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Politique - Focus

Aoun et l’Arabie, histoire d’un désamour réciproque

L’affaire Wehbé enterre toute possibilité de réconciliation entre Riyad et Baabda.

Aoun et l’Arabie, histoire d’un désamour réciproque

Le roi Salmane d’Arabie recevant le président libanais Michel Aoun à Riyad, en janvier 2017. Photo d’archives/Dalati et Nohra

Entre le courant aouniste et les pays du Golfe, le même scénario se répète depuis des années. La polémique suscitée par les propos du ministre sortant des Affaires étrangères, Charbel Wehbé, n’est que le dernier épisode en date d’une inimitié réciproque exprimée à maintes reprises.

Au commencement était l’accord de Taëf. Parrainé par l’Arabie saoudite et octroyant aux sunnites une partie des prérogatives autrefois détenues par les chrétiens, cet accord a été virulemment critiqué par Michel Aoun. À son retour au Liban en 2005, le leader chrétien a construit toute sa légitimité politique sur son opposition à Taëf et à la politique de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, soutenue par les Saoudiens, puis sur son alliance avec le Hezbollah. Les divergences entre Michel Aoun et les pays du Golfe se sont davantage creusées quand l’accord syro-saoudien, qui a permis à Saad Hariri d’accéder au poste de Premier ministre en 2009, a été mis en échec deux ans plus tard. En 2011, la démission de onze ministres, notamment du Hezbollah et du Courant patriotique libre (CPL), annoncée depuis Rabieh, fief de Michel Aoun, avait fait chuter le gouvernement. Riyad avait estimé à l’époque que le chef du CPL s’était aligné sur l’Iran, son principal rival dans la région. La méfiance des pays du Golfe, l’Arabie saoudite en tête, vis-à-vis de Michel Aoun a été particulièrement incarnée par un homme : l’ancien ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud el-Fayçal. Lors du sommet de Doha en 2008, le tout-puissant ministre s’était opposé à un consensus pour permettre au général, considéré comme une personnalité hostile aux intérêts saoudiens, d’accéder à la présidence. En 2014, alors que les prémices du futur compromis présidentiel se dessinaient, le ministre saoudien s’était à nouveau opposé à une arrivée à Baabda du chef du CPL. Après sa disparition en 2015, l’actuel président libanais a déclaré à ses proches : « Celui qui m’empêchait d’accéder à la présidence est désormais décédé. » Les relations ne se sont toutefois pas particulièrement améliorées par la suite.

Nouvelle approche

Le royaume était contre le compromis présidentiel, mais était prêt à lui laisser une chance, Saad Hariri étant convaincu qu’il permettrait d’éloigner le leader chrétien du Hezbollah. Le locataire de Baabda avait choisi Riyad pour effectuer sa première visite diplomatique en janvier 2017. À l’époque, le président et son gendre Gebran Bassil avaient promis à l’Arabie saoudite qu’ils allaient remettre le Liban dans le giron arabe, l’éloigner de l’Iran et demander à ce que les résolutions internationales soient respectées. Des promesses qui n’ont jamais été tenues, alors qu’en tant que chef de la diplomatie, Gebran Bassil avait refusé de prendre parti pour l’Arabie saoudite dans le conflit yéménite qui l’oppose aux houthis, alliés de l’Iran, et n’a jamais condamné les frappes de l’Iran ou de ses affidés contre le royaume. « Aoun et Bassil ne sont pas hostiles à l’Arabie. Mais ils ne souhaitaient pas engager le Liban dans des conflits qui le dépassent », défend un membre du CPL. Le royaume reproche aussi au gendre du président d’avoir attisé les critiques contre le prince héritier Mohammad ben Salmane au sein de la communauté internationale après la démission forcée de Saad Hariri depuis Riyad en 2017. « Le pouvoir saoudien en veut personnellement à Gebran Bassil, dit un diplomate arabe bien introduit dans le Golfe. C’est pourquoi celui-ci n’a jamais pu obtenir de rendez-vous avec Walid Boukhari (l’ambassadeur saoudien au Liban) alors que ce dernier a pourtant accepté de recevoir Salim Jreissati (le conseiller du président). »

