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Société - Grève des médecins

L’affaire Ella Tannous n’a pas fini de faire des remous

L’ordre réclame la création d’un parquet médical et l’amendement de l’article 565 du code civil qui qualifie pénalement l’erreur médicale.

L’affaire Ella Tannous n’a pas fini de faire des remous

Le président de l’ordre des médecins Charaf Abou Charaf. Photo Marc Fayad

Le travail a repris normalement lundi dans le secteur médical et hospitalier, après une semaine exceptionnelle de perturbations dues à une grève, et un arrêt des consultations et des admissions non urgentes. Le mouvement entendait protester contre le verdict de la justice dans l’affaire Ella Tannous. Il y a une dizaine de jours, la cour d’appel de Beyrouth avait condamné deux hôpitaux, l’hôpital Notre-Dame des Secours et l’AUBMC (l’hôpital américain), ainsi que deux médecins, Issam Maalouf et Rana Charara, à verser des indemnités, jugées « injustes » dans le milieu médical, dans le cadre de cette affaire qui remonte à 2015. Victime d’un streptocoque virulent tardivement diagnostiqué, Ella Tannous, âgée de 10 mois au moment des faits, n’avait survécu qu’au prix de l’amputation de ses bras et ses jambes.

Si la grève a pris fin, il semble clair, à recueillir les avis des membres de la profession médicale, que l’affaire n’a pas fini de faire des remous et que le jugement du président de la cour d’appel Tarek Bitar, jugé « injuste » par le corps médical et l’ordre des médecins, ne sera ni facilement ni rapidement exécuté.

Une révision des indemnités est-elle possible ?

L’ordre des médecins réclame une révision du jugement, et surtout des indemnités à verser à Ella Tannous et à ses parents, soit 10 milliards de livres et une pension à vie à l’enfant.

Sur ce plan, les avis sont partagés. Pour Sakhr Hachem, l’avocat de l’hôpital Notre-Dame des Secours et du Dr Issam Maalouf, « un recours n’est plus possible ; seul un compromis pourrait faire l’affaire ». Dans les milieux de l’AUBMC, toutefois, on estime que le jugement est « inapplicable ». « On ne peut hypothéquer la vie d’un médecin avec une amende qui dépasse ses moyens », affirme-t-on dans ces milieux qui font une claire distinction entre « l’obligation des moyens », qu’il est raisonnable d’exiger, et « l’obligation de résultats », qu’il est impossible à demander à un médecin.

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Contrairement à ce qui a été dit précédemment, l’hôpital Notre-Dame des Secours et l’AUBMC sont condamnés à verser, en solidarité avec les médecins traitants qui leur sont rattachés, respectivement 30 et 70 % des indemnités fixées.

L’ordre des médecins, pour sa part, souhaite que l’État libanais et surtout les compagnies d’assurances soient associés au paiement des indemnités, comme cela se fait sous d’autres cieux.

Mais sur le plan judiciaire, l’ordre souhaite surtout que d’importantes réformes de fond soient initiées, dont la création d’un parquet général médical, l’interdiction de l’arrestation du médecin en raison de sa pratique médicale, l’amendement de l’article 565 du code civil qui défère les médecins responsables de fautes médicales devant le tribunal pénal. Parallèlement, l’ordre des médecins a prié les praticiens, « jusqu’à nouvel ordre », « de ne plus accorder de consultations au téléphone ou sur les réseaux sociaux ». Dans ce type de consultation, la marge d’erreur de diagnostic est plus grande, explique en substance pour L’OLJ le président de l’ordre des médecins, Charaf Abou charaf, dans un souci de tirer les leçons de l’affaire Ella Tannous et de protéger les médecins des poursuites judiciaires éventuelles que ces erreurs peuvent leur valoir dans certains cas.

