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Nos Lecteurs ont la Parole

Relevons le défi de récupérer les fonds publics pillés

Afin que la nouvelle génération ne considère pas que le pillage des fonds publics au Liban est la norme et que les corrompus échappent toujours aux poursuites, afin que nous commencions à mettre terme à l’appauvrissement du peuple ; afin que le slogan de la révolution ayant pour but de récupérer les fonds pillés ne demeure pas un slogan, il est de notre devoir de mener cette dure bataille parce que notre pays et notre peuple en ont grand besoin. Il se peut même que cette bataille soit le meilleur moyen de nous libérer d’une grande partie de la classe politique existante. La justice libanaise dans son état actuel et les poursuites judiciaires entamées jusqu’à présent ne permettront pas d’arriver à un résultat quelconque dans ce sens et jouent même parfois dans le sens du blocage de certaines inculpations.La communauté internationale, elle, semble aussi avoir conclu que la révolution du 17 octobre et les pressions populaires sur la classe politique n’aboutiront pas et que la pression visant à geler et à confisquer l’argent mal acquis, ainsi que l’interdiction d’accès à certains pays et les poursuites judiciaires auront de meilleures chances d’aboutir car elles seront plus à même de discréditer publiquement les dirigeants libanais et de les convaincre de se retirer pour ne pas risquer l’incarcération. Je me demande même si ce ne sont pas les chancelleries étrangères qui financent les programmes réguliers anticorruption sur le petit écran pour sensibiliser la population à la véritable dimension de ce problème et qui ont lancé ce que j’appelle des « bombes » impressionnantes sur la corruption mises en gros plan dans ces programmes de matraquage anticorruption sur plusieurs écrans. La communauté internationale a aussi déjà commencé à localiser et à geler les comptes bancaires des individus qu’elle estime avoir pillé l’argent public ; les démarches sur ce plan se font par l’intermédiaire du Trésor américain (OFAC), de la loi Magnitski et de la loi César qui visent le trafic des produits pétroliers profitant au gouvernement syrien. De plus, le procureur général suisse mène une enquête et a déjà gelé les comptes bancaires des personnalités qu’il suspecte d’avoir volé l’argent public des Libanais et de l’avoir blanchi. Ajoutons que c’est une question de temps avant que nous percevions une initiative similaire provenant de la France, de la Grande-Bretagne et plus tard de l’Union européenne. De notre point de vue, que les individus visés par les sanctions et les gels d’avoirs étrangers soient coupables ou pas, la communauté internationale démontre par ses actions une empathie louable à l’égard des Libanais pour connaître les corrompus et surtout savoir où se trouvent leurs avoirs à l’étranger. Cependant, la communauté internationale ne pourra pas restituer ces fonds au peuple libanais mais juste les localiser, les geler et entamer des poursuites dans certains cas. La restitution de ces fonds demeurera toujours notre responsabilité et notre devoir.

Il est devenu évident depuis la crise qu’afin de surmonter les conséquences de l’énorme déficit financier qui étouffe le Liban, nous avons besoin non seulement d’une injection financière externe et de l’application de réformes radicales mais aussi de la récupération d’une partie des fonds pillés, ce qui causera une onde psychologique positive chez les Libanais résultant en un redémarrage tant attendu de l’ascenseur économique.

Cet objectif sera atteint en s’attelant immédiatement à la création d’un tribunal indépendant et mixte visant à contrer les interventions politiques dans le pouvoir judiciaire et le risque qui menace les juges qui traitent des dossiers épineux, ainsi que les retards permanents à traiter les dossiers en cours. De plus, cela permettra de combler le manque d’impunité dans le corps judiciaire et le retard dans l’automatisation. La responsabilité de ce tribunal serait d’identifier les crimes financiers en se basant, entre autres, sur un audit qui est devenu une nécessité ainsi que sur des recherches sur les dossiers existant, l’audition de témoins, l’échange d’informations fiscales avec l’Union européenne et l’approfondissement dans la recherche de la source des fonds importants transférés vers l’étranger ainsi que le non-paiement des taxes sur les revenus réalisés ou transférés. Ce tribunal serait doté du pouvoir de rechercher, de geler et de récupérer toute propriété foncière, compte bancaire ou instrument financier à l’intérieur et à l’extérieur du Liban dont la source est les fonds mal acquis. L’opposition sera évidemment grande de la part de la mafia qui s’est partagé le gâteau ainsi que de la part de beaucoup de pessimistes qui pensent qu’il est impossible de récupérer des fonds étatiques pillés ; mais l’aide de la communauté internationale fera que les chances de succès seront élevées.

