
Alors que les bombardements israéliens se poursuivent dans la bande de Gaza, des Palestiniens protestent contre les violences en cours à Jérusalem, à Gaza et en Cisjordanie, le 16 mai 2021 près de la colonie de Beit El, à quelques kilomètres au nord de Ramallah. Abbas Momani/AFP
« Enhara el-burj ! » (la tour s’est effondrée). La voix consternée du présentateur d’al-Jazeera s’estompe samedi après-midi, à mesure qu’il comprend ce qui est en train de se passer. Les Israéliens viennent de pilonner al-Jalaa, un immeuble de 11 étages situé dans la ville de Gaza. La tour, qui s’effondre en direct, abritait les bureaux de médias étrangers, ceux d’al-Jazeera et de l’Associated Press, ainsi que des ONG et des habitations privées. Sur place, l’armée israélienne avait pris la peine de prévenir une heure avant : le personnel aura quelques minutes pour fuir, mais le reste, le matériel, les ordinateurs disparaîtront en quelques secondes. Pour les Israéliens, la frappe se justifie et l’immeuble, qui abritait des équipements du Hamas au pouvoir dans l’enclave depuis 2007, est « une cible parfaitement légitime », selon le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Les autres, les Gazaouis en premier lieu, savent que l’excuse ne tient pas. Que la prise de cibles civiles est désormais quotidienne. Et que les Israéliens n’en sont pas à leur coup d’essai. Jeudi, deux jours avant l’offensive contre al-Jalaa, la tour al-Shorouk abritant sept médias dont la télévision al-Aqsa affiliée au Hamas s’était également écroulée après une frappe. La Fédération internationale des journalistes avertissait alors « des agressions destructrices et répétées contre les médias et journalistes palestiniens et étrangers ».
Cette fois, l’ampleur de la frappe et la symbolique de la cible dépassent un nouveau seuil. Les images circulent à travers le monde, sidérant la communauté médiatique dans son ensemble. « Un avertissement adressé aux journalistes pour les dissuader de montrer ce qui est en train de se passer à Gaza, une manière de leur dire : circulez, il n’y a rien à voir », commente Leila Seurat, chercheuse associée à l’Observatoire des mondes arabes et musulmans (OMAM) de l’Université libre de Bruxelles (ULB). « Évidemment ça ne fonctionne pas : al-Jazeera a toujours ses correspondants, et tout a été retransmis en direct à la télévision », poursuit cette dernière.
Évidemment, mais au-delà de son efficacité stratégique, l’épisode d’al-Jalaa a également le mérite de rappeler l’importance des enjeux médiatiques impliqués dans la séquence en cours.
Un mois après le début des manifestations à Jérusalem et une semaine après le début des bombardements à Gaza, les images qui nous parviennent ne sont plus seulement captées par les grandes chaînes d’informations locales et internationales. Sur les réseaux sociaux, la jeunesse palestinienne, de Jérusalem à Ramallah, maîtrise le langage et les codes des médias occidentaux, fait campagne et s’invite sur les plateaux de télévision pour parfois remettre à leur place des journalistes aux questions malavisées ou trop imprégnées par le discours dominant israélien. Ils s’appellent Mohammad al-Kurd, Mariam Barghouti, ou Amany Khalifa : dans la diaspora ou depuis leurs villes d’origine, cette jeunesse donne une visibilité nouvelle à ce qui était encore il y a quelques années un discours marginalisé, accessible à quelques cercles d’initiés. Une « guerre médiatique » qui se joue au-delà des frontières, devant et pour l’opinion publique internationale, afin de réintroduire leur propre narration de l’histoire.
