Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s'est positionné mardi à égale distance du chef de l'Etat Michel Aoun, et du Premier ministre désigné Saad Hariri, dans leur bras de fer pour la formation du nouveau gouvernement. Il a dans le même temps affiché son franc soutien aux efforts déployés ces derniers jours par le président du Parlement Nabih Berry, pour débloquer la crise gouvernementale, malgré les relations en dents de scie entre le camp de son allié Michel Aoun et M. Berry. En ne prenant pas position pour l'un ou l'autre des principaux protagonistes, le numéro un du Hezbollah affiche donc une position similaire à celle prise samedi par le Parlement libanais.
Le dignitaire chiite a tenu ces propos lors d'un discours télévisé prononcé à l'occasion du 21e anniversaire de la libération du Liban-Sud de l'occupation israélienne. Au cours de son intervention, le chef du Hezbollah a souligné que la "résistance" restait "plus forte que jamais", avertissant Israël de "ne pas faire de mauvais calculs" vis-à-vis du Liban. Au début de son allocution, prononcée le souffle court et entrecoupée de quintes de toux, il s'est excusé de ne pas avoir pu tenir des discours ces dernières semaines pour des raisons de santé. Déjà lors d'un discours début mai, à l'occasion de la journée de Jérusalem, Hassan Nasrallah était apparu peu en forme et avait rassuré ses partisans, affirmant "ne pas souffrir du coronavirus".
Feu vert à l'initiative Berry
Pour résoudre toutes les crises au Liban, qui subit depuis près de deux ans un effondrement socio-économique et financier sévère, la "clé réside dans la formation d'un nouveau gouvernement", a déclaré le chef du Hezbollah. Il a balayé les appels à une démission du président Aoun autant que ceux à une récusation du Premier ministre désigné, appuyant la prise de position exprimée samedi par le Parlement. Réunie pour débattre d'une lettre envoyée par Michel Aoun concernant "l'incapacité" de Saad Hariri à former le gouvernement, la Chambre s'était dit favorable à ce que le Premier ministre désigné mette sur pied "le plus rapidement possible" son équipe, "en accord" avec le chef de l'Etat. Cette position permettait au Parlement de se poser à égale distance des deux parties, ce qui a permis au président Berry de se sortir d'une impasse constitutionnelle – étant donné que la Constitution n’impose pas au Premier ministre désigné de délai pour la formation du gouvernement – sans froisser le président de la République.
Le leader chiite a insisté sur l'importance que Saad Hariri et Michel Aoun se "mettent d'accord" pour former le cabinet, appelant le chef du courant du Futur à se rendre à Baabda et y rester "tout le temps qu'il faut pour arriver à des résultats". "Vous, MM. Aoun et Hariri, êtes responsables de la formation du gouvernement et du sort du pays", a-t-il exhorté, alors que les rapports entre les deux hommes sont complètement rompus depuis le 22 mars dernier, date du tout dernier entretien orageux entre le chef de l'État et le Premier ministre désigné. Et de souligner que, s'ils n'y parviennent pas, le seul autre moyen de débloquer les tractations serait que le chef de l'Etat et le Premier ministre désigné demandent le soutien du "seul ami qui, dans la situation politique actuelle, est capable d'apporter son concours : le président de la Chambre Nabih Berry".
Ce dernier, dans un discours en direct prononcé lundi à l'occasion aussi de l'anniversaire de la libération du Liban-Sud, avait affirmé que la crise gouvernementale qui dure depuis bientôt dix mois est purement "interne et personnelle". "La porte de sortie de la crise nécessite une initiative des parties concernées sans conditions préalables pour surmonter les obstacles personnels qui empêchent la formation d’un gouvernement composé d’experts non partisans et sans tiers de blocage", avait-il exhorté. Nabih Berry s'attelle d'ailleurs depuis samedi à jouer les médiateurs entre Baabda et la Maison du Centre pour remettre son initiative de sortie de crise (cabinet de 24 sans tiers de blocage) sur la table.
La formation d'un nouveau gouvernement est cruciale pour lancer des réformes et débloquer des aides internationales qui permettraient au Liban de se sortir de la crise socio économique sans précédent dans laquelle il s'enfonce depuis l'été 2019. Cette situation a été aggravée par la gigantesque double explosion meurtrière du 4 août 2020 au port de Beyrouth. La catastrophe a poussé six jours plus tard le gouvernement de Hassane Diab à démissionner.