L’adoption récente de la loi sur la récupération des fonds pillés est le premier pas vers un long voyage. Cependant, dans sa forme actuelle, cette loi seule ne sera pas suffisante pour atteindre nos objectifs vu qu’elle doit être suivie de pratiques réglementaires et opérationnelles pour que cette première étape soit efficace ; au Liban, l’expérience a bel et bien prouvé la non-efficacité des lois qui souvent ne sont pas appliquées. L’Instance nationale contre la corruption, prévue par la loi et dont la formation est retardée de plusieurs mois, ressemble déjà à la plupart des commissions créées qui éventuellement constituent un obstacle à une mise en œuvre efficace et se terminent par la conclusion de théories et d’analyses uniquement. Ajoutons que les fonctions de cette commission se limitent selon le texte à la « coordination » à « l’établissement des plans et des stratégies », à « l’organisation des mécanismes de négociation et d’identification des obstacles », et à « avoir recours aux tiers afin d’établir des rapports… ». Pour ces raisons-là elle ne donnera pas les résultats escomptés et ne sera utile qu’en opérant au sein du nouveau tribunal indépendant que nous proposons.

Il existe au Liban assez de lois telles que la loi de l’audit juriscomptable, la loi sur la levée du secret bancaire, la loi sur l’enrichissement illicite, la loi sur le droit à l’information, la loi sur la récupération des fonds et actifs qui proviennent des crimes de corruption, etc… Cependant, ce qui est requis, c’est la mise en œuvre d’un mécanisme efficace d’application de ces lois par l’intermédiaire d’une institution indépendante, crédible et impartiale : un tribunal mixte composé de nos jeunes juges courageux, compétents, indépendants, choisis par le président du Conseil supérieur de la magistrature, par l’ordre des avocats, ainsi que de juges étrangers spécialisés en matière de corruption. La présidence de ce tribunal fonctionnerait sur une base de rotation annuelle entre un juge étranger et un juge libanais ; ce tribunal aura un siège au Liban et un autre à l’étranger, ses sentences seront prononcées au nom du tribunal et non de juges spécifiques pour garder secret les noms des juges ayant travaillé sur un dossier bien déterminé afin de les protéger.

Ce tribunal devra jouir de ses propres agences de sécurité, de renseignements et de technologies et aura à coopérer avec des tribunaux et des institutions externes et bénéficiera des lois votées par l’ONU (convention des Nations unies pour la lutte contre la corruption) et de l’accord avec l’OCDE. Au cours des dernières années, ces instances ont vu leurs fonctions évoluer pour tenir responsable les corrompus ayant pillé des fonds publics à travers le monde.

Pour ceux qui estiment que récupérer les fonds pillés est une mission impossible, nous citerons au moins quatre pays qui ont réussi : Haïti, les Philippines et récemment la République d’Angola et le Soudan. Nous citons de même des politiciens occidentaux qui ont rendu une partie des fonds après la prononciation de jugements contre eux. La signature de la convention de Merdât et de l’accord d’échange d’informations entre les pays européens et le Liban a effectivement ouvert une grande voie vers la possibilité réelle de récupérer l’argent volé des Libanais.

Il est vrai que dernièrement il y a eu des poursuites judiciaires relatives à des dossiers importants, accompagnées d’une large couverture médiatique. Cependant, ces dossiers ont été refermés ou oubliés dans les tiroirs de la justice pour cause d’ingérences politiques. Le véritable danger réside dans le fait que les dossiers entamés puis refermés constituent des accusations antérieures et augmentent donc l’immunité des corrompus et les empêchent d’être poursuivis en justice sérieusement au cas où la décision de poursuite serait adoptée ultérieurement. Malheureusement, à ce stade, la justice libanaise fait plus de mal que de bien concernant les grands dossiers de corruption des responsables libanais et elle a cédé trop souvent à la pression des oligarques et des géants de la finance.

Il est vraiment très difficile d’estimer le montant exact des fonds pillés à récupérer vu que les chiffres avancés varient entre 20 milliards de dollars et 400 milliards de dollars. Mais certainement, ces chiffres sont des plus élevés au monde en termes relatifs, prenant en considération la taille du Liban et son économie.