« Les Arabes, convoqués pour la forme »
Des évolutions toutes relatives, qui n’empêchent pas beaucoup de médias internationaux et israéliens de maintenir leur ligne traditionnelle en continuant à relayer un discours dominé par l’argument du « droit naturel à l’autodéfense » promu par l’État hébreu, centré autour du « syndrome de la citadelle assiégée » et du « complexe de Masada », en référence à cette forteresse imprenable que les juifs ont défendue contre les forces hostiles de l’empire romain au premier siècle. Plusieurs médias américains dont le New York Times ont par exemple dû retirer des vidéos en ligne après avoir reconnu qu’elles ne montraient pas des tirs de roquettes du Hamas, mais venaient en réalité de Syrie ou de Libye. Les médias israéliens ont également pris l’habitude « d’inviter des Arabes seulement dans le but de manipuler l’entretien, de confronter l’intervenant et de le forcer à condamner les actions des Palestiniens », estime Rami Younis, journaliste palestinien originaire de Lydda (Lod, en israélien), sur le site en ligne israélo-palestinien +972 magazine. « Selon eux, cela rendrait l’entretien plus équitable ou plus progressiste, mais le but est souvent d’humilier les Arabes, convoqués pour la forme, en les faisant mijoter jusqu’à ce qu’ils deviennent dociles », poursuit ce dernier, témoignant de son expérience récente sur le plateau de la Société de radiodiffusion publique israélienne.
Mais cette « lutte pour l’imposition d’un discours sur le conflit fonctionne moins bien (côté israélien) depuis que certaines transformations globales des sociétés européennes ou américaines » ont changé la donne, nuance Leila Seurat, « notamment aux États-Unis où les campus américains ont récemment basculé en faveur des campagnes BDS (NDLR, Boycott, Divestment, Sanctions, un mouvement propalestinien appelant à des actions ciblées visant à faire pression pour contrer les politiques israéliennes) ». Car aux États-Unis comme ailleurs, il est difficile de comprendre ces dynamiques sans replacer les événements récents dans le contexte plus large des mouvements contre les violences policières qui ont eu lieu en 2020 dans le sillage de la campagne « Black Lives Matter ». Avec des slogans comme « Palestinian Lives Matter » ou « I can’t breath since 1948 », les Palestiniens eux-mêmes réinscrivent leur lutte dans la continuité du mouvement international pour une justice sociale.
À l’ère des réseaux sociaux et des retransmissions en direct, l’information est certes devenue quasi instantanée. Mais la guerre des récits se joue sur un temps long, sur des années ou des décennies, lorsque les armes se taisent et que la fièvre médiatique retombe. Alors que les tractations diplomatiques se sont intensifiées durant le week-end écoulé pour mettre fin aux bombardements, que le Hamas a transmis aux Égyptiens une proposition de cessez-le-feu et que le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni hier, cette guerre-là pourrait bien continuer encore un temps.
« Enhara el-burj ! » (la tour s’est effondrée). La voix consternée du présentateur d’al-Jazeera s’estompe samedi après-midi, à mesure qu’il comprend ce qui est en train de se passer. Les Israéliens viennent de pilonner al-Jalaa, un immeuble de 11 étages situé dans la ville de Gaza. La tour, qui s’effondre en direct, abritait les bureaux de médias étrangers, ceux...
commentaires (11)
Ouais? Cet article est quand même un peu naïf, je trouve. Depuis le temps, vous devriez savoir que les israéliens n’en n’ont absolument rien à cirer de la "bataille médiatique". Dès que deviendra trop chaud pour leurs fesses, ils nous (re)sortiront leur arme secrète, qu’on n’a pas le droit de nommer, mais qui commence par "holo" et se termine par "causte". A sa simple évocation, les "nations civilisées" font caca dans leurs pantalons, s’agenouillent en geignant "pardon, pardon, pardon", et bloquent toute initiative de justice qui leur donnerait ne serait-ce qu’une illusion de culpabilité. Non monsieur le journaliste, Israel a bel et bien remporté à vie la bataille médiatique en 1946 à Nuremberg...
Gros Gnon
21 h 34, le 17 mai 2021