Lorsque le chef de l’État avait décidé de prononcer son fameux discours le mercredi 7 avril sur la nécessité de procéder à un audit juricomptable sur les comptes de l’État, il avait compris que le dossier gouvernemental n’était prioritaire que pour le peuple libanais, mais ni pour ses dirigeants ni pour les parties internationales dans leur diversité. Pour Baabda, il était en effet difficile d’expliquer autrement le refus du Premier ministre désigné de discuter ou même de remettre en cause la formule qu’il avait présentée au chef de l’État le 9 décembre 2020.
À plusieurs reprises, lors de leurs nombreuses rencontres, Michel Aoun avait émis des remarques à Saad Hariri sur cette mouture, et ce dernier n’a jamais voulu en tenir compte, la ramenant avec lui à chaque nouveau rendez-vous. Lorsqu’il a finalement accepté de discuter d’un cabinet de 24 membres après sa visite au patriarche maronite Béchara Raï, le ministre égyptien des Affaires étrangères a aussitôt effectué une visite au Liban pour transmettre aux parties concernées un message unique d’appui aux positions du Premier ministre désigné. Ce qui a été interprété dans les médias comme un conseil à Saad Hariri de ne pas céder face à Michel Aoun. De plus, le chef de l’État avait mené de son côté ses propres investigations au sujet de la mouture que lui avait présentée le chef du courant du Futur. Il a ainsi sondé le Hezbollah sur les deux noms de ministres qui lui sont attribués dans cette formule, pour découvrir que, contrairement aux assurances de Saad Hariri, le parti chiite n’avait pas donné son accord.
Pour les milieux de Baabda, l’insistance du Premier ministre désigné sur sa mouture en affirmant qu’elle avait l’aval de toutes les parties pouvait avoir deux explications : soit il misait sur le souci du chef de l’État de sauver la dernière année de son mandat et sur sa conscience aiguë du temps qui presse pour lui faire accepter un gouvernement sur lequel il n’a pratiquement aucune prise, soit il ne veut pas former un gouvernement et souhaite laisser passer le temps pour que le mandat de Michel Aoun se termine dans la débandade, sachant qu’il n’y a aucun moyen de l’obliger à se récuser.
Toujours selon les milieux proches de Baabda, le chef de l’État s’est ainsi trouvé face à une impasse : soit il accepte un gouvernement, le dernier de son mandat, dans lequel il n’aura aucun poids effectif, alors que c’est vers lui que seront dirigées les critiques, soit le pays reste sans gouvernement et il sera accusé par les médias d’être responsable du blocage. Il a donc décidé de réagir et de reprendre en quelque sorte l’initiative en mettant l’accent sur une cause qui, en principe, unit tous les Libanais : celle de l’audit juricomptable et de la lutte contre la corruption. Il a ainsi choisi de lancer le processus, d’autant qu’il peut le faire en l’absence d’un nouveau gouvernement, puisque la décision initiale a été prise par le cabinet de Hassane Diab en mars 2020, avant sa démission. Si, entre-temps, un nouveau gouvernement devait voir le jour, il pourrait poursuivre cette mission.
C’est donc dans cet esprit que le président de la République a prononcé son discours du 7 avril, lorsqu’il a repris la casquette du « général de Rabieh » pour affirmer sa détermination à lutter contre la corruption et à procéder au « forensic audit ». D’une part, cette initiative devrait lui permettre de remplir le temps mort en attendant la formation du gouvernement en menant une action concrète et utile pour tous les Libanais et, d’autre part, elle devrait aussi mettre toutes les parties au pied du mur et montrer à l’opinion publique qui veut effectivement lutter contre la corruption et qui, au contraire, se cache derrière les slogans pour ne rien faire.
Michel Aoun a ainsi déclenché un processus concret pour la lutte contre la corruption, et il a bousculé l’immobilisme qu’on voulait lui imposer. Selon les milieux proches de Baabda, cette démarche a pris de court les différentes parties politiques qui, ne trouvant pas grand-chose à dire, se sont contentées de la critiquer en accusant le chef de l’État de faire passer au second plan la formation du gouvernement, alors qu’elles savent parfaitement que dans ce dossier précis, il y a deux parties qui doivent se mettre d’accord, et non une qui doit imposer sa volonté à l’autre.
Selon les milieux proches de Baabda, le chef de l’État a donc réussi son coup, d’abord en ne restant pas les bras croisés, ensuite en brandissant une cause qui devrait unifier les Libanais, surtout en ces temps si durs. D’ailleurs, Michel Aoun n’a cessé de le répéter à ses visiteurs au cours des dix derniers jours, il compte aller jusqu’au bout dans ce processus et rien ne le fera changer d’avis. À ceux qui lui ont demandé qui le soutient dans cette bataille, il a répondu comme il l’avait fait en 1989, lorsqu’il avait déclenché la guerre dite de libération : le peuple et ma conscience. Quant aux autres, qui lui ont conseillé de conclure un compromis sur le passé, comme cela a été le cas en 1990, lorsque les milices avaient intégré l’État avant de mettre fin à la guerre civile, car toutes les parties vont se liguer contre lui s’il déclenche la lutte contre la corruption, il leur a répondu qu’il ne peut pas agir de cette façon. Selon lui, aucun compromis n’est possible sur l’argent du peuple, et le pays ne peut plus continuer à fonctionner de la même façon : oublier le passé et recommencer, car le Liban est au bord du gouffre et nul ne semble prêt à l’aider à s’en sortir sans procéder aux réformes nécessaires.
De fait, après le discours du chef de l’État, le processus de lutte contre la corruption semble s’être emballé. L’audit juricomptable a occupé les médias tout au long de la semaine écoulée et, depuis trois jours, les Libanais suivent attentivement les développements de l’enquête menée par la procureure du Mont-Liban Ghada Aoun sur les transferts de fonds à l’étranger. Que l’on soit pour ou contre la démarche de la juge Ghada Aoun, celle-ci ne laisse aucun Libanais indifférent. Quant à la formation du gouvernement, elle est passée au second plan...
No comment tellement il est pathétique cet article
23 h 35, le 19 avril 2021