Le billet de Gaby NASR

La boulette à Bebel

L’ampleur de la crise libanaise et les tensions qui opposent Baabda au Premier ministre désigné, Saad Hariri, qui ne bénéficie pas du soutien de Riyad, ont néanmoins convaincu le camp présidentiel de tenter une nouvelle approche vis-à-vis du royaume. Fondé sur leur hostilité commune envers le chef du courant du Futur, le camp aouniste était convaincu qu’il pouvait se rabibocher avec le royaume. C’est dans ce contexte que Salim Jreissati s’est rendu au mois de mars chez Walid Boukhari, et qu’après plusieurs invitations, le diplomate saoudien s’est déplacé en retour au palais présidentiel. La visite intervenant dans un contexte de fortes dissensions entre le président et le Premier ministre désigné, le courant aouniste l’a interprétée comme un soutien officiel du royaume contre Saad Hariri. Une vision des choses, largement diffusée dans les médias, qui a mis en colère l’ambassadeur saoudien. Ce dernier a, à partir de ce moment, mis fin à toute possibilité de rapprochement avec les deux leaders chrétiens.

« Nous savons que ce sont les orientations de Aoun »

L’affaire Wehbé a fini d’enterrer toute chance de réconciliation entre les deux parties, même si le président a tenté d’en limiter les dégâts. Lundi soir, lors d’un débat sur la chaîne américaine en langue arabe al-Hurra, le ministre avait accusé les pétromonarchies du Golfe, sans toutefois les citer, d’être responsables de la montée en puissance de l’État islamique. Il avait ensuite quitté le plateau furieux en lançant à un invité saoudien de l’émission qu’il n’acceptait pas de « se faire insulter par un Bédouin ». Parce qu’il s’exprimait en tant que ministre des Affaires étrangères, le royaume a considéré qu’il portait la position officielle du Liban. « Nous savons que ce sont les orientations de Aoun, et qu’il a construit tout son projet politique sur l’hostilité envers les États du Golfe », dit un diplomate saoudien qui a souhaité garder l’anonymat. « Mais l’Arabie a décidé de ne pas prendre de mesures punitives contre le Liban car elle ne veut pas compliquer encore plus la situation et ne veut pas laisser l’arène vide, comme le veulent l’Iran et le Hezbollah », ajoute le diplomate. Les propos de Charbel Wehbé avaient en effet fait naître la crainte que l’Arabie s’en prenne en retour aux centaines de milliers de Libanais qui travaillent dans le Golfe. Mais le mea culpa du ministre qui a aussi été écarté de son poste a quelque peu baissé la tension. « Les Bédouins ont au moins une qualité, c’est qu’ils n’ont qu’une parole », dit le diplomate saoudien, dans une critique à peine voilée à Gebran Bassil, considéré par le royaume comme une personnalité politique indigne de confiance.

Le commentaire d'Elie FAYAD

Affaire Charbel Wehbé : Suicide & Co

Du côté du CPL, on tente de minimiser l’affaire. « Michel Aoun était extrêmement énervé après la sortie de Wehbé. Il a tout de suite contacté l’ambassadeur saoudien pour lui assurer que ces propos ne reflétaient pas la position officielle », dit un proche du président qui a requis l’anonymat. De nombreux représentants du bloc parlementaire aouniste ont contacté l’ambassadeur saoudien pour se dédouaner, certains d’entre eux considérant les propos comme une réaction irréfléchie. « Il y a eu des débats au sein du bloc entre ceux qui voulaient tout de suite désavouer Wehbé et ceux qui estimaient qu’il était possible de résoudre le problème d’une autre manière », dit le membre du CPL cité plus haut.

