Le président du Parlement, Nabih Berry, s’apprête à lancer une nouvelle initiative pour sortir du blocage gouvernemental. Rien de véritablement nouveau en apparence. Mais les conditions semblent, pour la première fois depuis des semaines, plus propices à une réelle avancée.
Le chef d’Amal prépare le terrain depuis le début du mois de mai. Il avait insisté auprès du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, lors de la visite de ce dernier à Beyrouth, sur la nécessité de réunir ensemble Michel Aoun et Saad Hariri et de les pousser à s’entendre sur une formule de 24 ministres dans laquelle aucune partie ne bénéficierait du tiers de blocage. Le chef de la diplomatie française avait rétorqué qu’il n’avait pas à entrer dans ce genre de détails et que c’était à M. Berry lui-même de s’en charger. « Berry a répondu que toute initiative qu’il prendrait serait d’emblée rejetée par le président de la République », confie un proche du chef du Parlement.
Sauf qu’entre-temps, il a reçu deux soutiens de poids. Le chef du Parlement prépare son initiative en coordination avec le patriarche maronite Béchara Raï et dispose de l’appui du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Ce dernier a en effet insisté mardi soir dans son discours pour que le déblocage du gouvernement passe par la médiation de Nabih Berry. « Le camp aouniste insistait pour que Nasrallah prenne son parti contre Berry. Mais le Hezbollah préfère se placer comme l’arbitre du duel Aoun-Hariri tout en appuyant son allié chiite », décrypte un proche du Hezbollah.
Réprimander Bassil « à l’abri des regards »
Le leader d’Amal a repris du poil de la bête depuis que Michel Aoun et Gebran Bassil ont échoué à se débarrasser de Saad Hariri via le Parlement. C’est dans son arène que Nabih Berry a retrouvé des couleurs et du pouvoir. La Chambre des députés a symboliquement renouvelé samedi le mandat qu’elle avait accordé au Premier ministre désigné. L’Assemblée s’est réunie en réponse à une lettre envoyée par le président de la République dans laquelle il estimait que « M. Hariri était incapable de former le gouvernement », appelant à prendre les mesures adéquates. Des sources proches de Baabda démentent que le but de la lettre présidentielle était de pousser Hariri vers la sortie, mais plutôt de le pousser à former un cabinet. Ce que Gebran Bassil a pris soin de souligner dans son intervention lors de la séance parlementaire. « Berry avait conseillé à Aoun de ne pas envoyer la lettre de peur que cela complique encore davantage les choses. Mais Aoun n’en a fait qu’à sa tête », dit le proche du chef du Parlement. Ce dernier a laissé à Saad Hariri le soin de conclure la séance. Le leader sunnite en a profité pour tenir un discours très véhément à l’encontre du président de la République, alors même que Nabih Berry avait auparavant demandé à Gebran Bassil de ne pas s’emporter. « Berry s’est moqué de nous. Il a tout fait pour donner l’impression d’une victoire de Hariri », critique un responsable au sein du Courant patriotique libre (CPL). Le gendre du président s’est exprimé depuis son siège, tandis que Saad Hariri a été invité à prendre la parole à partir de la chaire parlementaire. Pour Nabih Berry, l’objectif était de démontrer à Michel Aoun qu’il lui était impossible d’écarter Saad Hariri, plébiscité par le tandem chiite.
En marge de la session, une réunion a eu lieu entre Nabih Berry et Gebran Bassil, accompagné de plusieurs députés de son bloc. « Berry a dit à Bassil qu’il était responsable à 80 % du blocage gouvernemental et qu’il devait changer de comportement. Quand il a vu que le chef du Parlement se lançait dans cette discussion avec lui, Bassil a alors demandé aux députés de son bloc de s’éloigner, afin que Berry puisse le réprimander à l’abri des regards », affirme le proche du chef du Parlement. Ce dernier aurait ensuite expliqué à Gebran Bassil qu’il n’y avait pas d’alternative à Saad Hariri, et que Walid Joumblatt et le Hezbollah étaient du même avis.
