
Le député du Courant patriotique libre Ibrahim Kanaan dans les locaux du Parlement, hier, pour la présentation à la presse de la loi sur le contrôle des capitaux. Photo P.H.B.
C’était l’un des points importants de l’agenda des responsables politiques cette semaine dans un contexte de crise économique et financière de plus en plus aiguë. La commission parlementaire des Finances et du Budget a approuvé hier une proposition de loi instaurant un contrôle formel des capitaux, plus d’un an et demi après que les banques, en mal de liquidités, ont commencé à restreindre illégalement l’accès des déposants à leurs comptes en devises.
La nouvelle a été annoncée lors d’une brève conférence de presse au Parlement par le président de la commission, le député Ibrahim Kanaan (Courant patriotique libre), qui est également l’auteur de la proposition. L’ancien ministre des Finances, le député berryste Ali Hassan Khalil, a également partagé l’information sur son compte Twitter ainsi que lors d’un point de presse à l’issue de la réunion. Selon lui, « la proposition de loi doit organiser les transferts d’argent vers l’étranger », ainsi que les « retraits effectués par les déposants » à partir de leurs comptes. Les deux hommes ont insisté sur le caractère « exceptionnel et temporaire » de la mesure, qui doit selon eux s’intégrer dans un processus plus vaste d’assainissement et de réforme du pays. Ils ont aussi assuré que la loi s’imposerait sur les éventuelles circulaires que la Banque du Liban (BDL) aurait ou pourrait adopter, alors que cette dernière prévoit d’en publier une nouvelle qui permet aux déposants de retirer certains montants en dollars de leurs comptes en devises dont l’accès a été restreint par les banques.
Dollar étudiant
Ibrahim Kanaan a pour sa part affirmé qu’il allait envoyer rapidement un « rapport » contenant la version amendée du texte à la présidence du Parlement qui aura la charge de voter définitivement la loi. Le député, qui n’a pas répondu aux questions des journalistes, a toutefois fourni lors de son intervention quelques menues précisions sur le contenu de la proposition, ainsi que sur les conditions dans lesquelles le texte avait été adopté par la commission, qui a commencé à se pencher dessus il y a moins de deux mois. Aucune copie de la proposition n’avait été officiellement rendue publique au moment de passer sous presse.
Le texte approuvé prévoit ainsi d’instaurer des restrictions sur les retraits d’espèces et les transferts, avec certaines exceptions comme la prise en charge de certains frais médicaux, ou encore le paiement de frais pour les familles dont les enfants étudient à l’étranger – dans les clous de ce que prévoit déjà la loi sur le « dollar étudiant » votée fin septembre dernier. Ce dernier texte, contesté par les banques, permet aux familles dont les enfants sont inscrits dans des universités ou des instituts techniques supérieurs à l’étranger, ce depuis avant l’année scolaire 2020-2021, de leur transférer 10 000 dollars maximum par an provisionnés depuis un compte en devises ou en livres après conversion au taux officiel.
La proposition de loi suggère en outre d’établir un plafond de transfert annuel de maximum 50 000 dollars par déposant. Les déposants pourront en parallèle retirer entre 15 et 20 millions de livres par mois en espèces, en plus du montant de leurs salaires, ainsi qu’un maximum de 400 à 800 dollars en « vrais dollars ». Le texte impose enfin que l’ensemble des opérations de conversion, sans préciser si les crédits en dollars y étaient inclus, soient faites en utilisant le taux affiché sur la plateforme de change Sayrafa, lancée par la BDL en juin 2020 à destination des agents de change et récemment ouverte aux banques.
Ibrahim Kanaan et Ali Hassan Khalil ont tous les deux déploré le fait que la commission ait dû adopter le texte sans que la BDL et l’Association des banques du Liban (ABL) ne leur envoient toutes les données chiffrées qu’elle avait demandées. Certains plafonds communiqués pourraient ainsi être modifiés par les parlementaires lors de l’examen définitif du texte à la lumière des éventuels chiffres complémentaires fournis d’ici là – la BDL n’aurait toutefois rien encore envoyé, selon Ibrahim Kanaan.
Ce dernier a enfin consacré une portion importante de son intervention à minimiser la responsabilité du Parlement concernant le fait que le pays ne s’était toujours pas doté d’une loi instaurant un contrôle formel des capitaux, une mesure réclamée par de nombreuses instances internationales qui ont tenté en vain de pousser les autorités libanaises à adopter des mesures fortes pour redresser le pays. Il a également jugé qu’un tel texte ne violait pas la Constitution, soulignant le précédent survenu dans les années 1960 dans le sillage du crash de l’Intra Bank, qui avait conduit le gouvernement de l’époque à adopter des mesures similaires par voie de décret législatif, entre autres arguments.
Il reste que la mobilisation tardive et les vœux pieux de la commission peuvent sonner creux pour beaucoup de Libanais qui se sont vu refuser illégitimement l’accès à leurs dépôts par leurs banques, lesquelles ont en parallèle autorisé certains de leurs clients à sortir leur argent du pays. Plusieurs experts et associations de juristes ont de plus souligné à de nombreuses reprises que l’absence d’une telle loi compliquait lourdement les procédures judiciaires lancées par des déposants contre leurs banques, tout en rendant leurs issues incertaines. Une partie de ces juristes ont enfin rappelé que le Code de la monnaie et du crédit ouvrait à la BDL la faculté d’imposer de manière très temporaire des mesures de contrôle des capitaux, reprochant à cette dernière de ne pas l’avoir fait lorsque les banques avaient rouvert leurs portes après un mois de fermeture en discontinu dans le sillage du début de la contestation du 17 octobre 2019.
Le gouverneur de la BDL a, lui, assuré à plusieurs reprises dans les médias – notamment en janvier sur France 24 – qu’il avait suggéré aux autorités d’adopter un tel dispositif mais que cela avait été « refusé ». Or, en novembre 2019, le haut responsable avait assuré lors d’une conférence de presse à la BDL qu’aucune politique de ponction sur les dépôts (« haircut ») ou de contrôle des capitaux (« capital control ») ne serait mise en œuvre.
En près de deux ans de crise marquée par un effondrement de la monnaie, la BDL a enfin autorisé les retraits en livres effectués à partir de comptes en devises restreints (les « dollars libanais » ou « lollars ») à un taux supérieur à la parité officielle de 1 507,5 livres mais systématiquement inférieur à celle du marché parallèle, tout en consacrant la notion de « dollars frais » inventée par l’ABL pour décrire les devises transférées depuis l’étranger ou déposées en espèces et qui sont, elles, convertissables au taux du marché parallèle. Un système que le Parlement n’a jamais ouvertement contesté et qui a permis pour un nombre de plus en plus important d’experts de lirifier de force des dépôts en devises tout en contraignant les clients des banques libanaises à accepter une décote sur la valeur de leurs dépôts en devises.
commentaires (6)
Les libanais refusent de se conformer aux décrets et décisions prononcés par les pilleurs et ne cesseront jamais de se battre avant de récupérer la totalité de leur argent. Voilà la réponse qui sied à ces individus voleurs et arrogants qui, après avoir pillé viennent imposer leurs doctrines avec insolence accablant les citoyens du résultat de leur larcins en leur demandant encore et toujours d’essuyer leurs crasses avec un culot plus gros que leurs fortunes amassées et leur incompétence comme une provocation de plus. Je me demande comment les citoyens arrivent encore à accepter cet état de pourrissement dans un pays sans état de droits et qu’ils ont transformé en un amas de fumier.
Sissi zayyat
16 h 39, le 09 juin 2021