« Ma candidature aux élections ordinales s’inscrit dans ma résistance face à un système qui a échoué »

La double explosion du port de Beyrouth, le 4 août dernier, a emporté sa fille de trois ans, suscitant en lui un sentiment de révolte et de rage, qui l’a poussé à s’engager dans les élections de l’ordre des ingénieurs dans l’espoir de battre les représentants des partis traditionnels : Paul Naggear, spécialiste en génie électrique, veut « résister » à une caste dirigeante qui lui a pris ce qu’il avait de « plus cher » au monde. Après maints reports sous divers prétextes, dont la pandémie du coronavirus, la première étape des élections se tiendra le 27 juin. Seront élus 282 membres de l’assemblée des délégués (soit la moitié des membres qui la composent) où l’ingénieur de 36 ans brigue un siège. La deuxième étape, le 18 juillet, sera consacrée à l’élection d’un président de l’ordre, en remplacement de Jad Tabet, et de 10 membres sur les 16 du conseil (dont le président).

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« Aussitôt après les funérailles d’Alexandra, nous avons décidé, mon épouse et moi, de ne pas nous résigner et d’agir pour pouvoir continuer à vivre dans ce pays dont la classe politique au pouvoir nous a fait beaucoup de mal », explique M. Naggear dans un entretien avec L’Orient-Le Jour. Dès lors, les parents éplorés s’engagent dans l’action sociale et s’emploient à se concentrer sur « la recherche de la justice » en prenant l’initiative de se rapprocher des groupes de proches des victimes du cataclysme du port, tout en entreprenant des contacts avec des organisations internationales, dont Human Rights Watch, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et Legal Action Worldwide (qui prône des enquêtes indépendantes et impartiales). En référence à une éventuelle implication des dirigeants politiques dans la tragédie, Paul Naggear affirme être convaincu que « des criminels ne peuvent s’auto-juger ». Il espère toutefois que l’enquêteur judiciaire près la Cour de justice, Tarek Bitar, émettra un acte d’accusation « exhaustif et puissant ». Au-delà de l’application d’une justice nationale ou internationale, il voudrait surtout œuvrer à changer « le régime actuel corrompu ».

Microcosme politique

Pour tenter d’atteindre son objectif, le jeune ingénieur a établi un lien avec des activistes opposés, comme lui, à un pouvoir qui a « engouffré le pays dans une crise et un déclin invraisemblables ». Il communique avec le Club laïc, un mouvement indépendant de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et de plusieurs autres universités, notamment la Lebanese American University (LAU) et l’Université Saint-Joseph (USJ). Le collectif a remporté de grandes victoires lors des dernières élections estudiantines et figure maintenant dans divers ordres professionnels à travers différents groupes autonomes. « Je partage les valeurs de ce collectif laïc qui prône la justice, la démocratie et le progrès », déclare Paul Naggear.

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Le groupement séculier fait partie de la formation baptisée « L’ordre se révolte », une coalition de plusieurs groupes d’ingénieurs née dans le sillage du mouvement du 17 octobre, avec pour dénominateur commun l’opposition au système politique actuel basé sur le partage des parts. Lorsque ses membres, qui poursuivent dans l’ordre des ingénieurs leur action politique entreprise sur les campus universitaires, lui ont proposé de se porter candidat pour les représenter, Paul Naggear n’a pas hésité, estimant que « la conjonction des efforts conduirait au changement ». « J’ai voulu saisir l’opportunité de me battre dans ce microcosme du paysage politique et transformer ma rage du 4 août en une action publique », indique-t-il, en se promettant de « résister » dans sa quête de la justice.

Et le jeune ingénieur d’exprimer, plus généralement, son constat d’un « échec total de la gouvernance du pays ». « Au-delà du débat sur la corruption et la criminalité qui nous ont pris ce que nous avions de plus cher, il s’agit de la résultante d’une mauvaise gestion qui continue d’exposer le pays à de grands risques sociaux, économiques et sécuritaires. Or nous ne pouvons plus subsister dans la déchéance à laquelle nous a conduits ce pouvoir défaillant. Le changement est nécessaire et obligatoire », préconise Paul Naggear.