La contrebande de produits libanais, qui plus est subventionnés par l’État, vers la Syrie est un secret de polichinelle. Mais le fait que ces passages transfrontaliers illégaux se fassent aussi dans l’autre sens et que le pays du Cèdre soit utilisé par son voisin comme une plateforme pour exporter ses « produits » est moins connu. Cette réciprocité a été mise en évidence par la découverte en Arabie saoudite de pilules de captagon cachées dans une cargaison de grenades en provenance du Liban. En réaction, le royaume a décidé de ne plus importer de fruits et légumes venant de Beyrouth. « Nous n’exportons pas de grenades, mais nous en importons. Par conséquent, nous sommes sûrs qu’il ne s’agit pas d’une production locale », affirme Ibrahim Tarchichi, président du Rassemblement des agriculteurs et paysans de la Békaa. L’enquête en cours confirme la piste syrienne.
Le captagon, surnommé à tort la « drogue des jihadistes », était déjà produit en Syrie avant le début du conflit en 2011. Mais la cadence s’est largement accélérée depuis. « Avant la guerre, la Syrie était davantage un pays de transit dans le trafic de drogue. Depuis, il est devenu une source majeure de production en la matière », explique Armenak Tokmajyan, chercheur non résident au Carnegie Middle East Center. Ces dernières années, d’énormes quantités de captagon et d’autres drogues ont été saisies dans divers pays du Golfe, en Égypte et en Europe.
« Dans la plupart des cas, les cargaisons provenaient de Syrie. Au fil des années, un réseau complexe de contrebande de captagon a émergé, impliquant des acteurs étatiques et non étatiques », ajoute le spécialiste. Joseph Daher, maître enseignant de recherche à l’Université de Lausanne et professeur affilié à l’Institut universitaire européen de Florence, explique pour sa part que « dans toute période de guerre civile, comme au Liban durant les années 70 et 80, on peut remarquer une explosion des différentes productions de drogue car c’est un moyen de financer les milices ».
« Le Hezbollah contrôle la plupart des postes-frontières »
En l’espèce, la drogue s’est retrouvée dans une cargaison de grenades, a passé la frontière libanaise puis a été exportée vers l’Arabie saoudite. Pourquoi passer par le Liban ? Parce que la Syrie n’a plus les moyens d’exporter sa marchandise. Elle a vu son chiffre annuel d’exportation baisser drastiquement depuis le début du conflit.
« Avant 2011, cette marchandise représentait entre 10 et 11 milliards par an. Aujourd’hui, elle ne dépasse pas les 700 millions de dollars. Et l’exportation de produits agricoles est très faible ». La loi César a en plus compliqué l’équation. Entrée en vigueur en juin 2020, elle menace de sanctions américaines toutes les personnes, institutions ou tout gouvernement qui « apportent un soutien significatif au gouvernement syrien, financier, matériel ou technologique, ou qui conduit des transactions significatives avec celui-ci ». L’exportation, contrairement à l’importation, entre dans le cadre de cette loi. « Dans le cas en présence, le Liban n’a rien à craindre puisque c’est de la contrebande et qu’il est donc plus compliqué de faire le lien avec une institution officielle », élabore Joseph Daher.
Le Liban, de son côté, continue d’importer des fruits et légumes de chez son voisin. « Les fruits et légumes que l’on trouve au Liban sont également produits en Syrie en grande quantité et à des prix bon marché », explique Ibrahim Tarchichi. La cargaison aurait été présentée comme une marchandise libanaise au moyen d’une société fictive possédant une certification du ministère de l’Agriculture. Quatre personnes qui seraient en lien avec cette fausse société ont été arrêtées. L’armée a par ailleurs perquisitionné du matériel de fabrication de captagon à Charaouné (Baalbeck). En parallèle, les Forces de sécurité intérieure ont saisi des drogues à Hay el-Sellom (banlieue sud de Beyrouth). Deux régions administrées par le Hezbollah. Le parti chiite est accusé par ses détracteurs d’être au cœur de ces opérations. « Le Hezbollah contrôle la plupart des postes-frontières “non légaux” entre le Liban et la Syrie », rappelle Joseph Daher. Il y a quelques jours, un responsable du parti de Dieu, Sadek Naboulsi, était allé jusqu’à faire l’apologie de la contrebande du Liban vers la Syrie, disant qu’elle fait partie de l’action de la « Résistance » en faveur du régime syrien.
« Le roi du captagon »
En raison notamment de l’instabilité du terrain syrien, une partie des producteurs et des contrebandiers se sont installés ces dernières années au Liban, y déplaçant certaines de leurs usines. « Nous avons commencé à les suivre et à les arrêter pendant cette période. Nous avons intercepté des millions de pilules et arrêté de grandes opérations. 25 à 30 millions de pilules ont été trouvées ces trois dernières années », affirme une source sécuritaire libanaise à L’OLJ. « C’était d’abord des Syriens, puis une alliance entre Libanais et Syriens, puis des Libanais qui sont devenus indépendants », explique la source précitée. La drogue était cachée dans de la nourriture, des habits, des meubles, des tables, de grandes machines industrielles ou encore des générateurs électriques. Hassan Dekko, surnommé « le roi du captagon », a été en outre arrêté le 9 avril à l’issue d’une enquête menée après l’interception de 16 tonnes de captagon d’une valeur de 1,7 milliard de dollars à Port Kelang, en Malaisie. Pour passer les douanes du port de Beyrouth, la cargaison a profité d’un faible contrôle.
D’après un responsable au sein des douanes qui a souhaité garder l’anonymat, les inspections se font minutieusement au port de Beyrouth lorsque les conteneurs partent en direction des pays du Golfe. Mais elles se font à la main faute de moyens. Les outils ont été endommagés à cause de la double explosion du port ou ont été perdus. « Avec la crise économique, c’est devenu plus difficile », avance la source de la douane.
Les camions libanais bloqués autorisés à passer la frontière saoudienne
Le ministère de l’Intérieur a annoncé hier que les marchandises libanaises, bloquées à la frontières saoudienne depuis le 25 avril, ont finalement été acheminées à destination. Au terme d’une réunion d’urgence organisée le 27 avril au palais présidentiel de Baabda, le ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, avait été chargé d’engager des contacts avec son homologue saoudien afin de sauver près de 100 tonnes de fruits et agrumes bloqués dans des camions à la frontière saoudienne.
Les importations de fruits et de légumes libanais avaient été suspendues le 25 avril par les autorités de Riyad après l’interception de plus de 5 millions de pilules de captagon dissimulées dans des grenades en provenance du Liban. Cette décision reste en vigueur jusqu’à ce que les autorités libanaises fournissent « des garanties fiables » sur l’arrêt des opérations de narcotrafic en direction de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe. Dans la foulée, Bahreïn, le Koweït, les Émirats arabes unis et Oman l’ont tous approuvée, sans toutefois indiquer s’ils vont ou non emboîter le pas au royaume wahhabite.
commentaires (8)
Cher dôme en acier: Donc en passant d'état souverain à plateforme est-ce qu'on évolue dans le bon sens? Et est-ce que notre avenir est brillant??
Wlek Sanferlou
18 h 21, le 01 mai 2021