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Lifestyle - La carte du tendre

Le silence des agneaux

Le silence des agneaux

Des civils fuient les combats dans le quartier de Kantari, en octobre 1975. Coll. Georges Boustany.

À première vue, voici un couple qui transporte quelques affaires personnelles ; on se dit qu’ils partent en voyage, qu’un taxi les attend hors cadre. On les sent pressés : un avion à attraper, l’appel irrésistible du changement d’air, la perspective de vacances longuement planifiées ? Leur tenue indique qu’il s’agit de jeunes « dans le vent » imprégnés de la mode seventies : fleurs, bracelet de bras, pantalons pattes d’eph, cheveux longs et favoris fournis.

Mais quelque chose ne tourne pas rond dans cette image : derrière eux, la vitrine de l’argenterie « N. Manoukian » est pulvérisée, la chaussée jonchée de débris de verre et de pierres. Même la roche qui borde le trottoir, réputée indestructible, est éclatée par endroits. Et s’il y a comme de la détermination dans le regard de l’homme, la femme a l’expression du gibier aux abois. En réalité, ils ne se hâtent pas, ils fuient sous la mitraille après avoir ramassé l’essentiel : fourre-tout et vanity-case pour les papiers et bijoux, quelques draps et peut-être un oreiller, une pipe et, aussi incroyable que cela puisse paraître, des disques 33 tours, vestiges sonores d’un passé qui déjà n’est plus.

Nous sommes à la fin du mois d’octobre 1975. La guerre de quinze ans a commencé avec le 1er round le 13 avril précédent pour trois jours, suivi du 2e round de mai pour dix jours ; le 3e round en plein été aura duré deux semaines, et au 4e round (août-septembre), on a cessé de croire qu’il ne s’agissait que d’un combat de boxe. Après la destruction du centre-ville, les combats s’étendent maintenant à Kantari et aux grands hôtels, provoquant la fuite éperdue des habitants. Tel est le sort de ces anonymes qui habitaient un des plus beaux quartiers de Beyrouth et dont certains seront évacués par les blindés des FSI.

Cette année encore, le 13 avril passera sans provoquer d’émotion particulière : une amnésie savamment entretenue par les loups pour faire oublier aux agneaux qu’ils les ont massacrés durant quinze ans avant de vider les poches des survivants. Pourtant, à l’époque comme aujourd’hui, certains esprits clairvoyants avaient aperçu les premières lueurs de l’aube barbare. Denise Ammoun par exemple, journaliste à l’hebdomadaire Magazine, écrivait le 8 août 1974 : « Voilà l’étrange Beyrouth 1974. Il rappelle à certains le Chicago des pires heures du crime, il suscite chez d’autres les images d’une jungle où il n’existe qu’une seule loi. Autant la suivre puisque l’État n’apparaît pas en mesure d’exercer ses fonctions. L’État, lui, face à cette chaudière où fermentent les organisations les plus diverses et les idéologies les plus contradictoires, a choisi “la patience et la sagesse“. Ce n’est pas toujours de bonne politique. À tout moment, la chaudière peut sauter. Et, alors, il sera trop tard pour agir. »

Dans le même article, la journaliste relate la sidérante mise en scène à laquelle elle s’est livrée avec deux collègues habillés en kaki, sans armes ni matricule, « aucun signe distinctif », postés à un carrefour de la ville. Les journalistes devaient faire signe aux automobilistes de s’arrêter et demander très poliment leurs papiers. Le résultat est effarant : « Aucun chauffeur sur 22 n’a eu seulement l’idée de demander à nos enquêteurs la raison de cette vérification d’identité. »

« Il est peut-être encore temps de recoller les morceaux »

« Qu’est-ce que cela dénote ? s’interroge Ammoun. Une véritable psychose, une peur panique, un respect maladif devant tout ce qui porte l’uniforme ou qui y ressemble. Quel que soit l’uniforme ! (…) Cette expérience prouve que le citoyen libanais a peur, qu’il vit dans un état d’insécurité permanente, qu’il ne sait plus à quel saint ou à quelle organisation se vouer, et qu’à condition de porter un uniforme, militaire ou paramilitaire, on peut faire à peu près tout ce qu’on veut dans le pays. (…) De toute évidence, l’État a renoncé à son autorité. (…) Plusieurs leaders politiques sont aujourd’hui à la tête de formations paramilitaires. On se croirait au temps où les seigneurs féodaux se faisaient la guerre, dans un Liban qui n’avait pas encore de gouvernement ! »