Les fonds pillés comprennent, entre autres, les commissions liées aux affaires publiques, les profits illicites de transactions exécutés de gré à gré dans le secteur public, le fuel défectueux, les pots-de-vin pour gagner des grands procès, la conclusion de contrats avec les institutions de l’État en trouvant dans l’arrière-plan des courtiers cachés, la contrebande des produits subventionnés, les transactions de délit d’initié, le recours aux pots-de-vin afin d’acquérir illégalement certaines licences, le vol des fonds provenant d’aides étrangères et l’utilisation de la Banque centrale pour réaliser des profits par l’intermédiaire de proches ou d’associés, les commissions dans les importations des produits pétroliers… En me basant sur le fait que la totalité des dépenses de l’État, sur ses budgets et ses dépenses extrabudgétaires durant les 30 dernières années étaient de 320 milliards de dollars, j’estime que les fonds pillés représentent près de 35 milliards de dollars car la plus grande partie des budgets concerne les salaires des fonctionnaires de l’État et la dette publique ; pour cette raison-là, j’estime que ces fonds ne représentent que 7% des dépenses du budget, soit 19 milliards de dollars, et comme pourcentage des dépenses extrabudgétaires, environ 8 milliards de dollars en fonds mal acquis. En ajoutant les intérêts j’arrive a une somme totale de 35 milliards de dollars environ. Cette estimation ne comprend pas le gaspillage et la mauvaise gestion qui sont toute deux difficiles à récupérer si l’on veut être réaliste. Logiquement, le Liban peut éventuellement récupérer 20 % de ces sommes en utilisant les moyens de pression décrites ci-dessus, soit 7 milliards de dollars potentiellement récupérables. C’est quand même une somme plus élevée que celle que nous œuvrons à obtenir du FMI en forme de prêts.Pour les raisons citées ci-dessus, investir dans un tribunal mixte efficace et rapide est justifiable lorsque nous constatons que les sommes pillées pourraient atteindre une telle ampleur. Nous ne saurons la réalité de ce qui existe à l’intérieur de la grotte d’Ali Baba que lorsque nous réussirons à en ouvrir la porte. La tâche n’est pas facile, elle représente cependant un grand défi auquel nous devons faire face ! Étant donné les intérêts communs et les affaires interdépendantes de plusieurs hauts placés, il faudrait prévoir qu’après la première inculpation sérieuse preuves à l’appui, on puisse s’attendre à un effet domino et peut être-même à des accusations mutuelles.

Lorsque ce tribunal sera formé et commencera sa coordination avec des pouvoirs judiciaires externes, lorsqu’il collaborera avec l’ONU, échangera des informations sur des comptes bancaires avec l’Europe, certaines parties impliquées dans la corruption viendront proposer un compromis qui consiste à rendre une partie des fonds pour échapper à la prison. C’est à ce moment-là que le règne de certains dirigeants s’estompera et le peuple libanais regagnera son optimisme et sa confiance dans un avenir meilleur qui est possible.

Comptons sur le président du Conseil supérieur de la magistrature, la puissante force de la majorité silencieuse, de la société civile, des révolutionnaires, des syndicats, de l’ordre des avocats et du Club des juges et de tous ceux qui prétendent vouloir demander des comptes, pour exiger d’aller une étape de plus vers l’avant en établissant un tel tribunal, car sans un support sérieux au Liban même, les efforts de la communauté internationale pour nous aider serons vains.

Habib ZOGHBI

Président honoraire de l’Association

des diplômés de Harvard au Liban

Président du Harvard Business

School Club

Économiste et financier

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Afin que la nouvelle génération ne considère pas que le pillage des fonds publics au Liban est la norme et que les corrompus échappent toujours aux poursuites, afin que nous commencions à mettre terme à l’appauvrissement du peuple ; afin que le slogan de la révolution ayant pour but de récupérer les fonds pillés ne demeure pas un slogan, il est de notre devoir de mener...

commentaires (1)

Qui va payer les salaires des juges et des autres fonctionnaires,pour ce travail ???

Samir ZIADE

09 h 12, le 07 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • Qui va payer les salaires des juges et des autres fonctionnaires,pour ce travail ???

    Samir ZIADE

    09 h 12, le 07 juillet 2021

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