toujours dans le cadre du contexte électoral, Saad Hariri considère que la conclusion d’un nouveau compromis (pour la formation du gouvernement) avec le président de la République et le Courant patriotique libre n’est pas à son avantage sur le plan populaire. Selon ses proches, le Premier ministre désigné estime ainsi qu’il a déjà payé le prix du compromis qu’il avait conclu avec Michel Aoun et Gebran Bassil au cours de l’été 2016, sur le plan populaire local mais aussi sur le plan régional (ce compromis avait porté Michel Aoun à la présidence de la République et Saad Hariri à la présidence du Conseil) et il n’a pas du tout l’intention de reproduire le même scénario. Surtout dans les circonstances actuelles et alors qu’il sait qu’un nouveau compromis exigera de lui des concessions qu’il n’est pas prêt à faire. D’ailleurs, beaucoup, au Liban, pensent que c’est aussi le cas pour le chef du CPL qui serait en train de se présenter comme le protecteur « des droits des chrétiens », face à la volonté du camp Hariri « de mettre la main sur eux », pour augmenter sa popularité aux prochaines élections en soulevant un thème considéré comme porteur au niveau de la rue chrétienne. Donc, qui dit compromis dit concessions et en période préélectorale, ce ne serait pas une démarche judicieuse, surtout dans cette atmosphère de colère populaire dirigée contre la classe politique.
La troisième raison qui pourrait pousser Saad Hariri à renoncer à former le prochain gouvernement consisterait dans la situation régionale confuse et dans l’attitude de l’Arabie saoudite à son égard. Certes, pour obtenir des informations précises sur cette attitude, il faudra sans doute attendre le retour de Mmes Shea et Grillo au Liban après leur visite en Arabie saoudite. Mais ce que l’on sait déjà, c’est que jusqu’à hier, elles avaient eu des entretiens avec le conseiller du roi pour l’action humanitaire et le responsable politique et économique au ministère des Affaires étrangères. Ce qui laisse supposer que l’objectif de cette visite serait de pousser le royaume wahhabite à s’intéresser concrètement au dossier libanais, sans évoquer en particulier la situation du Premier ministre désigné et ses relations avec les dirigeants saoudiens. D’autant plus qu’au moment où les deux ambassadrices se trouvaient à Riyad, dans une démarche inédite dans le monde diplomatique, le vice-ministre saoudien de la Défense, l’émir Khaled ben Selmane, effectuait une visite à Washington dans laquelle il a été aussi question de la nécessité d’apporter une aide humanitaire au peuple libanais.
Enfin, dans le même sillage, les milieux politiques estiment que la soudaine détérioration des relations entre l’émir Mohammad ben Zayed (MBZ) des Émirats arabes unis et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane (MBS) pourrait avoir des conséquences sur la situation de Saad Hariri. Ce dernier avait en effet sollicité à plusieurs reprises l’aide de MBZ pour assainir ses relations avec les dirigeants saoudiens et il avait même fait des Émirats arabes unis une escale régulière dans ses déplacements pour paver la voie à son retour en force en Arabie. Mais, aujourd’hui, ce processus semble compromis. Si l’on ignore encore jusqu’où ira le nouveau conflit entre les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, il semble en tout cas qu’il ne facilite pas à ce stade la situation de Saad Hariri.
Pour toutes ces raisons, des milieux politiques de tendances différentes penchent pour une renonciation de Hariri à la mission de former le gouvernement. La question reste de savoir quand il pourrait annoncer cette décision. À ce sujet, les milieux proches de Aïn el-Tiné sont catégoriques : il devrait le faire en coordination avec le président de la Chambre, Nabih Berry, et après s’être entendu avec lui sur l’identité de son successeur. Il s’agirait ainsi d’éviter tout éventuel dérapage sur le terrain, mais aussi d’empêcher l’exploitation de cette décision par le camp présidentiel, qui pourrait la percevoir comme une victoire.
commentaires (5)
Il faut faire venir des libanais de l’étranger pour former un gouvernement….
Eleni Caridopoulou
16 h 57, le 10 juillet 2021