
La Chambre réunie en son siège provisoire de l’Unesco, où la distanciation exigée par la pandémie peut être respectée. Photo d’archives tirée du compte Flickr du Parlement
C’est une séance pour le moins houleuse qui s’annonce vendredi prochain au Parlement où le courant du Futur et ses alliés s’apprêtent à affronter le camp aouniste autour de la question de la formation du gouvernement. Le président de la Chambre, Nabih Berry, qui a convoqué hier les députés pour une séance plénière dans le but de susciter un débat autour de la lettre que lui a adressée mardi le président de la République, Michel Aoun – dans laquelle il accuse implicitement le Premier ministre désigné, Saad Hariri, de prendre en otage la formation du gouvernement –, devra user de son talent politicien pour pouvoir désamorcer la bombe et calmer les tensions.
Dans sa missive, Michel Aoun a estimé que M. Hariri était incapable de mettre sur pied un cabinet, lui faisant assumer la responsabilité totale du blocage et des « conséquences négatives sur le travail des institutions et sur la stabilité politique du pays ». Des accusations qui ont aussitôt suscité une levée de boucliers de la part de M. Hariri mais également du club sunnite des anciens chefs de gouvernement – Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati. Dans un communiqué, les trois anciens chefs de gouvernement ont estimé hier que la lettre du président constitue une « violation grave » de la Constitution et qu’elle était « remplie d’erreurs ». La missive du président « transforme les faits pour faire porter la responsabilité du retard de la formation à Saad Hariri », précise le texte. MM. Siniora, Mikati et Salam ont accusé le président de « manœuvres obstructionnistes et inconstitutionnelles ». Selon eux, le Premier ministre désigné a respecté le processus constitutionnel de bout en bout. Ayant atteint un point de non-retour, la relation en dents de scie entre MM. Aoun et Hariri sur fond d’une bataille de prérogatives risque donc de prendre, vendredi, un accent confessionnel encore plus prononcé que d’habitude. Ces échanges au vitriol ne sont qu’un échantillon de ce qui pourrait se dérouler lors de la séance quand les parlementaires seront appelés à s’exprimer sur la teneur de cette lettre et à aviser dans un sens comme dans un autre.
En rejetant la balle dans le camp du Parlement, Michel Aoun espère ainsi placer les députés devant leurs responsabilités et du coup se laver les mains du blocage qui perdure. Il espère également parvenir à susciter un vote en faveur d’une récusation du Premier ministre désigné, ou du moins le pousser à se retirer de l’arène. Une position dont se défend le président. Selon des informations relayées par notre correspondante à Baabda, Hoda Chédid, le chef de l’État a justifié son recours au Parlement par son souhait de lui demander son aide, ajoutant qu’il ne s’agit en aucun cas de contourner la Constitution. Le président de la République « est le gardien de la Constitution et veille à ce qu’il n’y ait pas de jurisprudence constitutionnelle erronée » dans la formation des gouvernements, avait précisé M. Aoun dans sa missive. Le texte fondamental ne mentionne pas de délais pour la formation du gouvernement et ne prévoit pas la mise à l’écart du Premier ministre désigné s’il ne réussit pas à mettre sur pied son équipe dans un délai bien défini. Seul ce dernier peut, de sa propre volonté, se récuser. Un scénario peu probable jusqu’ici, M. Hariri n’ayant pas encore officiellement exprimé ce souhait. « Seule la dégradation du climat politique pourrait le contraindre à rendre le tablier, mais personne d’autre ni aucune procédure », commente un ancien parlementaire.
Quels scénarios ?
Cette impasse rend encore plus difficile la mission du président de la Chambre. Le Parlement ne pourra pas se dérober à sa tâche et devra se prononcer, d’une manière ou d’une autre, sur la requête du président. Contraint par la Constitution et par le règlement interne du Parlement de provoquer le débat avant de susciter un vote sur la question, M. Berry devra faire en sorte de canaliser les échanges et de limiter les accrochages pour les empêcher de dégénérer.
« Nabih Berry veut surtout calmer le jeu. Il s’efforcera de s’acquitter de son devoir constitutionnel en évitant les débordements », confie un proche de Aïn el-Tiné à L’Orient-Le Jour. L’un des scénarios envisagés serait de sélectionner judicieusement, et en amont, quelques députés pour se prononcer sur la question et de lever la séance par la suite. « Le vote n’est pas nécessairement requis si les députés ne parviennent pas à une recommandation, ce qui est tout à fait prévisible. Quelle décision peuvent-ils prendre dans ce cas de figure ? », ironise Antoine Sfeir, professeur de droit international. Comprendre que Saad Hariri est indéboulonnable et que l’Assemblée ne peut le pousser à se retirer. « Dans la mesure où la Constitution ne prévoit aucune issue à cette problématique, la lettre du président ne rime à rien et n’aboutira à aucune solution », estime pour sa part un constitutionnaliste qui a requis l’anonymat. Selon lui, le vote est toutefois requis et pourrait avoir lieu le même jour ou à l’occasion d’autres réunions prévues pour poursuivre les débats.
S’étant extrait de la polarisation entre le camp haririen et celui des aounistes pour tenter de jouer la carte du compromis, le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt œuvrera vraisemblablement à aider le président de la Chambre dans sa tâche. « Nous souhaitons que les discussions ne soient pas orchestrées dans le but de provoquer une escalade », affirme le porte-parole du PSP, Saleh Hdayfé. C’est aujourd’hui, à l’issue de sa réunion hebdomadaire, que se précisera un peu plus la position du bloc parlementaire de Nabih Berry.
C’est une séance pour le moins houleuse qui s’annonce vendredi prochain au Parlement où le courant du Futur et ses alliés s’apprêtent à affronter le camp aouniste autour de la question de la formation du gouvernement. Le président de la Chambre, Nabih Berry, qui a convoqué hier les députés pour une séance plénière dans le but de susciter un débat autour de la lettre que lui a...
commentaires (8)
Aucun élément ne laisse entrevoir une solution en faveur du premier mi istre désigné . Au contraire , un vote éventuel pourrait signer sa mort politique !
Chucri Abboud
23 h 52, le 20 mai 2021