Ammoun questionne le chef des Kataëb Pierre Gemayel qui, lui aussi, a mis en place des camps d’entraînement de civils en armes pour répondre à ceux des Palestiniens. Celui-ci explique qu’il ne fait que réagir à l’existence d’un « État dans l’État » et que son seul objectif est la protection de l’État libanais « qui a renoncé à utiliser ses forces armées pour défendre ses propres frontières ». Et Ammoun de conclure : « L’abdication (du peuple libanais) est trop grave pour être passée sous silence. Elle prouve que la psychose a pris des proportions gigantesques. Elle prouve que l’autorité doit reprendre les choses en main. Il est peut-être encore temps de recoller les morceaux. »

On connaît la suite. Quelques mois plus tard, le règne des milices commençait, favorisé par le silence –

ou l’impuissance – des « civils ». Dans ma collection, il existe de nombreuses photographies semblables à celle-ci. Elles racontent toutes la même histoire : l’arbitraire milicien, les destructions et le pillage organisé, la cruauté, la violence gratuite, mais surtout les souffrances : les atroces, les interminables, les inhumaines souffrances de tout un peuple, à quelque bord qu’il appartienne.

C’est au souvenir de ce peuple de sacrifiés que je dédie ces lignes. Dans un pays où l’amnésie est une arme de domination massive, le travail de mémoire est un acte de résistance. Dans le disque qu’emporte l’homme dans sa fuite, Anne Sylvestre chante : « On dit que Lazare et Cécile / Se sont enfuis cette nuit / Et que la lune docile / Jusqu’au matin n’a pas lui. » Il est temps que Lazare se lève et marche. Il est temps que la lune luise et démasque les loups pour les désigner au jugement de l’histoire et à la colère des agneaux.

Auteur d’« Avant d’oublier » (les éditions L’Orient-Le Jour), Georges Boustany vous emmène toutes les deux semaines visiter le Liban du siècle dernier à travers une photographie de sa collection. Un voyage entre nostalgie et émotion, à la découverte d’un pays disparu.

À première vue, voici un couple qui transporte quelques affaires personnelles ; on se dit qu’ils partent en voyage, qu’un taxi les attend hors cadre. On les sent pressés : un avion à attraper, l’appel irrésistible du changement d’air, la perspective de vacances longuement planifiées ? Leur tenue indique qu’il s’agit de jeunes « dans le vent » imprégnés de la...

commentaires (4)

QUE DIEU GARDE LE PAYS D,UNE EXPLOSION POPULAIRE. LA GUERRE CIVILE DE 1875 SERAIT UN JEU DEVANT CE QUI PASSERAIT. LES MERCENAIRES SONT PRETS ET EN MENACENT DANS TOUS LEURS DISCOURS. - VRAIS RESISTANTS QUI AVEZ SAUVE LE PAYS DU BOUCHER ARAFAT, PREPAREZ-VOUS, SOYEZ PRETS CAR LE PAYS EST EN DANGER PAR UN AUTRE PIRE QUE ARAFAT. AU LIEU DE LA PALESTINE IL VEUT FAIRE DU LIBAN UN IRAN. QUE LES VRAIS RESISTANTS LIBANAIS DE 1975 S,UNISSENT ET SE PREPARENT. LE PAYS EST EN DANGER DE MORT.

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 26, le 11 avril 2021

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Commentaires (4)

  • QUE DIEU GARDE LE PAYS D,UNE EXPLOSION POPULAIRE. LA GUERRE CIVILE DE 1875 SERAIT UN JEU DEVANT CE QUI PASSERAIT. LES MERCENAIRES SONT PRETS ET EN MENACENT DANS TOUS LEURS DISCOURS. - VRAIS RESISTANTS QUI AVEZ SAUVE LE PAYS DU BOUCHER ARAFAT, PREPAREZ-VOUS, SOYEZ PRETS CAR LE PAYS EST EN DANGER PAR UN AUTRE PIRE QUE ARAFAT. AU LIEU DE LA PALESTINE IL VEUT FAIRE DU LIBAN UN IRAN. QUE LES VRAIS RESISTANTS LIBANAIS DE 1975 S,UNISSENT ET SE PREPARENT. LE PAYS EST EN DANGER DE MORT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 26, le 11 avril 2021

  • Et pourtant, nous avons revoté pour remettre les mêmes au pouvoir. Allez comprendre...

    Gros Gnon

    07 h 55, le 11 avril 2021

  • Comme toujours une histoire interessante pour mieux se souvenir du passee ... A la droite, sur la photo, on voit le numero du secteur 'Kantari secteur 22' et rue 54 bilingue arabe/francais. De nos jours j'ai remarque tous ces signes a Beyrouth mais je me demandais quand on a mis ses signes. Apparement ces secteurs existaient deja en 1975. Je suppose que ces secteurs sont de l'epoque du protectorat francais mais je n'en suis pas sur.

    Stes David

    13 h 45, le 10 avril 2021

  • A la memoire... Merci Georges Boustany

    Danielle Kerbage

    10 h 35, le 10 avril 2021

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