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Culture - Initiative

Nawal Traboulsi : Il faut que des livres continuent d’arriver à Gaza

La cofondatrice d’Assabil, première bibliothèque publique libanaise, a spontanément lancé sur Facebook une collecte de livres pour renflouer la librairie Samir Mansour à Gaza, complètement ravagée par les bombardements israéliens le 21 mai... Elle en parle à « L’Orient-Le Jour ».

Nawal Traboulsi : Il faut que des livres continuent d’arriver à Gaza

Nawal Traboulsi : « Je continue, oui, de croire dans les vertus de la lecture. » Photo Michel Sayegh

C’est un peu une évidence que vous ayez choisi de vous investir en faveur de Gaza à travers la lecture…

Absolument, c’est le langage qui m’est le plus familier et aussi celui autour duquel s’est construite ma vie. J’ai toujours baigné dans cet environnement, avec un mari écrivain, une fille qui lit et dessine énormément. J’ai été l’une des quatre fondatrices d’Assabil, la première bibliothèque publique du pays, et j’ai longtemps travaillé en tant que bibliothécaire au sein du Collège protestant français à Beyrouth, car il m’a toujours été important de transmettre cette passion qui était la mienne. Mais par-delà des frontières du pays, entre 2006 et 2009, j’ai tout laissé pour aller m’installer en Égypte où j’ai rejoint la Fondation Anna Lindh pour le dialogue des cultures, au sein d’un programme visant à développer la lecture chez les enfants au Liban, en Syrie, dans les territoires palestiniens, en Jordanie et en Égypte. C’est de cette manière que j’ai appris à mieux connaître la région, et notamment la Palestine.

Pour mémoire

Et au milieu des ruines… une parenthèse

Comment avez-vous réagi aux violences israéliennes contre Cheikh Jarrah, et plus globalement Gaza ?

En bonne ex-soixante-huitarde, la Palestine a de toute évidence été mon premier amour. La question d’être avec ou contre la Palestine m’a toujours semblé complètement absurde. Avec le temps, et surtout à la faveur de mon engagement auprès de la Fondation Anna Lindh, j’ai eu la chance de découvrir le peuple syrien, et cela avait coïncidé avec le début de la guerre syrienne. Je me suis donc beaucoup investie pour la Syrie jusqu’à ce que les horreurs de Cheikh Jarrah aient lieu en mai dernier. Je n’arrive toujours pas à comprendre comment un régime d’apartheid pareil, imposé par les Israéliens, peut encore commettre ces choses terribles en 2021. Et ce qui m’a fait le plus mal, c’est de voir le peuple palestinien laissé tomber, et ballotté entre les crimes israéliens et un pouvoir corrompu. Inutile de dire que c’était extrêmement difficile à voir. J’étais paralysée parce que, d’un côté, je voulais agir et, d’un autre côté, il m’a paru impossible de demander de l’aide financière aux Libanais qui ne s’en sortent pas avec leurs propres problèmes.

Samir Mansour sur les décombres de sa librairie à Gaza réduite en poussière par les bombardements israéliens. Photo Mansour Bookshop

Parlez-nous de la genèse de votre projet…

Tout a commencé grâce aux médias sociaux qui, ma foi, peuvent avoir du bon parfois. Ma fille a partagé avec moi les images d’un libraire à Gaza dont l’échoppe avait été complètement atomisée par les bombardements israéliens et qui pleurait l’œuvre de toute une vie. J’ai pensé au peuple, j’ai pensé à ce qu’il serait une fois privé de lecture. Spontanément, j’ai mis un post sur Facebook en disant qu’il fallait qu’on l’aide. C’est alors que des internautes m’ont fait remarquer que le monsieur en question gérait un centre de photocopies scolaires, et que Samir Mansour, propriétaire de la librairie éponyme, avait subi le même sort et que tous ses ouvrages étaient partis en fumée. Je me suis dit : il faut que des livres continuent d’arriver à Gaza, il ne faut pas que les livres disparaissent de Gaza. Mon post a été très relayé et les gens me demandaient comment faire, comment aider. C’est ainsi que je me suis mis en tête de joindre Samir Mansour, en sachant que les heures où le courant électrique arrive aux habitants se comptent sur les doigts de la main et que le réseau téléphonique ne marche quasiment jamais. Par miracle, au bout de plusieurs essais, j’ai eu Samir au téléphone et je lui ai promis que sa librairie sera renflouée.

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Comment se fera l’exécution sur le plan logistique ?

En effet, c’est toute une logistique. Car si les retours ont été bien plus nombreux qu’espéré des Libanais, mais aussi de Tunisie (une librairie tunisienne a lancé cette même initiative par la suite), de France, d’Irlande, il fallait ensuite organiser le transport, s’assurer qu’une fois les livres rassemblés, ils pourront traverser la frontière. De fil en aiguille, j’ai donc pris contact avec l’Union des éditeurs libanais qui se chargeront de transmettre les livres rassemblés à l’Union des éditeurs égyptiens qui, à leur tour, se chargeront de faire voyager les bouquins jusqu’à Gaza. Nous espérons pouvoir envoyer nos caisses au mois d’août. Les donations de livres de fiction, de non-fiction, neufs ou usagés, en anglais et arabe, peuvent donc encore se faire jusqu’à la fin du mois de juillet.

Croyez-vous encore au pouvoir du livre au milieu de la violence et des horreurs de ce monde ?

Vous savez, comme je vous le disais, j’ai été bibliothécaire au Collège protestant où de nombreux fils de politiciens ont été scolarisés. Comme à tous les autres élèves, j’ai tout fait pour leur inculquer l’importance de la lecture. Comment un livre, rien qu’un livre, peut faire qu’on se libère et qu’on grandit. Certains d’entre eux, bien des années plus tard, me disaient : « C’est grâce à vous qu’on lit. » Mais lorsque je vois aujourd’hui leur manière de gérer la crise, que je vois qu’ils sont tout aussi corrompus que leurs pères, je me demande si tout ce que j’ai voulu leur transmettre a servi à quelque chose. Cela dit, je continue, oui, de croire dans les vertus de la lecture. D’abord pour des enfants démunis et pauvres, comme ceux de Gaza, la lecture est un plaisir accessible, et c’est merveilleux aujourd’hui que ces bouts de papier puissent leur servir de voyage, eux qui vivent dans des conditions si misérables. Les livres leur permettront, je suis sûre, d’ouvrir les barrières de cette prison à ciel ouvert qu’est Gaza et de leur apprendre qu’ailleurs, il y a autre chose que l’apartheid dont ils sont victimes. Car c’est beaucoup grâce aux livres que se sont construites les démocraties de ce monde.

C’est un peu une évidence que vous ayez choisi de vous investir en faveur de Gaza à travers la lecture…Absolument, c’est le langage qui m’est le plus familier et aussi celui autour duquel s’est construite ma vie. J’ai toujours baigné dans cet environnement, avec un mari écrivain, une fille qui lit et dessine énormément. J’ai été l’une des quatre fondatrices d’Assabil, la...

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