La commission d’enquête

Revenant sur le rapport établi par la commission d’enquête qu’il a présidée, le Dr Abou charaf réaffirme que « la sympathie naturelle que j’éprouve pour la famille de la petite Ella Tannous n’empêche pas que je sois sensible à l’effort déployé par les médecins pour lui sauver la vie ». Et de préciser que la commission formée à l’appel du juge de première instance était composée de neuf médecins spécialistes, dont des urgentistes, et que, contrairement à la déontologie, un médecin de l’AUBMC en faisait partie. Toutefois, précise-t-il, ce dernier, le Dr Amine Azzi, a uniquement participé à l’examen de l’étape médicale qui a précédé l’arrivée d’Ella Tannous aux urgences de l’AUBMC.

La commission, poursuit le Dr Abou charaf, a tenu 29 réunions de plus de deux heures chacune entre le 16 juin 2015 et le 2 janvier 2016, sans compter les réunions tenues dans les hôpitaux concernés. Ses membres n’ont réclamé aucune rémunération, et c’est le magistrat instructeur qui a insisté pour que ses membres soient indemnisés selon la loi. Par ailleurs, la commission a recueilli l’avis de quatre urgentistes pédiatriques étrangers : les Drs Stéphan Clément de Clety (Louvain-Belgique), Yves Durandi et Mehdi Oualha (France), et Berner Jonas (Stockholm-Suède).

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Ce rapport a établi que la petite Ella était atteinte d’une inflammation rare à streptocoque (un cas sur 22 millions) difficile à traiter et fulgurante qui, dans 90 % des cas, conduit à la mort ou à l’amputation, avec seulement 10 % de chances de rétablissement si le traitement est immédiat. Ce qui est très difficile.

« Le but du rapport était de faire la vérité sur ce qui s’est passé et d’examiner le cas dans la succession de ses étapes afin d’un tirer le plus d’informations possible », dit encore le Dr Abou charaf. « Certes, il y a eu des lacunes et des imperfections que la commission a mentionnées dans son rapport, reconnaît le président de l’ordre, mais la responsabilité essentielle de ce qui s’est produit est liée à l’inflammation particulière qui était traitée et à ses conséquences rapides. »

Pour le président de l’ordre des médecins, l’arrêt de la cour d’appel est « un coup fatal porté au secteur médical tout entier ». « Désormais, aucun médecin n’osera se pencher sur un cas difficile ou complexe, par crainte d’être poursuivi en justice ou jeté en prison », déplore-t-il. Assurant ne pas douter de « l’intégrité du juge Tarek Bitar ni de ses compétences générales », il ajoute que l’ordre a « des objections au sujet de son jugement ». « Nous considérons qu’il a mal compris les conclusions de notre rapport. Mais cela ne nous étonne pas, dans la mesure où la question exigeait que l’on en soit spécialiste », ajoute-t-il.

« Le jugement reste injuste à l’égard d’Ella Tannous, étant sans proportion avec le dommage physique et moral subi ; mais il est également injuste à l’égard des médecins qui ont tenté de lui sauver la vie en dépit des lacunes et imperfections des soins, face à un microbe dévastateur qui est la principale cause de cette évolution dramatique », juge encore le Dr Abou charaf. Réagissant aux critiques, le président de l’ordre assure que « le médecin n’est pas une ligne rouge ». « Les gens pensent que l’ordre des médecins protège ses membres et couvre leurs erreurs. Mais notre commission d’enquête examine annuellement environ 150 plaintes et prend des sanctions dans 30 % des cas qui semblent être des erreurs médicales ou des pratiques contraires à la déontologie. Il reste que si le médecin doit soigner les symptômes, cela se fait sans obligation de résultats », martèle-t-il.

Le travail a repris normalement lundi dans le secteur médical et hospitalier, après une semaine exceptionnelle de perturbations dues à une grève, et un arrêt des consultations et des admissions non urgentes. Le mouvement entendait protester contre le verdict de la justice dans l’affaire Ella Tannous. Il y a une dizaine de jours, la cour d’appel de Beyrouth avait condamné deux hôpitaux,...

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