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Dépossessions

Depuis le temps qu’elle ne faisait plus trop parler d’elle, on était en passe de l’oublier. La Palestine, nombreux étaient même ceux qui, ces dernières années, en venaient à la déclarer morte et enterrée. C’était quand Donald Trump, rompant avec une longue tradition diplomatique américaine, transférait son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, proclamée une et indivisible par le conquérant israélien. Quand, avec la même désinvolture, et dans le cadre d’un extravagant marché du siècle concocté par Jared Kushner, était décrétée caduque la solution des deux États. Quand après avoir entériné l’annexion israélienne du Golan syrien, la superpuissance américaine paraissait vouer au même sort la Cisjordanie. Quand enfin elle organisait et parrainait des accords de paix entre l’État hébreu et des royaumes pétroliers arabes, sans plus de mention des droits des Palestiniens.

Et pourtant, la braise dormant sous la cendre a vite fait de se raviver, dès lors qu’est soulevée une question aussi volatile que celle de Jérusalem, ville trois fois sainte. Depuis l’occupation de cette cité en 1967, les actes de provocation perpétrés par les Israéliens n’ont pas manqué dans l’enceinte ou aux abords de cette esplanade des Mosquées, qui se trouve être le site le plus sacré des juifs ( le mont du Temple ), mais aussi le troisième lieu saint de l’islam. En allant y parader, une bête de guerre aussi haïe qu’Ariel Sharon déclenchait, déjà en l’an 2000, la deuxième intifada. Avant que d’embraser ce microcosme du conflit israélo-palestinien puis de réveiller le volcan de Gaza, la première étincelle est partie, cette fois, du quartier de Cheikh Jarrah, où des familles arabes sont menacées d’éviction au profit de colons juifs, aux termes d’une décision de tribunal.

C’est dire que dans ces quelques pâtés de maisons proches de la Vieille Ville se joue actuellement, en modèle réduit, un révoltant remake de la tragédie de Palestine : un dépeuplement arabe opéré à force de restrictions administratives, de vexations, de harcèlements et d’agressions physiques, une vaste entreprise de dépossession ultérieurement cautionnée par un simulacre de justice. Le plus triste est que c’est aujourd’hui seulement – et par crainte surtout d’une incontrôlable escalade de la violence – que le monde s’émeut de ce qu’il faut bien appeler pourtant une épuration ethnique sournoisement rampante ; que les grandes capitales et l’ONU pressent Israël de mettre fin à sa politique de colonisation ; que l’on voit même l’Amérique en cours de détrumpisation prendre des pincettes pour demander que soient évitées les évictions de Palestiniens, ainsi que les morts de civils. Oui, le plus navrant est que pour se rappeler à la mémoire du monde bien pensant, ces damnés de la terre que sont les Palestiniens n’aient eu d’autre moyen, une fois de plus, que d’offrir leur hémoglobine en pâture aux médias internationaux.

Au sein de ce concert planétaire, le monde arabe ne pouvait évidemment que se distinguer par la vivacité de ses cris d’indignation et la chaleur de ses serments de solidarité avec ce peuple frère ; ces torrents de rhétorique ne surprennent plus personne, ils font partie du folklore. Mais que le Liban officiel s’y mette à son tour et pousse lui aussi sa chansonnette n’est pas seulement sidérant d’aveuglement : c’est surtout grotesque. Car dans sa lamentable configuration présente, l’État libanais n’est guère apte à déplorer, avec la sincérité et la crédibilité requises, cette colossale, inimaginable, opération de dépossession dont continuent d’être victimes les Palestiniens. Cet État est lui-même un dépouilleur de haute volée, l’indigne auteur d’un pillage à grande échelle qui a précipité les citoyens dans la pauvreté. Il n’est pas qualifié pour dénoncer la très réelle barbarie israélienne, lui qui a souvent usé de tirs non moins réels contre les manifestants de la faim. Il n’est pas en droit de demander justice pour les autres, lui qui s’évertue à faire le black-out sur la somme de criminelles combines et de carences qui ont détruit une partie notable de la capitale.

Les larmes de crocodile qui ne trompent personne, on connaissait déjà. Mais là, cela tournait quasiment à l’obscène… 

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Depuis le temps qu’elle ne faisait plus trop parler d’elle, on était en passe de l’oublier. La Palestine, nombreux étaient même ceux qui, ces dernières années, en venaient à la déclarer morte et enterrée. C’était quand Donald Trump, rompant avec une longue tradition diplomatique américaine, transférait son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, proclamée une et indivisible par...