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Idées - Réformes

La stabilisation monétaire passe aussi par un changement politique

La stabilisation monétaire passe aussi par un changement politique

Photo d’illustration : archives AFP

Depuis plus d’un an et demi, le Liban subit la pire crise économique et financière de son histoire, laquelle résulte de l’effondrement d’un modèle économique insoutenable adopté à la suite des accords de Taëf. Ce consensus politique de plus de deux décennies a réparti les ressources de l’État entre les factions rivales du pays – notamment au nom de la prévention d’un nouveau conflit civil – tout en produisant une économie rentière alimentée par un État rongé par la corruption. Et c’est la raison d’être même de ce modèle – le système clientéliste – qui a entravé la croissance économique et la justice sociale, a généré une corruption endémique, étatique et non étatique, a bloqué des réformes nécessaires depuis longtemps et a finalement rendu le pays plus vulnérable aux chocs extérieurs.

Ce modèle étant désormais effondré, sans perspective de retour possible, le pays reste à la recherche d’une vision économique claire et durable permettant d’atteindre à terme une croissance équilibrée et créatrice d’emplois. L’élaboration de ce nouveau modèle économique a toutefois pour condition préalable de parvenir à une stabilisation de la situation monétaire à travers une série de mesures à court, moyen et long terme. Ce programme de stabilisation permettrait à terme de résorber les déficits jumeaux (déficit public et de la balance des paiements), d’enrayer la perte des réserves extérieures et de réduire l’incertitude des transactions économiques, ce qui stimulerait les performances économiques à long terme. Si ce programme est accompagné d’une restructuration de la dette, d’une restructuration du secteur financier et de réformes fiscales, le Liban pourrait réussir sa transition d’une économie rentière, basée sur les services, vers un modèle d’économie ouverte et compétitive reposant sur des droits de douane peu élevés, un régime de taux de change flexible et un secteur d’exportation dynamique.

Mesures d’urgence

La résolution des distorsions et des inefficacités actuelles du marché monétaire nécessite en premier lieu l’adoption de mesures immédiates pouvant être mises en œuvre dans un délai ne dépassant pas six mois. Il s’agira d’abord d’unifier les différents taux de change existants, avec l’assistance technique du FMI, en éliminant les réglementations et les obstacles aux opérations du marché des changes, et d’établir une plateforme de change transparente, suffisamment liquide et efficace pour permettre au taux de répondre aux forces du marché. Le rôle de la BDL à cet égard devrait être réduit et limité à la gestion de la volatilité.

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Cela suppose en parallèle de réduire l’utilisation inefficace des réserves de devises. Et ce à travers, d’une part, l’introduction trop longtemps attendue d’une loi sur le contrôle des capitaux, conformément aux recommandations du FMI, afin de limiter le flux des sorties tout en assurant l’égalité de traitement des déposants et en mettant fin aux abus actuels ; et d’autre part, la mise en œuvre d’un changement progressif du programme actuel de subventions, en faveur de transferts directs en espèces aux ménages dans un premier temps. Un tel programme permettrait d’améliorer la balance des paiements du Liban, de prolonger de manière significative le délai d’épuisement des réserves restantes de la BDL et d’atténuer l’impact sur les pauvres et la classe moyenne du Liban. En outre, il contribuerait à réduire de plus de 50 % le coût de la réserve de change de la BDL. Par la suite, tout nouveau programme de subvention devrait être inclus dans un plan de protection sociale complet inclus dans les budgets fiscaux annuels.

Il faudra en outre reprendre le contrôle rapide de la masse monétaire et réduire l’impression de monnaie en abrogeant la circulaire 151 de la BDL, qui recouvre les dollars bancaires (« lollars ») en imprimant plus de monnaie en livres libanaises. Pour y parvenir, le gouvernement, la BDL et les banques doivent, par le biais de négociations, se mettre d’accord sur une répartition claire et équitable des 241 000 milliards de livres libanaises de pertes estimées l’an dernier par le plan de redressement financier du gouvernement Diab, en protégeant les déposants autant que possible. Reprendre le contrôle de la masse monétaire suppose aussi d’améliorer l’efficacité des dépenses publiques et la collecte des recettes fiscales, dans la mesure où le déficit budgétaire et le paiement des salaires du secteur public se traduisent par de l’impression monétaire. Pour ce faire, il convient de fixer des objectifs clairs en matière de réduction de la taille du secteur public et d’augmentation de sa productivité, notamment par le biais d’un audit de la fonction publique par une institution internationale indépendante et d’un plan global de réforme fiscale.

Cela suppose enfin de reprendre et de conclure au plus vite les négociations avec le FMI afin de s’engager sur un programme permettant d’injecter des liquidités en devises, de restaurer la confiance et de créer les conditions nécessaires à la relance de l’économie.