Mais le chef d’Amal a aussi profité de la session pour tancer son partenaire sunnite, lui reprochant d’être responsable à 20 % du blocage. Il lui a demandé de préparer une nouvelle mouture gouvernementale composée de 24 ministres et de la remettre au président. « Berry a dit à Hariri: “Si Aoun approuve la mouture, le gouvernement sera formé, sinon c’est lui qui endossera la responsabilité de l’échec jusqu’à la conclusion d’un accord. Hariri semblait convaincu” », poursuit le proche du chef d’Amal. Saad Hariri a accepté la proposition et a promis qu’il reviendrait dans les prochains jours à Baabda avec une mouture gouvernementale.
Le mécontentement de Raï
Le patriarche maronite, également en première ligne dans cette affaire, est pour sa part profondément agacé par le Premier ministre désigné qu’il a rencontré en catimini avant les fêtes du Fitr et avec lequel il avait convenu de la nécessité de préparer une mouture gouvernementale et de la présenter à Baabda. « Raï avait promis à Hariri de faire par la suite pression sur Aoun », dit un proche de Bkerké. Mais le chef du courant du Futur n’a pas tenu ses engagements, ce qui a provoqué la colère du patriarche. Dans son homélie de dimanche dernier, Mgr Raï a même appelé le Premier ministre désigné à laisser la place à quelqu’un d’autre s’il n’était pas capable de former un gouvernement. Les tensions se sont toutefois apaisées après un échange entre les deux hommes, qui ont convenu de tout faire pour sortir de l’impasse.
La balle est donc désormais dans le camp du Premier ministre désigné qui pourrait se rendre à Baabda dans les prochains jours avec une nouvelle mouture. L’ancien Premier ministre Fouad Siniora, reçu mardi soir par Nabih Berry, s’est entretenu avec Saad Hariri qui lui a confirmé son intention de se rendre prochainement au palais avec une mouture. « S’il y a un effort sérieux pour former le gouvernement, Hariri reviendra rapidement à Beyrouth, mais le problème est toujours le même, à savoir que Michel Aoun veut un gouvernement de 24 ministres, avec le tiers de blocage et le ministère de l’Intérieur. Aoun est-il prêt à plus de souplesse ? Si c’était le cas, le gouvernement serait formé en quelques heures », dit le vice-président du courant du Futur, Moustapha Allouche. L’idée de Berry repose sur la nécessité de se mettre d’accord sur les deux ministres chrétiens contestés, appelés à occuper les strapontins de l’Intérieur et de la Justice. Saad Hariri pourrait proposer au président une liste de noms parmi lesquels ce dernier pourra choisir un ministre de l’Intérieur et vice versa pour la Justice. Le président de la République semble pour sa part prêt à laisser une chance à cette nouvelle séquence. Mais ce n’est pas la première fois que tous les acteurs s’activent en coulisses pour tenter de débloquer la situation. Et pour l’instant, les espoirs ont été à chaque fois très vite déçus.
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Comme si le nombre des ministres était le problème fondamental à la formation du gouvernement. Qu’ils soient 10, 15, 18 ou 40 tant que des pions de la part de tous ces partis qui se disent pour un gouvernement neutre n’en font pas partie on peut rêver à sa formation. Ils veulent tous garder leur pouvoir de dissimuler tous les vols et les crimes auxquels ils ont tous participé, et aucun d’eux ne veut se voir condamné et emprisonné. Ça rejoint donc ce que les vendus ont prévu depuis qu’ils leur ont ouvert les coffres forts pour se servir et se réjouissent du résultat phantasmé que les politiciens ont rendu possible. Alors trêve de disputes de boutiquiers ils n’est de l’intérêt d’aucun d’eux à ce que ce pays retrouve sa souveraineté et que le peuple puisse choisir librement ses ministres et son président d’où le blocage avec leurs quatre fers pour noyer le poisson.
Sissi zayyat
19 h 38, le 27 mai 2021