Plus un dimanche ne passe désormais sans que le patriarche maronite Béchara Raï ne monte au créneau pour dénoncer, dans ses homélies, l’incapacité de la classe dirigeante à produire des solutions aux crises du Liban et pointer ce qu’il estime être les maux du pays. Mais hier, le chef de l’Église maronite a franchi un nouveau cap en plaidant ouvertement, pour la première fois, en faveur d’une conférence internationale qui s’attellerait à une refondation de l’État libanais sur des bases institutionnelles, politiques et diplomatiques plus solides.
« L’effondrement actuel de l’État exige que la question soit traitée lors d’une conférence internationale spéciale, sous les auspices des Nations unies », a lancé Mgr Raï. Une telle conférence devrait « consolider le Liban dans ses fondements constitutionnels modernes », lesquels « reposent sur l’unité de l’entité libanaise et le principe de sa neutralité ».
Pour le patriarche, la conférence devrait permettre d’« offrir des garanties permanentes protégeant le pays de toute agression contre sa souveraineté », de « mettre fin à la présence des armes illégales » et surtout de « remédier à l’absence d’une autorité constitutionnelle claire qui puisse résoudre les différends et combler les lacunes constitutionnelles et exécutives pour plus de stabilité et pour ne plus paralyser le pouvoir des mois durant dès qu’il s’agit d’élire un président de la République ou de former un gouvernement ». « Nous proposons de préserver le pacte national et la coexistence islamo-chrétienne, dans le cadre d’un système démocratique et civil tenant compte de tous les Libanais et de tout le Liban », a-t-il ajouté. Il s’en est pris, une fois de plus, aux protagonistes politiques qui se tiennent derrière le blocage gouvernemental actuel, tout en donnant un nouvel élan au mouvement de contestation. « Nous ne nous lasserons pas de réclamer ce qui est notre droit. Notre peuple n’émigrera pas. Il restera ici et se révoltera à nouveau pour réclamer son droit et vous tenir responsables. Votre négligence le contraint à ces solutions extrêmes », a lancé le prélat. Il a déploré que « toutes les initiatives et médiations libanaises, arabes et internationales entreprises restent vaines, comme si certains veulent saper l’État ». « À tous les responsables je dis : “L’État ne vous appartient pas et les gens ne sont pas des moutons à abattre sur l’autel de votre intérêt et votre indifférence” », a-t-il tonné.
Matière à interprétation ?
Jamais Béchara Raï n’a été aussi loin dans ses critiques des dysfonctionnements du système en vigueur, d’où cet appel à ce qui pourrait être perçu comme une refonte des institutions et une sérieuse révision des lacunes constitutionnelles qui entravent toujours le bon fonctionnement de celles-ci, sous l’égide de la communauté internationale. Le moins qu’on puisse dire est que cet appel reflète en premier lieu un manque de confiance dans la capacité des protagonistes libanais à lancer un tel chantier et le mener à son terme.Ce point de vue, Sejaan Azzi, ancien ministre du Travail et un proche de Bkerké, le présente à L’Orient-Le Jour, prenant le soin de mettre en garde contre des interprétations erronées des propos de Béchara Raï, comme par exemple de croire qu’il appellerait à la révision de l’accord de Taëf (1989). « Le patriarche maronite a toujours plaidé pour la mise en œuvre de la neutralité. Et l’idée d’une conférence parrainée par la communauté internationale n’est pas nouvelle chez lui. Il voulait attendre l’issue des contacts locaux, espérant la formation du nouveau gouvernement. Mais au vu de la mise en échec de toutes les initiatives visant à redresser le pays, il l’a évoquée dans son homélie », explique l’ex-ministre, sans cependant s’attarder sur le passage purement institutionnel de l’appel. Et de poursuivre : « Le patriarche Raï appelle à la tenue d’une conférence internationale pour réaffirmer l’existence du Liban créé en 1920, consolider son indépendance et sa souveraineté obtenues en 1943 et sa nouvelle Constitution de 1990 », issue de Taëf.
Pour le moment, la présidence de la République cherche manifestement à éviter de se noyer dans des explications politiques des propos du patriarche. Selon un proche de Baabda contacté par L’OLJ, « le plaidoyer pour une conférence internationale est une façon pour Mgr Raï d’évoquer la notion de neutralité ». « S’il signifiait autre chose, il serait aux antipodes d’une tradition patriarcale. Mais il n’est pas dans cette synergie », ajoute le proche de Baabda, estimant que « si un jour Taëf n’est plus la référence, il se peut que le pays se dirige, et c’est là que réside le danger, vers un autre consensus ».
commentaires (9)
Il serait plutot judicieux de reclamer l’abrogation de cette constitution confessionnelle et reclamer un etat laic et democratique comme le sont tous les pays qui servent d’exemple au patriarche. Pourquoi vouloir perpetuer un systeme feodal et finalement mafieu qui se delecte du ventre de la nation...
nabil zorkot
21 h 03, le 08 février 2021