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Moyen-Orient - Éclairage

Derrière la présidentielle iranienne, l’enjeu de la succession du guide suprême

En œuvrant pour que la branche exécutive du pouvoir revienne à un ultraconservateur, le régime semble tout faire pour assurer une transition rapide et sans accrocs vers l’ère post-Khamenei.

Derrière la présidentielle iranienne, l’enjeu de la succession du guide suprême

Ali Khamenei s’exprimant en visioconférence devant le Parlement à Téhéran, le 27 mai 2021. Khamenei.ir/AFP

C’est l’autre élection. Celle qui ne requiert ni mobilisation massive ni démocratie de façade. Celle qui se prépare discrètement, derrière la mise en scène du scrutin présidentiel prévu pour le 18 juin. Avant même l’annonce des sept candidats retenus par le Conseil iranien des gardiens de la Constitution le 25 mai dernier, certains observateurs évoquaient un rendez-vous électoral décisif dont les enjeux dépasseraient de loin l’arrivée d’une nouvelle administration aux manettes d’un exécutif à la marge de manœuvre, de toute manière, limitée. Cette fois-ci, ils semblent ainsi concerner directement l’épineuse question de la succession du véritable « chef de l’État », numéro un du régime à qui revient le dernier mot sur tous les grands dossiers, le guide suprême Ali Khamenei.

Car celui qui sortira vainqueur des urnes devra jouer un rôle crucial dans la transition si l’ayatollah – âgé de 82 ans – décède durant son mandat. « En cas de décès, d’incapacité ou de révocation du chef de l’État, un conseil composé du président de la République, du président du Parlement et du chef de la magistrature remplit ses fonctions jusqu’à ce qu’un nouveau soit élu, explique Ali Alfoneh, spécialiste de l’Iran et chercheur auprès de l’Arab Gulf States Institute basé à Washington. Le Conseil n’aura pas un vote décisif en ce qui concerne l’élection du successeur, mais peut toujours constituer une position d’influence. »

Parmi les sept candidats sur près de 600 retenus par le Conseil des gardiens, l’organe non élu – proche de l’aile la plus dure du régime – a écarté tout rival sérieux à celui qui apparaît comme le favori du guide suprême et de l’État profond : le très conservateur Ebrahim Raïssi, nommé en 2019 par Ali Khamenei chef du pouvoir judiciaire. Comme s’il y avait une volonté de donner à M. Raïssi l’une des cordes manquantes à son arc, une légitimité issue du système électoral iranien, afin de préparer, ou tout du moins de multiplier ses chances d’accéder à la plus haute fonction.

Le bras long des IRGC

Pour les durs du régime, l’élection du 18 juin leur permettrait de renforcer leur mainmise sur tous les centres d’influence avant que ne vienne le moment de choisir le prochain guide suprême et d’opérer une transition rapide et sans accrocs. « L’Iran pourrait se préparer à cela à l’avance pour éviter les transitions de dernière seconde qui pourraient être perturbatrices et minimiser l’élément de surprise qui accompagne une transition », commente Banafsheh Keynoush, spécialiste en affaires étrangères et membre de l’International Institute for Iranian Studies. Certains prédisent une répétition du scénario de 1989, lorsque après huit ans à la présidence, Ali Khamenei avait été choisi pour succéder à l’ayatollah Khomeyni. « Des factions puissantes parmi les élites dirigeantes du régime considérant Ali Khamenei comme un leader faible, et donc souhaitable, ont ignoré les règles et l’ont élu. Une fois chef, le régime a modifié rétroactivement la Constitution afin que Khamenei puisse être à la hauteur des exigences constitutionnelles, souligne M. Alfoneh. Dans une situation où les règles ne s’appliquent pas et où le pouvoir change de mains en fonction de sa répartition entre les élites dirigeantes du régime, la désunion et les conflits entre elles peuvent avoir des résultats catastrophiques pour la République islamique. »

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Pourquoi le régime iranien a choisi Raïssi