Compétitivité

Pour maintenir la stabilisation monétaire à long terme, le Liban devra s’attaquer par ailleurs à son déficit commercial chronique. Le processus a déjà commencé, bien qu’involontairement, en raison de la dévaluation de la monnaie et de la baisse drastique du revenu disponible des ménages. Les dix premiers mois de 2020 ont ainsi vu une contraction nette de 55 % en glissement annuel du déficit commercial, à 6,1 milliards de dollars selon les douanes du Liban. Les importations de véhicules de transport, de métaux, de textiles et d’équipements électriques ont chacune chuté de plus de 50 %. Parallèlement, les exportations de produits végétaux ont augmenté de plus de 30 % sur la même période. Ces tendances offrent une opportunité de rééquilibrer le commerce du Liban en diminuant les importations et en augmentant les exportations. La clé de ces deux objectifs serait d’investir dans certains secteurs productifs à forte valeur ajoutée, principalement les produits agricoles (huile, vin, épices, confitures) et les produits artisanaux (vêtements, coutellerie, savon). La faible capacité de production du Liban ne lui permettra pas de concurrencer les produits importés en termes de quantité; son avantage compétitif devra plutôt être qualitatif. La population libanaise est de plus en plus friande de produits fabriqués localement, tant pour des raisons économiques que par tradition, et la crise a considérablement favorisé un processus de substitution des produits alimentaire et des boissons locales aux denrées importées. En outre, la dévaluation de la livre pourrait bénéficier à la plupart des secteurs productifs.

Cette recherche de compétitivité passe également par l’investissement dans des infrastructures durables et de haute qualité qui stimulerait davantage la productivité. La feuille de route existe déjà : c’est celle définie en 2018 à CEDRE et assortie d’une enveloppe de 11 milliards de dollars conditionnés à la réalisation des réformes promises – et à ce jour toujours bloqués en totalité par l’absence d’action politique.

Les réformes à entreprendre concernent naturellement aussi un cadre juridique obsolète en ce qui concerne les investissements privés. Le Liban doit réviser sa loi sur les investissements, élaborer les réglementations nécessaires à la mise en œuvre de sa loi sur les partenariats public-privé et étoffer d’autres politiques et organismes de réglementation qui pourraient résoudre des problèmes tels que la concentration du marché et les pratiques anticoncurrentielles.

L’accès au financement est depuis longtemps un obstacle majeur pour les entreprises libanaises, en particulier les start-up et les PME. Cet accès sera sérieusement compromis pendant une longue période en raison des dommages causés au secteur bancaire par la crise économique. Il convient de définir des mesures créatives et durables pour assurer le financement de l’après-crise. L’écart entre l’offre et la demande de capitaux, où les capitaux propres ont toujours joué un rôle limité, doit également être résolu.

L’objectif est de rendre les produits libanais plus compétitifs non seulement au niveau local, mais aussi à l’étranger, afin de compléter la baisse des importations par la promotion des exportations. Outre les mesures décrites ci-dessus, et pour maximiser les avantages potentiels pour les entreprises libanaises, les autorités doivent élaborer une politique nationale d’exportation ciblée et bien conçue, qui encourage les investissements dans les produits à forte valeur ajoutée. Il faut également reprendre les négociations en vue de l’adhésion du Liban à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et se garder d’une approche strictement protectionniste : la substitution des importations échouera si le Liban cherche à remplacer toutes ou même la plupart de ses importations par des alternatives fabriquées localement, car faute de disposer des infrastructures et de la gamme de matières premières nécessaires, le Liban devrait plutôt encourager spécifiquement les produits à forte valeur ajoutée qui seraient autrement coûteux à importer ou qui ont un marché à l’étranger, tout en maintenant des droits de douane bas pour encourager le commerce.

Opportunité

Cependant, dans la mesure où l’effondrement économique du pays résulte aussi et avant tout de la faiblesse des institutions et de la corruption endémique, il faudra aussi s’attaquer à des réformes plus larges qui ne sont pas strictement économiques ou fiscales (éliminer la politisation et la corruption du système judiciaire libanais, numériser et moderniser les procédures douanières, réformer les marchés publics...).

Compte tenu de la réticence de la classe politique actuelle à adopter des mesures de réforme sérieuses au cours des dernières décennies, la mise en œuvre de ces dernières dépend d’un nouvel équilibre des pouvoirs. Le Liban a une opportunité-clé – peut-être la seule – de réaliser ce changement politique lors des élections parlementaires prévues au printemps 2022. Ces élections représentent le seul moyen pour les Libanais de demander des comptes à leurs dirigeants politiques, et pourraient également présenter une voie institutionnalisée vers un nouveau gouvernement ayant à la fois la volonté et la capacité de s’engager sérieusement avec le FMI, de mettre en œuvre un véritable programme de réformes, de restaurer la confiance et de créer les conditions nécessaires à une relance économique.

La communauté internationale doit donc faire pression sur les acteurs politiques libanais pour qu’ils garantissent des élections libres, équitables et rapides l’année prochaine. Si elle n’a pas les moyens de le faire et que les politiciens libanais retardent encore les élections, le pays n’aura plus qu’un seul choix : un nouvel accord négocié entre les mêmes acteurs actuels qui ont jusque-là failli à entreprendre toute réforme.

Ce texte est une traduction synthétique, revue avec l’auteur, d’un article publié en anglais sur le site de l’Arab Reform Initiative

Économiste.

Depuis plus d’un an et demi, le Liban subit la pire crise économique et financière de son histoire, laquelle résulte de l’effondrement d’un modèle économique insoutenable adopté à la suite des accords de Taëf. Ce consensus politique de plus de deux décennies a réparti les ressources de l’État entre les factions rivales du pays – notamment au nom de la prévention d’un...

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C’est la condition même de la stabilité... Chasser la mafia !

LeRougeEtLeNoir

16 h 59, le 29 mai 2021

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Commentaires (1)

  • C’est la condition même de la stabilité... Chasser la mafia !

    LeRougeEtLeNoir

    16 h 59, le 29 mai 2021

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