Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a proposé mardi sa propre solution à la crise gouvernementale libanaise, qui dure depuis plus de six mois, suggérant la mise sur pied d'un "cabinet de 20 ou 22 ministres", dans lequel aucune partie n'obtiendrait le tiers de blocage. Cette "initiative" de Hassan Nasrallah a été présentée lors d'un discours télévisé retransmis en direct à l'occasion de la commémoration annuelle des "dirigeants martyrs" du parti chiite, alors que les tensions sont à leur comble entre le chef de l'État Michel Aoun et le Premier ministre désigné Saad Hariri, au sujet du dossier gouvernemental.
Désigné pour former un nouveau cabinet le 22 octobre 2020, M. Hariri n'est toujours pas parvenu à accomplir cette tâche. Il vient de rentrer au Liban après une tournée internationale qui l'a mené notamment en Turquie, en Égypte, aux Émirats arabes unis et en France, afin d'obtenir le soutien de la communauté internationale dans sa mission. Dans un discours dimanche à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de son père Rafic Hariri, le Premier ministre désigné avait rendu Michel Aoun et son camp responsables du blocage du processus de formation du cabinet et s'est fermement défendu face aux accusations selon lesquelles il porterait atteinte aux droits et aux prérogatives de la communauté chrétienne. M. Hariri, qui avait maintenu jusqu’à ce jour une certaine confidentialité au sujet de ses entretiens avec le chef de l’État, a dévoilé les coulisses des tractations pour former un cabinet d'experts, dans lequel selon lui le camp du chef de l'État exige le tiers de blocage, ce qu'il refuse.
"Jeter de l'huile sur le feu n'est pas bénéfique"
"Je pense que tout le monde veut former le gouvernement", malgré les accusations que se lancent les différentes parties, a déclaré le chef du Hezbollah. "Il faut arrêter de s'accuser mutuellement de ne pas vouloir mettre sur pied le cabinet", a-t-il insisté, rejetant certaines observations selon lesquelles le parti chiite veut retarder cette échéance jusqu'à ce que reprennent les négociations internationales sur le dossier du nucléaire iranien. "Cela n'a pas de sens", a-t-il affirmé. "Attendre que la communauté internationale vienne faire pression sur certaines parties nous fait perdre du temps et les expériences passées ont montré que c'était inutile", a-t-il souligné, estimant que l'obstacle principal à la formation du cabinet est "intérieur". Et le leader chiite de déclarer que "jeter de l'huile sur le feu" n'était "en aucun cas bénéfique", en référence implicite à la "guerre des communiqués" entre les camps du président Aoun et du Premier ministre désigné.
"Il est injuste de faire porter la responsabilité totale du blocage au président Michel Aoun", a-t-il encore lancé. Il a dans ce contexte estimé que "mettre la barre trop haut ne fait que bloquer la situation", affirmant toutefois "comprendre que le chef de l'État réclame de nommer certains membres de l'équipe gouvernementale". Et de poursuivre : "Le tandem chiite a voulu obtenir le ministère des Finances et nommer son ministre et nous devons donc comprendre que d'autres parties demandent la même chose". "Nous comprenons les craintes de Saad Hariri concernant le tiers de blocage, mais pourquoi insister sur un gouvernement de 18 ministres", s'est encore interrogé Hassan Nasrallah, appelant Saad Hariri à "remettre en question" ce nombre. "Augmenter le nombre de ministres à 20 ou 22 permettrait d'avancer dans les discussions et d'arrondir les angles", a-t-il affirmé, soulignant notamment que cela permettrait d'impliquer des formations qui s'estiment lésées dans un cabinet de 18 ministres, comme celle du leader druze Talal Arslane. Ce dernier, allié du président Aoun, réclame un ministre druze appartenant à son camp dans le futur cabinet, alors que jusqu'à présent, seul un ministre druze du camp de son rival Walid Joumblatt est envisagé au sein de l'équipe de Saad Hariri.
Hassan Nasrallah a avancé cette suggestion, dans une tentative d’ouvrir la voie à un cabinet le plus élargi possible, de 22 ministres. En effet, dans un cabinet de vingt ministres, le chef de l’État et le courant aouniste, à qui la nomination de six ministres est jusqu’à présent accordée, pourraient obtenir le tiers de blocage avec un ministre relevant de la formation de Talal Arslane, ce qui ne sera pas le cas avec 22 ministres.
L'accord de Mar Mikhaël
Le secrétaire général du parti pro-iranien est en outre revenu sur la question de la "réévaluation" de l'entente de Mar Mikhaël entre sa formation et le Courant patriotique libre de Gebran Bassil, à laquelle ce dernier avait fait allusion dans un précédent discours, au cours duquel il avait estimé que l'accord conclu en 2006 n'avait pas permis de "bâtir un État de droit".
