C’est par une réaction calculée que l’Arabie saoudite a riposté hier aux propos très peu diplomatiques tenus lundi soir par le ministre sortant des Affaires étrangères, Charbel Wehbé, qui a mis en péril les rapports entre le Liban et les pays du Golfe, déjà secoués par plusieurs incidents ces derniers temps. Riyad s’est donc contenté, du moins pour le moment, de convoquer l’ambassadeur du Liban en Arabie, Fawzi Kabbara, lui remettant un document officiel de protestation de la part des autorités saoudiennes. L’ambassadeur libanais aux Émirats arabes unis a également été convoqué.
Tout a commencé lors d’une interview accordée par le chef de la diplomatie libanaise à la chaîne américaine al-Hurra. Répondant à une question concernant la justification du maintien des armes du Hezbollah (que le royaume, comme plusieurs pays du Golfe, classe parmi les organisations terroristes), M. Wehbé a estimé qu’elles constituent pour le Liban « une police d’assurance », qui a un « effet dissuasif » sur Israël.
Il a en outre affirmé que « Daech (le groupe jihadiste État islamique) a été amené dans la région par des pays “amis et frères” », en allusion probable aux pays du Golfe, bien qu’il ait refusé de les nommer. « Ces pays ont amené l’État islamique et ont assuré son implantation dans la plaine de Ninive et dans le Anbar (en Irak) et à Palmyre (en Syrie). Qui a financé ces groupes ? Ce n’est pas moi ! » avait-il lancé. Et de souligner que le Hezbollah avait aidé à se débarrasser des groupes jihadistes installés le long de la frontière entre le Liban et la Syrie.
Réagissant à ces propos, le ministère saoudien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur du Liban en Arabie, Fawzi Kabbara. Dans un communiqué, le ministère a « condamné fermement les propos de M. Wehbé et ses atteintes honteuses au royaume wahhabite, à son peuple et aux pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ». Il a dénoncé des propos qui sont « contraires aux usages les plus basiques de la diplomatie » et qui ne représentent pas « les relations historiques » entre Riyad et Beyrouth. Le ministère a dès lors exprimé au diplomate libanais son « rejet et sa condamnation » des déclarations du ministre Wehbé. Un document officiel de protestation lui a été remis à cet effet de la part des autorités saoudiennes.
Deux communiqués en quelques heures
Les déclarations polémiques du ministre sortant des Affaires étrangères interviennent dans un contexte diplomatique particulièrement tendu entre Beyrouth et Riyad. Charbel Wehbé a tenu ces propos moins d’un mois après la fameuse affaire de la saisie de captagon à Djeddah dans des lots de grenades en provenance du Liban. Le royaume avait par la suite décidé fin avril de suspendre l’importation de fruits et de légumes en provenance du pays du Cèdre. À cela, certains ajoutent les retombées négatives d’un tel impair diplomatique sur les Libanais résidant en Arabie, qui pourraient à titre d’exemple se voir expulsés du royaume, dans une phase ultérieure.
C’est ce qui explique le tollé que les propos de M. Wehbé ont suscité tant sur les réseaux sociaux, que dans les milieux politiques, notamment ceux hostiles au pouvoir en place, dans la mesure où le chef de la diplomatie sortant gravite dans l’orbite de Baabda. Ces remous semblent avoir poussé le principal concerné à faire publier deux communiqués… en l’espace de quelques heures pour tenter – en vain – de rectifier le tir. Dans un premier temps, le ministre sortant a publié un communiqué, dans lequel il s’était dit « abasourdi par les interprétations erronées de (ses) propos ». Une prise de position jugée très peu convaincante dans la mesure où les vidéos de l’interview de M. Wehbé, qui avaient fait le buzz sur les réseaux sociaux, ne prêtent pas à équivoque. On y voit clairement que le ministre s’est abstenu de s’en prendre nommément aux pays du Golfe, sans pour autant leur épargner ses accusations de financer les groupes terroristes.
Rappelant qu’il n’a nommé aucun pays, le ministre a dénoncé des « communiqués publiés par certains au Liban qui transforment mes paroles et provoquent des tensions dans les relations avec le royaume saoudien et les pays du Golfe, à des fins personnelles et au détriment du Liban ».
C’est dans le second communiqué, Charbel Wehbé a fait en quelque sorte son mea culpa. Il s’est excusé pour « certains propos inappropriés » qu’il a tenus alors qu’il était « en colère » à cause « d’atteintes inadmissibles » au président de la République de la part du fondateur et président du Comité des relations publiques américano-saoudiennes (Saprac), le Saoudien Salmane al-Ansari. Ce dernier avait accusé le président Michel Aoun et le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, qu’il a qualifié de « duo comique », d’avoir empêché l’organisation en 2020 d’une « conférence sur les relations stratégiques libano-saoudiennes ». Sur quoi le ministre a qualifié de « bédouin » M. Ansari avant de quitter le plateau d’al-Hurra.
Dans son communiqué, le ministre sortant s’est toutefois défendu de toute tentative de porter atteinte à des pays et des peuples arabes frères. « Mes efforts visant à améliorer les rapports avec ces peuples ne se sont jamais interrompus », a rappelé M. Wehbé.
Baabda et Yarzé
Suite à l’interview, la présidence du Conseil a annoncé que le Premier ministre sortant, Hassane Diab, est entré en contact avec son ministre des Affaires étrangères, tandis que Baabda se désolidarisait rapidement de Charbel Wehbé, censé en principe exprimer la position officielle du Liban. « Les propos de Charbel Wehbé à la chaîne al-Hurra hier soir (lundi) représentent son propre avis et ne reflètent pas le point de vue de l’État libanais ni du président Aoun », a déclaré la présidence dans un communiqué publié hier. Le chef de l’État « refuse toute atteinte aux pays amis et surtout à l’Arabie saoudite et aux pays du Golfe », ajoute le texte, qui souligne toutefois que certains commentaires et la campagne médiatique programmée en réaction aux propos du ministre « visent à mettre à mal les relations fraternelles » avec ces pays. Un communiqué interprété comme geste d’apaisement en direction de l’Arabie, dans une tentative d’éviter d’enfoncer davantage le clou à l’heure actuelle, surtout que le Premier ministre désigné ne parvient toujours pas à accomplir sa tâche faute de feu vert saoudien, et que se poursuit son bras de fer politique chronique avec le camp présidentiel.
Quoi qu’il en soit, et en guise de solidarité avec le royaume, un rassemblement est prévu ce matin à la résidence de l’ambassadeur d’Arabie à Beyrouth, Walid Boukhari, à Yarzé. Selon les informations obtenues par L’Orient-Le Jour, plusieurs personnalités politiques, diplomatiques et religieuses, dont le mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane et le cheikh Akl druze Naïm Hassan, pourraient prendre part à l’événement.
commentaires (9)
Il n'y a que la vérité qui blesse.
Politiquement incorrect(e)
21 h 09, le 19 mai 2021