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Culture - Portrait d’artiste

Souraya Haddad Crédoz : ce quelque chose d’enfoui qui a explosé...

Cette céramiste au travail jusque-là plutôt confidentiel est l’une des dernières belles découvertes du galeriste Saleh Barakat.

Souraya Haddad Crédoz : ce quelque chose d’enfoui qui a explosé...

Souraya Haddad Crédoz enlaçant l’une de ses créations. Photo Caroline Tabet

Cela fait plusieurs années qu’elle travaille la céramique dans le silence de son atelier. Mais seulement cinq ans qu’elle s’y adonne de manière intensive, dans son antre personnel logé au sein de Bits To Atoms, l’entreprise de design 3D de son mari Guillaume Crédoz à Mekallès. Ainsi que dans sa maison familiale à Baskinta, où elle a installé son four à raku. C’est dire si Souraya Haddad Crédoz est totalement immergée dans l’univers de la poterie artistique. Son atelier, aux étagères pleines à craquer de pièces à enfourner et d’échantillons issus de ses tests continus de mélanges d’oxydes, de carbonates, de manganèse et de kaolin, en témoigne.

Sauf que sa discrétion et surtout son exigence vis-à-vis d’elle-même l’empêchaient souvent de montrer les créations qu’elle jugeait inabouties.

Des galets, des bouquets et des trophées

Aujourd’hui, après avoir participé à nombre d’expositions collectives, dont les deux éditions de la Beirut Design Fair, cette perfectionniste se sent enfin prête à présenter en solo une sélection de ses œuvres à la Upper Gallery de la galerie Saleh Barakat. Sous l’intitulé « Chimera – Remembrance of a Blooming Mind » (« Chimères – L’éclosion de l’éveil »), elle y dévoile 16 pièces à la fois organiques et minérales, dont des murales qui irradient d’une présence captivante. Réparties en trois séries : galets, bouquets et trophées, elles attestent d’une réelle sensitivité de l’artiste à la matière couplée à une grande maîtrise des techniques de cuisson, d’émaillage et de glaçure.

Jamais sans son four, son tour et son argile

Un travail au tour traditionnel auquel cette architecte de formation est pourtant arrivée par pur hasard. À peine diplômée en architecture de l’Alba, à la fin des années 1980, Souraya Haddad Crédoz part s’installer au Canada, où elle a l’opportunité d’intégrer un bureau d’architecture de paysage à Montréal. Premier virage. « J’y ai travaillé pendant trois ans. J’ai adoré ce qu’on y faisait, à savoir l’analyse des sites de façon à préserver les lieux, et j’ai décidé de me spécialiser en poursuivant une maîtrise en paysage », confie-t-elle. « Malheureusement, entre-temps, le bureau a fermé. Et je me suis retrouvée sans emploi, avec pas mal de temps libre. C’est alors que je tombe par hasard sur une grande affiche d’une école (Bonsecours) qui dispense des cours de céramique. Par curiosité, je décide de m’y inscrire et j’entraîne avec moi ma copine Nathalie Khayat (devenue depuis une céramiste beyrouthine reconnue). »

Pour mémoire

Jeu de mains, pas jeux de gamins

À raison d’un cours de façonnage et d’un autre de tournage chaque samedi durant un an, Souraya Haddad fait ainsi son incursion dans l’univers de la céramique. « Depuis, je n’ai plus jamais lâché mon four, mon tour et mon argile », dit-elle. « Je me suis mariée, je suis devenue maman de deux garçons, je me suis beaucoup déplacée, de ville en pays, mais partout où j’allais, j’installais un coin pour m’adonner à la poterie. D’abord en tant que hobby, puis depuis notre retour définitif au Liban il y a 8 ans, de manière professionnelle. »

Une céramique murale de la série des galets. Photo Caroline Tabet

Un désir d’enlacement…

Une activité dans laquelle cette artiste sensible met, au-delà de son savoir-faire (notamment dans les effets de textures et de d’émaillages...), toute son intériorité. Tout ce qui compose son univers d’être sensible animé d’une puissante quête intérieure. Une recherche de sérénité et d’un souffle épanouissant qu’elle trouve autant dans une certaine spiritualité méditative, soutenue par la pratique du qi-qong, « l’ancêtre du taï-chi », un art martial chinois auquel elle s’est initiée auprès d’un moine tibétain, que par sa « vision paysagère » du monde.

C’est justement une certaine « évocation alchimique des murmures secrets d’une terre marquée par un grand soleil nocturne » qu’elle livre dans cette exposition.

Photo Caroline Tabet

« Je n’ai jamais ressenti aussi fort le plaisir et la joie de travailler la céramique que pour cette première solo », confie-t-elle. « Et pourtant, cela n’a pas été facile. Parce que je devais conceptualiser mon travail, l’élaborer autour d’une d’idée directrice. Pour y arriver, j’ai fait énormément d’expérimentations. J’ai même façonné 20 pièces que j’ai abandonnées en chemin. Mais je ne le regrette pas, ce sont des pistes qui m’ont menée sur la voie de l’élément fondamental des 17 sculptures de cette collection (une a déjà été achetée par Hubert Le Gall, un grand designer français). À savoir, cette forme primaire pas tout à fait sphérique que j’ai façonnée, tournée, manipulée, élevée en hauteur et réunie en groupes. Des formes fragmentées que j’ai enlacées, dans un désir de les embrasser ensemble. De les réunir dans une même entité. En un ressenti spontané, comme quelque chose d’enfoui qui a explosé. En fait, c’est l’argile qui m’a guidée », affirme la céramiste.

Un geste artistique sorti donc des tréfonds de son inconscient. Sans doute engendré par l’émotion vécue lors de l’explosion au port de Beyrouth, depuis son appartement au 9e étage d’un immeuble d’Achrafieh. Et qui donne aux créations de Souraya Haddad Crédoz comme l’empreinte sous-jacente d’une force créatrice à la fois puissante – « jaillie des profondeurs de la colère que l’on éprouve, nous tous qui vivons dans ce pays », murmure-t-elle – et apaisante, voire réparatrice.

Des œuvres magnétiques, qui offrent un voyage dans l’imaginaire et laissent libre cours à l’interprétation de chacun. À découvrir.

« Chimera – Remembrance of a Blooming Mind » de Souraya Haddad Crédoz à la Saleh Barakat Gallery ; Clemenceau, rue Justinien. Jusqu’au 31 juillet.

Cela fait plusieurs années qu’elle travaille la céramique dans le silence de son atelier. Mais seulement cinq ans qu’elle s’y adonne de manière intensive, dans son antre personnel logé au sein de Bits To Atoms, l’entreprise de design 3D de son mari Guillaume Crédoz à Mekallès. Ainsi que dans sa maison familiale à Baskinta, où elle a installé son four à raku. C’est dire si...

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