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Moyen-Orient - Éclairage

Quand Riyad veut devenir le nouveau Dubaï du Golfe

L’Arabie saoudite a annoncé qu’elle cesserait de conclure des contrats avec des entreprises étrangères dont le siège n’est pas installé dans le royaume à partir du 1er janvier 2024.

Quand Riyad veut devenir le nouveau Dubaï du Golfe

La ville de Riyad, le 16 février 2021. Ahmad Yosri/Reuters

Situées en plein cœur du quartier d’al-Aqiq, au nord de Riyad, les imposantes silhouettes géométriques des gratte-ciel du quartier financier du roi Abdallah se dessinent. Dévoilé en 2006, ce gigantesque projet – qui s’étend sur une superficie de 1,6 million de mètres carrés – se veut à la hauteur des ambitions du royaume : rivaliser avec Dubaï et faire de sa capitale l’incontournable plaque tournante pour les investisseurs et les multinationales dans la région. Si les allées du district sont devenues un lieu de promenade pour les Saoudiens dix ans après le lancement des travaux – qui ne sont pas encore achevés – les tours de verre qui les bordent sont quant à elles toujours majoritairement vides. Une image qui tranche avec celle du Centre financier international de Dubaï, créé en 2004 et à l’atmosphère vibrante, alors que l’émirat représente l’un des centres commerciaux majeurs à l’échelle mondiale.

Bien que les Émirats arabes unis soient un allié politique, ils constituent aussi un compétiteur de taille sur le plan économique et commercial pour l’Arabie saoudite, qui peaufine sa stratégie pour attirer le plus grand nombre d’investisseurs sous la bannière du projet de diversification économique et de réformes sociales baptisé Vision 2030 et que le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane porte en étendard depuis 2016. Riyad est toutefois passé à la vitesse supérieure lundi, annonçant son intention de cesser de conclure des contrats avec des entreprises et des institutions commerciales dont le siège régional n’est pas établi dans le royaume, à partir du 1er janvier 2024. Cette mesure ne devrait pas cependant affecter la capacité des investisseurs à entrer sur le marché saoudien ou à poursuivre leurs activités avec le secteur privé, a précisé l’agence saoudienne SPA, citant une source officielle. « La décision (...) se reflétera positivement à travers la création de milliers d’emplois pour les sujets du royaume, de transfert d’expertise et de localisation des connaissances », s’est félicité lundi sur son compte Twitter le ministre saoudien de l’Investissement, Khaled al-Falih.

Ultimatum aux multinationales

Si l’annonce n’a pas provoqué la stupeur dans le milieu des affaires, confirmant les rumeurs de ces derniers mois, elle sonne cependant comme un ultimatum pour les multinationales dans la région. « Le langage de l’annonce était probablement plus strict que ce à quoi les gens s’attendaient », souligne Karen Young, de l’American Enterprise Institute (AEI), interrogée par L’Orient-Le Jour. « Plutôt que d’essayer de créer des incitations à se conformer à cette mesure, le langage est davantage punitif à l’égard des entreprises qui ne s’y plient pas », fait-elle remarquer. « C’est juste un gros coup de communication et probablement un caprice de MBS », lâche un homme d’affaires qui a ses entrées dans le Golfe. En fixant la date au 1er janvier 2024, les autorités saoudiennes laissent un certain laps de temps pour trouver des arrangements avec les entreprises concernées, voire alléger les termes de cette nouvelle mesure qui devrait s’avérer difficile à mettre en place.

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Cette décision intervient à un moment où l’Arabie saoudite, la plus grande économie arabe, fait face à des défis économiques dans le sillage de la pandémie de Covid-19 et de la chute des prix du pétrole au printemps 2020. Alors que le taux de chômage atteint près de 15 %, les entreprises étrangères qui travaillent dans le royaume sont soumises à des quotas d’employés nationaux en leur sein. « Des grandes boîtes ont été contactées à l’automne dernier par un groupe de travail du ministère saoudien de l’Investissement pour proposer un large bouquet d’avantages si elles installent leurs sièges régionaux à Riyad tels que 50 ans d’allégements fiscaux, des dispenses de visas sur dix ans ou encore des aides pour embaucher des Saoudiens, confie un consultant basé dans la région. C’est une manière de s’aligner sur Dubaï mais, a priori, l’offre n’a pas eu l’effet escompté par les autorités ».

