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Nos Lecteurs ont la Parole

Adieu, Gibert Jeune

Paris, place Saint-Michel, le vendredi 19 mars 2021. Cet après-midi, nous sommes quelques dizaines venues rendre une dernière visite aux quatre librairies de l’enseigne indépendante Gibert Jeune, qui mettent les clés sous la porte après 135 ans d’existence.

Les portes sont déjà fermées au public. Les déménageurs sont les seuls privilégiés, étant autorisés à les traverser pour encore quelques jours. Nos regards tristes se croisent. « C’est la fin, dans la vie il faut savoir dire adieu », s’exclame l’un d’entre eux. « Je n’aime pas du tout ce que je fais, mais je n’ai pas le choix », dit un deuxième, portant sur un chariot le stock de sacs en plastique « Gibert Jeune », avant de les verser dans l’arrière du camion garé sur le côté, de retourner dans le magasin et de répéter le même geste plusieurs fois. Derrière le va-et-vient des déménageurs, nous repérons les quelques livres encore visibles au fond de l’une des librairies, mais ce paysage ne tardera pas à disparaître. Sortent les étagères à creux, sous le poids centenaire du savoir et de la science. Elles sont dévissées et aussitôt versées dans le camion vert.

À ma gauche, mon voisin ne parvient pas à retenir ses larmes qui mouillent le bout de son masque. Quant à moi, j’immortalise par la caméra de mon téléphone portable ces instants historiques qui constitueront mes derniers souvenirs du chapitre Gibert Jeune. Je songe aux beaux jours passés derrière ces portes désormais fermées, notamment quand j’étais étudiante dans ce quartier historique et très touristique de Paris. Au milieu des selfie sticks et des marchands de porte-clés à tour Eiffel, Gibert était mon coin de paradis. Sa zone de braderie permanente unique qui rendait les petites merveilles accessibles à tout le monde faisait le bonheur de tous les étudiants. Je pense aux fournitures dont je m’étais équipée pour ma première rentrée universitaire à Paris en septembre 2014, sélectionnées parmi une large gamme de papeterie que proposait Gibert. À Gibert, on trouvait tout, y compris une rare collection d’ouvrages sur l’histoire du Liban et la littérature libanaise francophone.

Une nostalgie réveille une autre. Je songe à toutes les librairies indépendantes à travers le monde dont la fermeture définitive pour des raisons économiques est passée sous silence. Parmi elles, une librairie qui occupait une place particulière dans mon cœur : la librairie El-Bourj à Beyrouth dont j’avais fait le deuil en avril 2016, quand elle avait définitivement baissé ses rideaux. Jadis, le centre-ville de Beyrouth était différent avec el-Bourj… Adieu, Gibert. Le Quartier latin ne sera plus pareil sans toi. La place Saint-Michel sera moins marquée par la couleur jaune de tes rideaux. Avec ta fermeture, une page de l’histoire du livre et de la diffusion de la littérature française et francophone se tourne. En cette semaine consacrée à la langue française et à la francophonie, la cessation de ton activité est doublement symbolique.

Que deviendront tes étages ? Tes sous-sols ? Qu’observera-t-on derrière tes vitrines ? Qui sera ta nouvelle clientèle ? Où iront tes diffuseurs de savoirs, parisiens ou touristes, qui ont fait voyager tes pages à travers le monde ?

Je suis curieuse, en même temps, je ne veux rien savoir…

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Paris, place Saint-Michel, le vendredi 19 mars 2021. Cet après-midi, nous sommes quelques dizaines venues rendre une dernière visite aux quatre librairies de l’enseigne indépendante Gibert Jeune, qui mettent les clés sous la porte après 135 ans d’existence.
Les portes sont déjà fermées au public. Les déménageurs sont les seuls privilégiés, étant autorisés à les traverser pour...

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