Mai 2017. Le principal candidat du camp conservateur Ebrahim Raïssi est largement battu dès le premier tour de l’élection présidentielle iranienne face au président sortant modéré Hassan Rohani. Selon plusieurs observateurs, M. Raïssi échoue, notamment alors qu’il est considéré comme une menace pour l’accord nucléaire que son rival avait défendu en 2015 dans le but d’obtenir la levée progressive des sanctions internationales et d’améliorer les relations avec les États-Unis. Quatre ans plus tard, le chef du pouvoir judiciaire Ebrahim Raïssi est donné favori du scrutin présidentiel du 18 juin et considéré comme un proche du guide suprême Ali Khamenei à qui il pourrait succéder. Et ce alors qu’un sixième cycle de négociations indirectes entre Téhéran et Washington débute cette semaine à Vienne pour tenter de relancer l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), que Donald Trump a quitté en 2018 dans le cadre de sa politique de « pression maximale ».
« Ebrahim Raïssi fait partie de l’aile dure du régime iranien dont les visions du monde sont autoritaires et fortement antiaméricaines », observe Firouzeh Nahavandi, professeure à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Il avait ainsi déclaré fin mars : « Au lieu de poursuivre des négociations avec l’ennemi, nous devons résoudre les problèmes économiques du pays en gérant correctement nos capacités humaines et naturelles. »
Dernier mot
Contrairement à l’aile réformatrice tournée vers l’engagement avec l’Occident et ouverte aux solutions diplomatiques aux conflits régionaux et dans le monde, les conservateurs s’opposent souvent à toute reprise de contact avec les Occidentaux tout en prônant des politiques d’isolationnisme. Malgré cela, les prérogatives du président en termes de politique étrangère restent limitées au profit du guide suprême ayant le dernier mot. « La politique étrangère et de sécurité iranienne n’est pas définie par le président iranien ou son ministère des Affaires étrangères, mais plutôt par son guide suprême Ali Khamenei et une série d’institutions, comme le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et le Conseil suprême de sécurité nationale, commente Behnam Ben Taleblu, chercheur à la Fondation pour la défense des démocraties (FDD). C’est pourquoi la République islamique a maintenu une politique étrangère et de sécurité révolutionnaire malgré les changements de présidents. »
Or, « l’État profond » serait favorable à la politique de rapprochement initiée par l’administration Biden à l’égard de Téhéran afin de rétablir le JCPOA. Aux yeux de l’Iran, atténuer les problèmes économiques du pays, aggravés par les sanctions internationales et la pandémie de Covid-19, est une priorité malgré les désaccords qui persistent avec Washington. « Les pourparlers indirects sont menés dans un climat de méfiance des deux côtés. Les exigences des uns et des autres sont difficiles à réaliser, alors que les Iraniens souhaitent que les sanctions qui leur sont imposées soient levées avant que des pourparlers sérieux puissent aboutir et que les Américains ne veulent pas céder », explique Firouzeh Nahavandi.
Mardi soir, Ebrahim Raïssi s’est cependant exprimé en faveur du retour de la République islamique dans l’accord de 2015. « Le devoir de toute administration présidentielle qui vient est de lever les sanctions oppressives et de neutraliser simultanément l’impact des sanctions », a-t-il déclaré lors du second débat présidentiel diffusé à la télévision. Selon plusieurs observateurs, l’arrivée au pouvoir d’un candidat ultraconservateur faciliterait même le rétablissement de l’accord nucléaire. Avec un président issu de l’aile dure du régime, l’exécutif iranien sera ainsi aligné avec les autres institutions de l’État, parmi lesquelles le pouvoir judiciaire, le CGRI ainsi que le Parlement, limitant les désaccords internes. « Petit à petit, tous ceux qui faisaient partie de l’aile réformatrice ont été mis à l’écart de l’élection présidentielle, ce qui peut facilement déboucher sur une cohérence interne des différentes instances », poursuit Firouzeh Nahavandi.
Changement de ton
Si Ebrahim Raïssi ou l’un des quatre autres candidats ultraconservateurs accédait à la présidence, le changement de politique étrangère semble davantage s’opérer dans le ton que dans les faits. « Qu’il soit pragmatique ou ultraconservateur, le président iranien mène une politique étrangère prédéterminée et révolutionnaire. C’est pourquoi, sous Ahmadinejad et Rohani, l’Iran a continué à soutenir le Hezbollah libanais, à s’opposer à son concurrent régional, l’Arabie saoudite, ainsi qu’à aider divers groupes terroristes et milices qui cherchent à consacrer l’influence de la République islamique au Moyen-Orient, estime Behnam Ben Taleblu. Un président plus intransigeant peut réthoriquement ajouter de l’huile sur le feu. »
Ainsi, le statu quo semble de mise sur les grandes orientations stratégiques de l’Iran, même si des inconnues persistent. La prochaine administration iranienne pourrait par exemple continuer à accueillir favorablement le rapprochement initié par Riyad ou au contraire durcir le ton à l’égard de ses voisins. « Le dernier président conservateur, Ahmadinejad, avait choqué l’opinion publique en multipliant les déclarations provocatrices sur les juifs et l’Holocauste pour attaquer Israël. On peut craindre que Raissi, qui est issu de la même mouvance, durcisse également le ton à l’égard des rivaux de la République islamique », résume Firouzeh Nahavandi.
commentaires (3)
C'est blanc bonnet et bonnet blanc tout comme dans toute les dictatures. On prétend être réformateur mais en fait c'est une petite édulcoration du régime car les dit modérés ont trop peur d'agir et se soumettent aux desiderata des plus extrémistes. Alors Raissi, Ahmadinejad, Rohani, Basmati ou autre patate pourri cela ne changera rien.
Pierre Hadjigeorgiou
10 h 53, le 11 juin 2021