Mise en garde à Israël
Hassan Nasrallah a par ailleurs félicité dans son discours le peuple libanais pour l'anniversaire de la libération du Liban-Sud, le 24 mai 2000, lorsque l'armée israélienne s'était retirée de la partie de cette région qu'elle occupait encore. Le Liban estime toutefois que l'armée de l'État hébreu doit encore se retirer des fermes de Chebaa, situées sur les pentes occidentales du mont Hermon, prises par Israël à la Syrie en juin 1967, ainsi que des hauteurs de Kfarchouba et de la partie nord du village de Ghajar pour que la libération soit complète.
La victoire de mai 2000 n'était pas celle "d'un seul parti", a souligné le leader chiite, estimant qu'elle est le résultat de "longues années de sacrifices", notamment du Hezbollah et du mouvement Amal, mais également de nombreux autres mouvements et factions, libanais et palestiniens, ainsi que de l'armée libanaise. Il a aussi déclaré que 21 ans après la libération du Sud, la résistance "était plus forte que jamais", que ce soit "par ses effectifs, ses expériences, ses capacités ou sa préparation". Fort de ces propos, il a mis en garde Israël, lui intimant de "ne pas faire de sottise, se montrer arrogant ou faire de mauvais calculs vis-à-vis du Liban". Il a également rendu hommage à Mohammad Tahan, un manifestant partisan du Hezbollah qui avait été tué "sur le chemin de Jérusalem", le 14 mai, par les tirs d'un char israélien lorsqu'un groupe de manifestants avait franchi la frontière.
A ce propos, Hassan Nasrallah a salué "la victoire" de la résistance et du peuple palestiniens, suite à la guerre à laquelle se sont livrés le Hamas et Israël pendant onze jours, jusqu'à l'annonce d'un cessez-le-feu, vendredi dernier. Les bombardements avaient débuté avec des salves de roquettes depuis la bande de Gaza vers le territoire israélien le 10 mai, avant d'aboutir à un cessez-le-feu entré en vigueur vendredi. Ces affrontements ont fait 253 morts dans la bande de Gaza, parmi lesquels 66 enfants et des combattants, selon les autorités locales. En Israël, les tirs de roquettes ont fait 12 morts, dont un enfant, une adolescente et un soldat, d'après la police.
Guerre régionale
Le secrétaire général du Hezbollah est revenu sur l'origine des bombardements, à savoir la menace d'expulsion par Israël de familles palestiniennes du quartier de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, au profit de colons israéliens, et les affrontements entre fidèles palestiniens et policiers israéliens sur l'Esplanade des mosquées. Il a salué la "décision historique" qu'ont prise "Gaza, sa résistance et son peuple" de recourir à l'escalade militaire, soulignant que c'était la première fois que les factions palestiniennes intervenaient dans des affaires ne relevant pas uniquement de l'enclave. Les bombardements de la "résistance" présente à Gaza sont intervenus "pour défendre Jérusalem et ses lieux-saints, et non pas pour défendre Gaza", s'est-il félicité. "Les Israéliens doivent comprendre que toute atteinte à Jérusalem et aux lieux saints ne provoquera pas juste une réponse de la résistance à Gaza", a-t-il dès lors déclaré.
Et Hassan Nasrallah d'exprimer l'espoir qu'une "nouvelle équation" pourra voir le jour dans le conflit, à savoir "toute atteinte à Jérusalem provoquera une guerre régionale". Il a par ailleurs souligné que cette guerre avait "unifié" les rangs des Palestiniens dans tous les Territoires, "redonné de la vie" à la cause palestinienne, fait échouer le "deal du siècle", porté un "coup sévère au projet de normalisation" dans la région et "montré le vrai visage sauvage d'Israël, qui tue des enfants et commet des massacres". Le chef du parti chiite a enfin salué "les grandes réalisations militaires" des factions palestiniennes face à Israël, notamment le Hamas, et le nombre de roquettes envoyées en direction de l'Etat hébreu.
commentaires (18)
Aoun prétend vouloir assurer une confiance préalable à tout gouvernement dont il signe le décret. Si Berri est sérieux, il n'a qu'à réunir les députés et faire un vote d'essai pour la mouture présentée depuis longtemps par Hariri. Si confiance confirmée, Aoun n'aurait d'autre alternative que de signer le décret avec Hariri. Sinon, vote d'une loi lui donnant 2 semaines pour signer, et après le gouvernement serait constitué.
Esber
18 h 43, le 26 mai 2021