Si le royaume souhaite encore que Saad Hariri retire sa candidature, il ne veut pas pour autant en porter la responsabilité politique. Autrement dit : Riyad ne va pas pousser le leader sunnite à se récuser, comme l’espère le camp aouniste. « Ils ne nous connaissent pas et nous ne porterons pas atteinte à Hariri pour servir leurs intérêts. Personne ne peut intervenir entre Hariri et l’Arabie saoudite, peu importent les différends entre nous », dit le diplomate saoudien.

Action en justice des avocats du Futur contre Wehbé Plusieurs avocats affiliés au courant du Futur ont demandé hier au parquet de cassation l’ouverture d’une information judiciaire contre l’ex-ministre sortant des Affaires étrangères Charbel Wehbé. Ce groupe d’avocats, avec à leur tête Imad el-Sabeh, accuse l’ancien ministre de « porter atteinte aux relations avec les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, et d’avoir failli à son devoir, de par ses propos tenus lors d’une interview à la chaîne al-Hurra ».
Lors d’une émission télévisée samedi, Charbel Wehbé avait affirmé que « Daech (le groupe jihadiste État islamique) a été apporté dans la région par des pays “amis et fraternels” », en allusion probable aux pays du Golfe, bien qu’il ait refusé de les nommer. Il avait aussi traité un invité saoudien sur le plateau de « Bédouin ». La demande présentée par les avocats a été acceptée par le parquet. Les plaignants demandent que M. Wehbé soit convoqué et interrogé à propos des griefs retenus contre lui.
Entre le courant aouniste et les pays du Golfe, le même scénario se répète depuis des années. La polémique suscitée par les propos du ministre sortant des Affaires étrangères, Charbel Wehbé, n’est que le dernier épisode en date d’une inimitié réciproque exprimée à maintes reprises. Au commencement était l’accord de Taëf. Parrainé par l’Arabie saoudite et octroyant aux...

commentaires (5)

Les libanais dans les pays du golf et l'Arabie seront remplacés par les israéliens , intelligents les juifs..furbi comme on dit en italien ???

Eleni Caridopoulou

20 h 45, le 21 mai 2021

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Commentaires (5)

  • Les libanais dans les pays du golf et l'Arabie seront remplacés par les israéliens , intelligents les juifs..furbi comme on dit en italien ???

    Eleni Caridopoulou

    20 h 45, le 21 mai 2021

  • Non seulement ils ont piqué l’argent des émigrés maintenant ils veulent leur faire perdre leur job au Aux pays du golfe pour peut-être les remplacer par des Syriens qui sait ?Ce serait bien de voir jusqu’à quel point Bachar terrorise certains de nos politiciens et nous permettent de craindre le pire! Si dans notre pays ils nous piquent l’aide internationale ce n’est pas les emplois de nos compatriotes qui va les rebuter !

    PROFIL BAS

    19 h 42, le 21 mai 2021

  • SYMPA cette action en justice . Qui dit que le Hizbolah ne ferait pas de même quand il s'agirait de l'Iran . Egalité , fraternité , liberté .

    Lecteurs OLJ 2 / BLF

    10 h 18, le 21 mai 2021

  • Le problème de base, avec Michel Aoun, et donc notre malheur à nous, a été, dès le début, qu'il a été incapable de comprendre la différence entre gérer un parti ou gérer une armée, et le fait d'être le chef d'un Etat de 10452 km2, multiconfessionnel et entouré de deux pays, l'un se disant "frére", l'autre n'ayant qu'une idée: nous avaler ! Sans oublier le parti divin qui le fait danser avec sa propre musique, en échange du fauteuil accordé un 31/10/2016 - Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 14, le 21 mai 2021

  • Même si, dans son excès, elle ne représente pas la position officielle du Liban. l'attitude de Wehbé n'en est pas moins dans la continuité de la politique aouno-bassilienne . Espérons que Mme Acar ne suivra pas le même chemin.

    Yves Prevost

    07 h 15, le 21 mai 2021

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