Si les flux d’investissements étrangers directs dans le royaume ont connu une légère progression entre 2018 et 2020, la tendance a été largement à la baisse au cours des quelques dix dernières années. Des conditions que Mohammad ben Salmane, arrivé au pouvoir en 2017, cherche à renverser en mettant en avant le potentiel économique du royaume à travers Vision 2030 et en y investissant massivement, à l’instar de la construction de la mégalopole futuriste Neom, estimée à 500 milliards de dollars, ou encore de la ville zéro carbone baptisée The Line, dans le nord-ouest du pays. Cette stratégie passe en parallèle par une politique de réformes sociales et d’ouverture, comme l’autorisation de conduire et de l’assouplissement du code vestimentaire pour les femmes ou encore de la promulgation de visas de tourisme l’année dernière. Une manière aussi pour le dauphin saoudien de redorer son blason pour attirer les investisseurs étrangers, qui avaient pris leurs distances avec le royaume dans le sillage des rebondissements régionaux et du tollé international provoqué par l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul en 2018.

Environnement plus compétitif

Selon un rapport publié par le site d’informations saoudien al-Arabiya au début du mois, la Commission royale pour la ville de Riyad (CRRC) s’est notamment fixé pour objectif d’encourager jusqu’à 500 entreprises étrangères à établir un siège régional dans la capitale saoudienne au cours des 10 prochaines années, dans le but de stimuler l’économie nationale et de créer 35 000 nouveaux emplois pour les ressortissants saoudiens.

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Mais la compétition régionale est rude. Si de nombreux étrangers travaillent avec les autorités saoudiennes, une large partie d’entre eux fait la navette entre le royaume et Dubaï, plusieurs fois par semaine. Considéré comme plus attractif au niveau des possibilités d’investissement et plus ouvert sur le mode de vie pour les expatriés, l’émirat a mis en place de nouvelles mesures pour stimuler l’économie, comme l’ouverture au début du mois de l’accès à la nationalité émiratie à certaines catégories d’étrangers. « Dubaï a toujours 10 à 15 ans d’avance sur ses voisins », constate le consultant précité.

Des conditions qui pourraient pousser les multinationales à établir leur siège régional à Riyad sans pour autant y déplacer l’ensemble de leurs activités et employés, augmentant ainsi le prix à payer pour faire des affaires avec le royaume. « C’est un environnement plus compétitif et une menace plus directe à certains égards : plutôt que de créer une communauté économique au sein du Conseil de coopération du Golfe, l’Arabie saoudite considère ses voisins comme des rivaux, cela est beaucoup plus nationaliste », estime Karen Young.

À la fin du mois de janvier, le dauphin saoudien a notamment annoncé lors de la Future Investment Initiative, surnommée le « Davos du désert », que 24 entreprises internationales ont l’intention de déplacer leur siège à Riyad. « Les responsables saoudiens veulent empêcher les fuites économiques et souhaitent que ces investissements portent leurs fruits au niveau local et national : il s’agit en partie de s’assurer que les entreprises étrangères qui bénéficient énormément de la transformation économique en cours en Arabie saoudite y contribuent et y réinvestissent également », observe Robert Mogielnicki, chercheur à l’Arab Gulf States Institute à Washington. « Le message est clair : l’Arabie ne veut pas être reléguée au second plan mais être perçue comme étant au cœur de l’action », indique-t-il.

Situées en plein cœur du quartier d’al-Aqiq, au nord de Riyad, les imposantes silhouettes géométriques des gratte-ciel du quartier financier du roi Abdallah se dessinent. Dévoilé en 2006, ce gigantesque projet – qui s’étend sur une superficie de 1,6 million de mètres carrés – se veut à la hauteur des ambitions du royaume : rivaliser avec Dubaï et faire de sa capitale...

commentaires (2)

il faut seduire et attirer. forcer les compagnies ne menera a rien, a part ruiner encore plus l'image de lArabie.

Hasbani Nadim

07 h 01, le 23 février 2021

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Commentaires (2)

  • il faut seduire et attirer. forcer les compagnies ne menera a rien, a part ruiner encore plus l'image de lArabie.

    Hasbani Nadim

    07 h 01, le 23 février 2021

  • Quand je pense au temps où Beyrouth était choisie pour être le siège Moyen-Oriental des multinationales. Mais ça c’était avant le Règne Fort...

    Gros Gnon

    14 h 21, le 19 février 2021

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