"Beaucoup ont espéré la chute de cet accord, mais il a tenu bon toutes ces années", a-t-il souligné, insistant sur "la résilience et la force" de cette entente. "Cette entente a été bénéfique pour de nombreux intérêts libanais et pas seulement pour ses deux signataires", a-t-il ajouté, critiquant toutefois le Courant patriotique libre et Gebran Bassil pour avoir exprimé "à travers les médias leurs réserves et commentaires" sur le devenir de cette alliance, sans s'adresser directement au Hezbollah. "Nous aurions préféré en discuter entre nous, de parti à parti", sans passer par des communiqués médiatiques, a-t-il regretté.
Hassan Nasrallah a par ailleurs rejeté toute "internationalisation" d'un règlement au Liban. Il réagissait ainsi à plusieurs appels à une "intervention" de la communauté internationale ou de l'ONU lancés ces derniers mois. Une telle internationalisation serait comme une "nouvelle occupation" et une porte ouverte à une "ingérence du monde entier" dans les affaires du Liban, a estimé Hassan Nasrallah, mettant en garde contre son impact sur différents dossiers comme la normalisation des relations avec Israël. "Cela pose un danger pour le Liban et son avenir", a-t-il déclaré. Il a dans ce cadre commenté un tweet du député du mouvement Amal Anouar el-Khalil, qui avait estimé qu'en cas d'échec de la formation du gouvernement, il faudrait faire appel "au chapitre VII de la Charte de l'ONU", qui prévoit que le Conseil de sécurité peut prendre des mesures coercitives s'il constate "l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression". "Recourir à ce chapitre VII de la Charte de l'ONU reviendrait à une déclaration de guerre", a déclaré Hassan Nasrallah.
"Accusations et insultes"
Le chef du parti chiite est en outre revenu sur les "accusations, présomptions et insultes" qui sont lancées contre le Hezbollah "dès qu'il se passe quelque chose au Liban, qu'il s'agisse d'un petit ou d'un grand événement". Il faisait notamment référence au fait que sa formation a été directement pointée du doigt après l'assassinat, il y a près de deux semaines, de l'intellectuel Lokman Slim. Hassan Nasrallah n'a toutefois jamais cité Lokman Slim ni fait de référence directe à son assassinat.
Le cinéaste, éditeur et penseur libanais, connu pour sa franche opposition au Hezbollah, a été retrouvé mort le 4 février dernier au Liban-Sud après avoir été porté disparu depuis la veille au soir, lorsqu’il était sorti du domicile de l’un de ses amis dans le village de Niha en soirée. Son corps atteint de plusieurs balles avait été retrouvé dans une voiture de location, près de la localité de Touffahta dans le caza de Zahrani. Le chercheur et essayiste, un Libanais musulman chiite engagé en faveur de la laïcité et de la démocratie, était régulièrement la cible de menaces de la part de partisans du parti chiite et du mouvement Amal, mais refusait de s'y plier et continuait de vivre dans la banlieue sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah. Son assassinat a choqué le pays et fait craindre un retour aux assassinats politiques comme durant la période allant de 2004 à 2013. Pointé du doigt par ses détracteurs, le Hezbollah s'est défendu d'être derrière cet assassinat et s'était empressé de le condamner.
"Les insultes et accusations à l'encontre du Hezbollah montrent la faiblesse et l'incapacité de ceux qui les lancent", a déclaré le leader chiite, estimant qu'elles "n'atteignent pas" sa formation et qu'elles s'opposent à "toutes les normes, les règles et les lois" en vigueur. "J'appelle les gens proches de la résistance à ne pas suivre cet exemple et à ne pas répondre aux accusations et insultes par des insultes", a-t-il exhorté. Il a encore regretté que la "présomption d'innocence" ne soit jamais appliquée au Hezbollah. "C'est toujours le Hezbollah qui est considéré comme le meurtrier, jusqu'à preuve du contraire", a-t-il déploré. "Voulez-vous que l’on applique la règle selon laquelle chaque parti est +le meurtrier jusqu’à preuve du contraire+ lorsqu’un crime se produit dans sa zone d’influence au Liban ? Qu'on le sache!", s’est-il interrogé, estimant qu’un tel raisonnement est "illogique".
Il a également évoqué les accusations lancées à l'encontre de son parti depuis la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août. "Ces accusations visent uniquement à nous cibler, de manière programmée", a ajouté Hassan Nasrallah. "Si l'objectif de ces accusations est de porter atteinte à la réputation de la résistance et à provoquer des dissensions dans ses rangs, alors cet objectif a échoué et il a même eu l'effet inverse", a-t-il conclu.
Comment s’appelle déjà l’actuel président de la République libanaise? Ah, il est encore en vie?
10 h 59, le 19 février 2021