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Culture - Entretien

La Libanaise Lana Daher décroche le Sundance Documentary Fund

Après avoir remporté la Robert Bosch Stiftung Grant, son documentaire « Do You Love Me »*, sorte de patchwork visuel fabriqué à partir d’images d’archives de l’époque de la guerre jusqu’aux crises actuelles du Liban, vient de décrocher le prestigieux Sundance Documentary Fund parmi plus de 1 300 candidatures.

La Libanaise Lana Daher décroche le Sundance Documentary Fund

Photo d’archives tirée du film « Do You Love Me » de Lana Daher. Photo DR

Lana Daher, quel a été votre premier contact avec le cinéma ?

C’est quelque chose dont j’ai du mal à cerner les sources. Le cinéma m’est venu très naturellement. Je suis rentrée d’Afrique de l’Ouest juste après la signature des accords de Taëf en 1990. C’était extrêmement déroutant, même pour une enfant de sept ans, de se retrouver dans un pays en débâcle où la guerre s’était terminée sans qu’on ne sache pourquoi et sur quelles bases. L’école me semblait comme une prison et donc, dans mes moments libres, je gravitais instinctivement autour de la caméra VHS qu’on avait à la maison. Je filmais tout. Ce n’est qu’à l’âge de 20 ans que j’ai consciemment été interpellée par la manière dont on lie son et image. Je me suis essayée à plusieurs activités artistiques en me cherchant sans doute, en décrochant un diplôme de graphic design de l’Université americaine de Beyrouth (AUB) puis en me dirigeant vers la musique et le DJing, avant de me décider à faire mes armes à l’Université de Goldsmiths de Londres d’où j’ai obtenu un masters en film making. C’était ma façon d’apprendre à maitriser les outils nécessaires pour faire mes propres films parce que je crois que cette profession ne s’étudie pas. Parallèlement, intuitivement et en attendant que mûrisse en moi mon premier opus personnel, dans tous les projets que j’entreprenais entre-temps, des clips musicaux, des films pour des artistes, j’allais sans le savoir vers une démarche toujours très documentaire.

Parlez-nous de la genèse de votre long-métrage « Do You Love Me » pour lequel vous avez décroché la Robert Bosch Stiftung Grant et, plus récemment, le Sundance Documentary Fund.

Dès l’enfance, j’ai développé une sorte de fétichisme pour la famille Bandali (célèbre famille libanaise de musiciens et de chanteurs, NDLR), et plus particulièrement Rémi qui, pour ma génération, représentait une certaine culture alternative et en tout cas une source d’espoir à la sortie de la guerre civile. Elle était, pour moi, une échappatoire. Il y a trois ans, j’ai eu envie de me pencher sur l’œuvre musicale de cette famille par le biais d’une série de recherches que j’ai entreprises au hasard. De fil en aiguille, d’un document d’archives à un autre, et plus globalement en découvrant des archives de médias de cette époque, je me suis mise à réfléchir à mon histoire et celle de toute ma génération d’après-guerre, et à toutes ces questions dont on n’avait pas les réponses. Nos connaissances par rapport à notre passé se limitaient aux histoires de nos parents, étant donné qu’à l’école, comme on le sait tous, nos livres d’histoire semblaient figer la mémoire de notre pays à l’indépendance. Donc, en farfouillant dans les archives des médias de l’époque de la guerre, j’ai réalisé que ces documents, bien que non politiques, cartographiaient tout un pan de notre histoire collective qu’on nous racontait en pointillé. De là m’est venue l’idée de rassembler ces bribes d’images, de sons provenant du cinéma, de la télévision ou de la radio, et d’écrire, à travers ce matériel-là, ma propre version de notre histoire. Ces morceaux d’archives locales me semblaient comme l’expression la plus vraie, la plus réelle et la moins biaisée de la société civile, et de la manière dont elle a traversé toute cette période allant de l’âge d’or à la guerre et jusqu’à aujourd’hui.

