Les récents propos du chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Jawad Zarif, ont fait l’effet d’une bombe. Mais l’affaire a été vite étouffée dans l’œuf par les autorités à Téhéran. Et pour cause : dans une interview dont l’enregistrement, il y a quelques jours, n’était pas censé être divulgué dans l’immédiat, M. Zarif dénonce sans ambages les multiples entraves à son action diplomatique par les gardiens de la révolution iranienne, plus particulièrement par Kassem Soleimani, le redouté commandant de la Force al-Qods assassiné par les Américains en janvier 2020. L’on se souvient sur ce plan qu’en février 2019, M. Zarif avait présenté sa démission pour protester contre le fait qu’une visite de Bachar el-Assad au guide suprême de la révolution iranienne, l’imam Ali Khamenei, à Téhéran avait été décidée et organisée sans qu’il soit invité à y participer. Sa démission sera rejetée par le président Hassan Rohani. Ces deux épisodes illustrent la difficile coexistence entre deux logiques souvent contradictoires, mais qui agissent malgré tout au service d’un même système arbitré par le guide suprême : la logique « révolutionnaire », basée sur l’exportation de la révolution islamique dans la région, et la logique de l’État, représentée par le président Rohani et M. Zarif, en charge du dialogue et de la conclusion d’éventuels accords avec l’Occident et la communauté internationale.
Cette dualité n’est pas nouvelle. Elle remonte à l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeyni en 1979. Le leader de la révolution islamique, se méfiant de l’armée iranienne en place qui avait été formée par le chah, avait entrepris de fonder une force parallèle, les gardiens de la révolution (les pasdaran) qui sont devenus rapidement non seulement une armée en bonne et due forme avec tous les attributs d’une troupe classique, mais également une sorte d’État de l’ombre avec ses propres réseaux économiques et financiers, et même sa propre compagnie d’aviation. La politique d’exportation de la révolution a été menée tambour battant par ces gardiens de la révolution (et non pas l’État central), par le biais d’organisations telles que le Hezbollah, la milice yéménite des houthis et le Hachd el-Chaabi en Irak qui sont tous au service du projet porté par les pasdaran.
Un antagonisme similaire entre ces deux logiques se manifeste aussi clairement au Liban, à la différence qu’en Iran les gardiens de la révolution constituent la pierre angulaire du système, alors qu’au Liban, le Hezbollah est en concurrence directe avec l’État. Pour servir au mieux le projet expansionniste iranien – le nouvel empire perse – le parti chiite ne peut en effet s’accommoder de la présence de structures étatiques efficaces et fortes. Plus le pouvoir central est souverain et maître de ses décisions, et plus le risque que le Hezbollah soit affaibli est grand ; et inversement, pour que le parti chiite puisse consolider sa force et assumer entièrement sa fonction régionale, il est nécessaire que l’État soit faible et déstabilisé. Conséquence inéluctable : tout projet de réformes profondes dans le pays et de réhabilitation des pouvoirs publics doit avoir comme préalable la recherche, en amont, d’une solution à ce problème posé par le Hezbollah, de manière à lever l’obstacle de l’antagonisme entre les impératifs de l’État et la logique « révolutionnaire » transnationale du parti chiite. Les remarques faites par le chef de la diplomatie iranienne illustrent parfaitement à cet égard à quel point les exigences d’un pouvoir central finissent par être neutralisées par l’approche « révolutionnaire ». Pour le Liban, même si l’on parvenait, dans un cas de figure idéal, à confier la totalité du pouvoir à des anges et des saints mus par les intentions les plus nobles, leur action finira par être torpillée tôt ou tard par la tête de pont des pasdaran que constitue le Hezbollah du fait que pour ce dernier, la priorité absolue est accordée au projet d’expansion de la révolution islamique et nullement aux impératifs du redressement libanais, quelles que soient les conséquences de ce comportement et le prix à payer au plan local.
Le corollaire d’une telle réalité est qu’il serait salvateur pour les Libanais qu’une aide politique et diplomatique de la France au Liban soit axée sur la recherche d’une solution à ce problème de l’ancrage total du Hezbollah au projet expansionniste des pasdaran. Cela implique une nécessaire action internationale dont Paris pourrait très bien être le catalyseur et l’élément moteur. Avec en filigrane le projet du patriarche maronite Béchara Raï portant, précisément, sur la convocation d’une conférence internationale devant déboucher sur la neutralité du Liban, seule solution possible pour engager enfin le pays sur la voie du redressement, des réformes et d’une paix civile durable.
Prôner un renouveau sans poser clairement, loin de toute ambiguïté, le problème créé par la stratégie déstabilisatrice du Hezbollah et sans engager un « build up » médiatique et politique pour préparer le terrain à une solution radicale sur ce plan reviendrait à jeter de la poudre aux yeux et à verser dans une attitude de déni, source de tous les blocages.
commentaires (5)
Il y en a qui défendent les pasdarans et demandent aux journalistes libanais de se la coincer ou de s’abstenir de les évoquer? Quel patriotisme dites-moi. On croyait les libanais évolués et voilà que certains sont restés au moyen âge prenant partie avec les fossoyeurs de leur pays et ses citoyens y compris eux mêmes. Toc toc, il y a quelque chose là dedans?
Sissi zayyat
17 h 07, le 11 mai 2021