Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a appelé dimanche à la formation d'un "gouvernement de la conscience" et demandé aux responsables politiques libanais de dépasser leurs différends et de "coopérer sans réserves", dans une violente diatribe à leur égard dont il est devenu coutumier, alors que le Liban est sans cabinet depuis plus de six mois. Le prélat a dans ce contexte renouvelé son appel à une conférence internationale, sous les auspices de l'ONU, "pour sauver le Liban".
Le gouvernement de Hassane Diab a démissionné dans la foulée de la gigantesque double explosion meurtrière au port de Beyrouth le 4 août dernier. Depuis sa désignation le 22 octobre dernier, le Premier ministre Saad Hariri n'est pas parvenu à former un cabinet, alors qu'il est engagé dans un bras de fer politique avec le chef de l'Etat, Michel Aoun. Un blocage lourd de conséquences pour le pays en proie à une crise économique, sociale et sanitaire sans précédent. Saad Hariri vient de rentrer au Liban après une tournée internationale qui l'a mené notamment en Turquie, en Égypte, aux Émirats arabes unis et en France, afin d'obtenir le soutien de la communauté internationale dans sa mission. De retour de Paris vendredi, le Premier ministre désigné s'est rendu au palais présidentiel de Baabda pour la première fois depuis le 23 décembre, alors que ses contacts avec le chef de l'État Michel Aoun étaient gelés, sans toutefois que cette rencontre ne laisse présager une avancée quelconque, les deux hommes campant chacun sur ses positions.
"Gouvernement de la conscience"
"Jusqu'à quand allez-vous priver le peuple du droit d'être sauvé de ses souffrances, de vivre dans la joie et de connaître le progrès économique et social ?", a demandé le prélat maronite aux responsables politiques sans les nommer. "Nous avons dépassé la période habituelle de formation d'un gouvernement basé sur la Constitution et le Pacte national (de 1943)", a déploré Mgr Raï, dans son homélie dominicale, prononcée à Bkerké à l'occasion de l'entrée dans le Carême. "Il est temps de tirer les leçons de cet échec. Formez un +gouvernement de la conscience+ et laissez votre conscience y apposer sa signature", a-t-il plaidé. "Le peuple veut une équipe ministérielle formée de l'élite, indépendante, loin de la logique des quotas des partis, (...) et apte à réformer le pays. Le peuple veut un gouvernement avec une rotation complète des portefeuilles ministériels, sans monopole sur les portefeuilles et sans hégémonie sur ses actions", a-t-il encore appelé, alors que la controverse entre le chef de l'Etat et le Premier ministre désigné porte sur la forme du gouvernement, le nombre de ministres et l'attribution des portefeuilles, notamment ceux dits régaliens.
"Il n'est ni demandé au président de la République, ni au Premier ministre désigné, de renoncer à leurs prérogatives constitutionnelles pour former le gouvernement", a estimé Mgr Raï, dans une réponse indirecte à la dispute entre M. Aoun et M. Hariri sur le rôle octroyé au président de la République dans la formation du cabinet, selon la Constitution. "Ils doivent toutefois coopérer sans réserves. Respecter les prérogatives de chacun n'empêche pas une certaine flexibilité dans les prises de positions et une entente", a-t-il estimé. "Malheureusement, nous remarquons que le processus de formation du gouvernement se complique (...). De quel droit faites-vous cela ?", a-t-il accusé, regrettant que les "dépositaires du pouvoir soient incapables de dialoguer, alors que l'État s'effondre et qu'il n'y a pas aujourd'hui d'autorité constitutionnelle pour résoudre les différends qui paralysent la vie des institutions".
"Une conférence internationale"
Dans ce contexte, le patriarche a réitéré son appel à "l’organisation d’une conférence internationale sous les auspices des Nations unies pour sauver le Liban". "Nous ne sommes pas prêts à laisser notre patrie, que nous avons bâtie ensemble, tomber devant les ténèbres ou succomber aux projets éphémères qui contredisent l'essence de l'existence libanaise", a-t-il affirmé. "Une telle conférence internationale n'ôte rien à la souveraineté et l'indépendance libanaises, qui sont de toute façon actuellement perdues. Une conférence internationale éliminerait les ingérences étrangères qui empêchent l'avènement d'une décision nationale libre, confirmerait la présence de l'Etat libanais et garantirait sa neutralité positive", a assuré le dignitaire religieux. "Il faut que les Nations unies trouvent les moyens juridiques pour s’acquitter de leur devoir envers l’État libanais, qui court un risque existentiel", a-t-il imploré.
"Mettre fin aux assassinats dans notre patrie"
Enfin, à l'occasion des 16e commémorations de l'assassinat de Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre tué dans une explosion le 14 février 2005 à Beyrouth, le patriarche a renouvelé ses condoléances à la famille du défunt. "Nous prions Dieu qu'il mette fin aux assassinats dans notre patrie, que l'amour et la fraternité humaine prévalent entre tous, et que Beyrouth, qui a été détruite par l'explosion au port le 4 août, soit reconstruite, dans l'esprit du martyr Rafic Hariri - qui avait contribué à la reconstruction de la capitale après la guerre", a espéré le patriarche maronite.
Audi appelle à "punir quiconque a offensé le Liban"
Pour sa part, le métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Élias Audi, a critiqué dimanche les hommes politiques qui "utilisent leur pouvoir pour se débarrasser de leur peuple au lieu de le sauver", et a lancé un plaidoyer en faveur de la justice au Liban.
ll a ainsi appelé à "punir quiconque a offensé le Liban et son peuple, tous ceux qui ont violé les lois et n'ont pas mis en œuvre la Constitution et ont paralysé les institutions, et tous ceux qui ont contribué intentionnellement ou par négligence à faire exploser la capitale, tuer et déplacer sa population, appauvrir et affamer les Libanais et assassiner leurs penseurs", dans une allusion aux maux subis par les Libanais depuis un an, plongés dans une crise politique, sociale et économique sans précédent, aggravée par la double explosion meurtrière du port et par la pandémie. "Les Libanais sont fatigués des politiciens, de leur immaturité, de leur négligence, de leur égoïsme. Aussi le recours à la justice est-il nécessaire pour parvenir à l'égalité, le respect des droits et de la liberté", a-t-il jugé, espérant que la série de transgressions, d'assassinats et d'actes d'injustice, de haine et de mépris prenne fin.
commentaires (6)
Est ce qu'il y a la justice au Liban? Pauvre Patriarche . Il faut demander à Hassouna ce qu'il veut.....?????
Eleni Caridopoulou
21 h 01, le 14 février 2021