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Culture - Exposition

Qui, pourquoi et à qui donc profite le crime ?

Dans une installation au Beirut Art Center, Shakeeb Abu Hamdan s’interroge sur les formes narratives qui se construisent après un événement historique (assassinat, attentat ou découverte).

Qui, pourquoi et à qui donc profite le crime ?

Une vue générale de l’exposition de Shakeeb Abu Hamdan au Beirut Art Center. Photo DR

De père jordanien et de mère britannique, Shakeeb Abu Hamdan a grandi entre le Royaume-Uni et Amman où il est né. En 2017, il intègre le programme artistique interdisciplinaire de 10 mois Home Workspace Program (HWP) mis en place par Achkal Alwan (Association libanaise des arts plastiques, à but non lucratif), un programme qui cible les artistes qui souhaitent approfondir leur pratique dans un environnement favorable à la création. La résidence terminée, Shakeeb Abu Hamdan décide de s’installer au Liban. Aujourd’hui, il présente une exposition solo au Beirut Art Center (BAC) intitulée « Flattened to a Papery Thinness » (« Réduit à l’épaisseur d’un papier »), qui a pris son départ avec le lancement de son nouveau livre A Life Like Mine, That’s Impossible (« Une vie comme la mienne, c’est impossible ») publié en anglais et en arabe aux éditions Samandal. Alors que le livre dessine des fils narratifs qui emmènent le lecteur à travers des faits historiques, depuis l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche jusqu’aux hallucinations de Sirhan Sirhan, l’installation fonctionne davantage comme un parcours, ou une mise en situation pour une meilleure lisibilité des faits.

Le diable est dans le détail

Ce sont trois faits historiques qui serviront la recherche de Shakeeb Abu Hamdan pour tenter de comprendre, à travers des accumulations de renseignements, des dessins, des grandes frises historiques, des expériences spatiales qui désorientent souvent, et des mises en scène, le processus de la relecture d’un fait et soulever une thématique : comment, à partir de très peu d’informations, se construit une narration historique ? Pourquoi s’arrête-t-on sur certains détails et de quelle manière ces récits sont-ils consommés avec le temps ?

Par quels moyens l’histoire peut-elle conférer une importance capitale à un détail anodin déclencheur de l’événement ? Shakeeb Abu Hamdan puise dans sa bibliothèque de références comiques trouvées et manipulées, de dessins éducatifs décontextualisés, ainsi que dans ses propres dessins et gribouillis pour essayer de reconstituer les scènes de crime. Tout au long de ce processus d’accumulation, il s’est concentré sur un répertoire visuel qui non seulement fait avancer la narration de manière inattendue, mais devient également un dispositif structurel qui remplace l’acte de lecture lui-même.

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L’exposition puise son langage du livre illustré et réalisé par l’artiste pour essayer de réécrire l’histoire. Le graphisme de Shakeeb Abu Hamdan devient ainsi un vocabulaire en soi et le visiteur se retrouve face à une nouvelle narration des faits, tantôt ludique, tantôt morbide.

« Flattened to a Papery Thinness » de Shakeeb Abu Hamdan au Beirut Art Center, 2021. Courtesy of Beirut Art Center

Une découverte et deux assassinats

D’abord l’histoire de Gavrilo Princip, l’un des sept conspirateurs responsables de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche en 1914. Après plusieurs tentatives désastreuses, Princip, découragé, avait abandonné tout espoir de toucher sa cible. Mais juste à ce moment-là, la voiture de l’archiduc est détournée de l’itinéraire prévu et s’arrête face au café où se trouve le tueur en train de savourer un sandwich. Un afflux de sang et de sueur, un bourdonnement aigu dans les oreilles et Princip, sentant la poigne du destin le prendre par le bras, laisse tomber son déjeuner au sol, court après le véhicule, le rattrape, puis tire deux fois. C’est ainsi qu’il devint, par une succession de coïncidences, l’auteur des premiers coups de feu qui auraient conduit, pour certains historiens, à la Première Guerre mondiale.

Alors qu’il célèbre sa victoire aux primaires démocrates de Californie, le sénateur de l’État de New York Robert Kennedy est abattu le 6 juin 1968 par un dénommé Sirhan Sirhan, un chrétien palestinien de nationalité jordanienne. Âgé de vingt-quatre ans, le tueur est décrit comme une personne attentionnée, sensible, voire même aimable. En proie à des hallucinations, Sirhan Sirhan va raconter les voix dans sa tête qui l’ont pressé de tirer sur Robert Kennedy ou encore un incident vécu avec son père quand il a vu un homme éviscéré lors d’un attentat...

Un crime vieux de 5 300 ans

Lorsque le corps d’Ötzi, vieux de 5 300 ans, a été retrouvé en 1991 dans les montagnes entre l’Autriche et l’Italie, la découverte a fait sensation. Les intestins de l’homme des glaces contenaient des œufs de vers parasites. Ötzi avait également besoin d’un dentiste – un examen approfondi de ses dents a mis en évidence une maladie des gencives. Parmi sa nourriture, figuraient des céréales et de la viande provenant d’un bouquetin. L’homme des glaces, comme il a été surnommé, serait-il mort d’un cancer de l’estomac s’il n’avait pas été tué par une flèche ennemie ?

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À partir de tous ces détails récupérés, Shakeeb Abu Hamdan va développer une véritable théorie de l’histoire et laisser son esprit créatif dessiner un parcours où les images reconstruites et manipulées créent une nouvelle narration.

Ainsi, un espace entre les dents d’un personnage devient une ellipse, un sandwich devient une charnière narrative, une fenêtre se double d’une vignette, un nid-de-poule comme un portail temporel, etc. Jouant avec des structures comiques linéaires, des textures de lignes, une échelle et une perspective, le travail de Shakeeb Abu Hamdan présente une vision ironique du désastre en tant que contingence et du malaise profond de l’histoire en tant que farce.

Beirut Art Center

« Flattened to a Papery Thinness » de Shakeeb Abu Hamdan.

Jusqu’au 10 septembre 2021. De 11h à 20h. Réservations sur ihjoz.com

De père jordanien et de mère britannique, Shakeeb Abu Hamdan a grandi entre le Royaume-Uni et Amman où il est né. En 2017, il intègre le programme artistique interdisciplinaire de 10 mois Home Workspace Program (HWP) mis en place par Achkal Alwan (Association libanaise des arts plastiques, à but non lucratif), un programme qui cible les artistes qui souhaitent approfondir leur pratique dans...
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