L’élection présidentielle iranienne et la préparation de la succession de Ali Khamenei interviennent dans un double contexte. En interne, l’Iran a connu fin 2019-début 2020 un soulèvement violemment réprimé dans lequel les contestataires dénonçaient d’abord la dégradation de leurs conditions de vie et, dans certains cas, les dépenses allouées par le régime sur des terrains régionaux plutôt que pour la population. En termes de diplomatie, la République islamique est actuellement en pleine négociation avec Washington concernant un retour américain à l’accord sur le nucléaire de 2015, dont le président américain précédent Donald Trump s’était retiré de manière unilatérale en 2018, avec des conséquences socio-économiques terribles. Si le régime a urgemment besoin d’un allégement des sanctions à son égard, il veut aussi s’assurer que la nouvelle administration en charge de l’exécutif sera suffisamment robuste pour défendre ses lignes rouges, à savoir son arsenal balistique et ses activités régionales. Or, en plus d’être une figure religieuse, un « sayyed », Ebrahim Raïssi est aussi favorable à une stricte application de la loi islamique aux dépens des libertés individuelles. Il s’est notamment illustré en 1988 comme étant l’un des juges à avoir appliqué l’ordre d’exécution de masse émis par l’ayatollah Ruhollah Khomeyni contre 5 000 prisonniers politiques, et hostile à un engagement accru avec les gouvernements occidentaux. M. Raïssi est également vice-président de l’Assemblée des experts. En 2016, celle-ci avait créé un comité pour présélectionner des candidats qualifiés pour le poste. Son mandat doit prendre fin en 2024, alors que le président qui sortira vainqueur du scrutin du 18 juin sera toujours en fonctions. L’élection présidentielle prochaine semble être une opportunité pour les différentes forces politiques d’influencer la décision finale de l’Assemblée, chargée d’élire le successeur de Khamenei. Depuis 2015, le pouvoir des corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC) – bras armé idéologique du régime – n’a fait que croître pour mieux façonner les politiques militaires, sécuritaires et étrangères du pouvoir, en en consolidant le caractère « milicien », en Irak et en Syrie notamment. M. Raïssi entretient des relations étroites avec le IRGC et, d’après certaines analyses, celui-ci aurait soutenu le processus très strict de qualification des candidats à la présidentielle dans le but d’appuyer sa propre candidature.

Monarchie islamique ?

Mais si la victoire d’Ebrahim Raïssi semble courue d’avance, sa promotion au rang de numéro un du régime n’est pas garantie. « La position du guide suprême est déjà organisée par la Constitution et par l’Assemblée des experts. Selon la Constitution, le leader suprême doit s’engager à ne soutenir aucun des candidats. Il l’avait fait à l’époque de Mahmoud Ahmadinejad et cela s’était retourné contre lui et il avait dû entrer en confrontation avec ce dernier au cours de son second mandat », avance Mahjoob Zweiri, professeur associé en politique contemporaine du Moyen-Orient à l’Université du Qatar, qui souligne le manque d’expérience en politique étrangère et économique du sexagénaire.

L’accession à la présidence pourrait également se révéler à double tranchant pour M. Raïssi, puisqu’il sortirait victorieux d’un scrutin peu contesté et boycotté par de larges pans de la société, à plus forte raison s’il ne parvient même pas à rassembler les quinze millions de voix obtenues en 2017, lorsqu’il avait perdu contre Hassan Rohani. Or il est un autre nom qui est souvent évoqué pour succéder à Ali Khamenei, celui de son fils Mojtaba. Ce dernier est notamment tenu pour responsable de la violente répression des manifestations qui ont suivi l’élection présidentielle au résultat contesté de 2009. Il aurait depuis graduellement consolidé son pouvoir au sein du IRGC et d’autres institutions sous la coupe directe de son père. Selon certaines rumeurs, il chercherait à propulser Ebrahim Raïssi à la présidence pour mieux saper ses possibilités de devenir chef suprême. Mais Ali Khamenei n’a jamais introduit son fils de la sorte aux yeux du grand public pour ne pas prendre le risque d’endommager durablement la légitimité de son bureau, colonne vertébrale du régime. Cela pourrait apparaître comme une réactivation sous forme islamique de la monarchie héréditaire du chah, dont l’abolition fut l’une des grandes victoires de la révolution de 1979.

C’est l’autre élection. Celle qui ne requiert ni mobilisation massive ni démocratie de façade. Celle qui se prépare discrètement, derrière la mise en scène du scrutin présidentiel prévu pour le 18 juin. Avant même l’annonce des sept candidats retenus par le Conseil iranien des gardiens de la Constitution le 25 mai dernier, certains observateurs évoquaient un rendez-vous...

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