Photo d’archives tirée du film « Do You Love Me » de Lana Daher. Photo DR

Si vous deviez nous présenter un pitch rapide de ce documentaire, quel serait-il ?

Do You Love Me (titre provisoire) tire son nom de la chanson de la famille Bandali qui est sortie pendant la guerre civile. Il s’agit d’un documentaire d’archives sur la société libanaise à travers ses interminables périodes de guerre, ainsi que les troubles civils depuis lors jusqu’à aujourd’hui. J’y raconte les générations de Libanais qui ont grandi et vécu pendant et après la guerre civile. Avec des histoires et anecdotes d’hommes, de femmes et d’enfants qui sont restés au Liban au cours de ces années, ce film permet d’aborder un passé qu’on n’a jamais réussi à regarder en face. En fait, le film ne propose pas une histoire traditionnelle, mais tente plutôt de raconter toutes les différentes versions du passé et tente de résoudre l’énigme d’un pays incapable de s’entendre sur son propre passé. Et donc incapable d’avancer. Pourtant, il ne s’agit pas pour moi d’une nostalgie ou d’une promesse d’apporter des réponses drastiques, mais plutôt de soulever des questions par rapport à la vie des Libanais en ces moments difficiles pour peut-être en extraire le fil rouge d’une expérience partagée. Utilisant principalement des images d’archives et pas de figures politiques auxquelles on est habitués à donner la parole, le film tisse des liens entre passé et présent dans l’espoir de comprendre mieux l’histoire d’un pays et son présent.

Lana Daher tente de résoudre l’énigme d’un pays incapable de s’entendre sur son propre passé. Photo Ayla Daher

Comment s’est déroulé le processus de fabrication de ce long-métrage en forme de patchwork visuel ?

C’était un processus pas très typique, du fait que généralement, un film se construit par l’écriture, le tournage puis le montage, et que, dans mon cas, toutes ces étapes s’imbriquaient. Ce sont les images retrouvées qui dictaient le narratif du documentaire, et vice versa. Au départ, lorsque j’ai démarré ce travail en 2019, je tombais surtout sur des vidéos YouTube que sous-tendait un point de vue occidental, donc assez éloigné de la réalité sur le terrain. C’est là qu’il m’a fallu aller plus loin en allant chercher dans les archives de particuliers dont les pellicules étaient souvent dans un état de décrépitude, mais aussi dans les documents de Télé Liban, de Radio Liban et de vieux studios où j’ai retrouvé des pépites complètement oubliées. Ensuite, au fur et à mesure, je me suis mise à extraire de toute cette pile d’informations les images qui me paraissaient les plus adéquates par rapport au narratif de Do You Love Me. J’en ai constitué ma collection personnelle. Et une fois que le film sera finalisé, je devrai également travailler sur les droits d’utilisation des images. Mais le plus dur, c’était de réussir à mettre une fin à mon histoire, puisque, depuis la révolution d’octobre, le Liban ne cesse d’être secoué par des crises de plus en plus profondes et graves. À chaque fois que je pense avoir conclu, quelque chose se passe. Si bien que je me dis souvent que ce film pourrait me prendre une vie à terminer. Mais je pense que maintenant plus que jamais, c’est le bon moment d’explorer ces plaies qu’on n’a jamais réellement adressées, ne serait-ce que pour avoir un espace pour en guérir. Peut-être.

*« Do You Love Me » (titre provisoire) réalisé par Lana Daher, et coproduit par Lana Daher et Jasper Mielke

Lana Daher, quel a été votre premier contact avec le cinéma ?C’est quelque chose dont j’ai du mal à cerner les sources. Le cinéma m’est venu très naturellement. Je suis rentrée d’Afrique de l’Ouest juste après la signature des accords de Taëf en 1990. C’était extrêmement déroutant, même pour une enfant de sept ans, de se retrouver dans un pays en débâcle où la guerre...

commentaires (1)

Bravo Lana Daher!!!

Sabri

18 h 46, le 20 juin 2021

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Commentaires (1)

  • Bravo Lana Daher!!!

    Sabri

    18 h 46, le 20 juin 2021

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