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Les nullards du dollar


Déclinée sous forme de théorie en règle sous l’Allemagne hitlérienne, intensivement pratiquée durant la guerre froide qui a longtemps opposé les Occidentaux et le bloc soviétique, la mise en condition des populations procède de la bonne vieille douche écossaise. Les gens ne sont certes pas des chiens, mais elle s’inspire largement aussi du fameux réflexe de Pavlov, que vous avez découvert en classe de sciences nat’.

Le fonctionnement en est d’une déroutante simplicité : une menace est brandie, aussitôt génératrice de tension ; vient ensuite une mensongère mesure d’apaisement, entraînant cette fois relâchement, détente, démobilisation ; les jeux sont faits, on est mûr pour la troisième phase, celle de la réalité brutalement assénée et qui vous laisse prostré dans votre impuissance.

C’est cette succession de signaux, tantôt positifs et tantôt cataclysmiques, qu’endurent, depuis de longs mois, les Libanais. Ceux-ci ont placé de folles espérances dans la généreuse initiative du président français Emmanuel Macron, que le cartel politico-mafieux s’est chargé de démonter pièce par pièce. Orphelins de gouvernement alors que le pays fait naufrage, ils ne sont pas loin de s’accommoder désormais de tout boiteux compromis qui verrait apparaître une autorité un tant soit peu responsable. Restait à leur faire avaler le plus dur, en s’y prenant naturellement par doses graduées : une décote massive de leurs avoirs en banque, déjà confisqués d’ailleurs.

Choquante au niveau de la forme était, pour commencer, la réunion qui a groupé jeudi, autour de Michel Aoun, le président du Conseil d’Etat et le gouverneur de la Banque du Liban. On n’a pas manqué de voir dans ce salmigondis d’instances politiques, juridiques et financières, une violation flagrante du principe de séparation des pouvoirs, couronné par un jugement de Salomon que se dévouait à rendre le chef de l’État. Mais dans la frénétique débâcle institutionnelle, dans le règne de l’absurde qui sévit au Liban, peut-être ne faut-il plus s’étonner de rien. Parlant de séparation, c’est à un tumultueux divorce que se livrent en effet ces deux pôles de l’exécutif, pourtant censés œuvrer de concert, que sont le président et le Premier ministre désigné : tout cela sur fond de lugubres lamentations débitées, faute de mieux, par le troisième compère (on l’oubliait celui-là), à savoir le chef du gouvernement démissionnaire…

Après ce bain prolongé en mer des anomalies, revenons-en à la fameuse douche écossaise. Le Conseil d’État a pour tâche de contrôler la conformité légale de toute mesure administrative, comme de trancher tout litige s’y rapportant. En suspendant la faculté, pour les déposants, de retirer (au compte-gouttes!) leurs avoirs en devises au taux de 3 900 livres pour un dollar, qui donc cet organe croyait-il embarrasser ? Or, et sans présumer du bien-fondé de sa sentence, il n’a fait en réalité qu’affoler les citoyens dépossédés, confrontés à une hausse insensée des prix, et qui, pour assurer leur subsistance, semblaient s’être résignés à un taux de conversion bien inférieur pourtant à celui en vigueur dans les marchés parallèles. C’est dire avec quel soulagement était accueillie l’annonce, traficotée à Baabda, d’un match nul non exempt toutefois d’ambiguïtés.

Toujours est-il que le supplice de Tantale n’était pas terminé pour autant. Hier, c’est la promesse de modestes retraits en bons billets verts (400 dollars par mois) que faisait miroiter le gouverneur de la BDL à une catégorie précise de déposants. Leur est également offerte la possibilité de retirer l’équivalent en monnaie nationale à un taux alléchant.

Dans un pays où l’on ne sait plus trop qui commande qui, reste évidemment à savoir si l’intendance suivra.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Déclinée sous forme de théorie en règle sous l’Allemagne hitlérienne, intensivement pratiquée durant la guerre froide qui a longtemps opposé les Occidentaux et le bloc soviétique, la mise en condition des populations procède de la bonne vieille douche écossaise. Les gens ne sont certes pas des chiens, mais elle s’inspire largement aussi du fameux réflexe de Pavlov, que vous avez...