Il y a chez cette jeune fille de son époque, entre 20 et 30 printemps, quelque chose qui semble venir d’un autre temps. Un romantisme qui se dégage de sa silhouette, de ses grands yeux curieux, de son sourire légèrement absent mais qui revient vite vers le présent. Il y a aussi derrière cette façade comme une mélancolie qui s’échappe de la vie qui la rattrape, et qu’elle transforme alors en autodérision. Mais surtout, on trouve chez elle une vraie détermination, qui lui permet de mettre en œuvre, en douceur, des décisions fortes.
Car c’est un peu ce mot qui semble définir Tara Habis : la douceur. Alors quand on sait qu’elle est aujourd’hui « dans la pâtisserie », après avoir démarré « dans l’architecture », il y a comme une confirmation de cette impression première. Des douceurs, elle en invente tous les jours, partagées depuis moins d’un an sur sa page Instagram #TaraBakes, avec des lignes parfaitement construites, comme le ferait une architecte qui a viré vers la pâtisserie.
À Paris, où la jeune femme vit depuis 2014 – « c’est Paris que je voulais », confirmait-elle à l’heure de prendre sa décision de quitter le Liban –, elle se sent comme un poisson dans des eaux douces. « J’ai grandi avec une mère qui travaillait sans arrêt et dans la finance, mais qui trouvait toujours le moyen de rentrer à la maison pour nous préparer des plats. Comme j’étais nulle à l’école, elle me faisait étudier pendant qu’elle cuisinait. Grosse gourmande que je suis, j’attendais qu’elle ait le dos tourné pour piquer dans tous les plats ! » confie-t-elle en riant. « Lorsque j’ai décroché mon bac au Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth, alors que personne n’y croyait, j’ai décidé de démarrer des études en architecture à l’Alba. Vu mon niveau scolaire, tout le monde pensait que j’étais folle ! Mais à 18 ans, rares sont les personnes qui savent ce qu’elles veulent vraiment. L’architecture pour moi était une bonne base pour toute personne créative, un diplôme qui allait me donner une logique et une certaine manière de voir les choses. »
Tara passe donc ses trois premières années à l’Alba avant de s’inscrire à l’École spéciale d’architecture de Paris. Une fois acceptée, elle impose sa décision à tous les frileux autour d’elle. « Je me sentais bloquée à Beyrouth, ne sachant pas qui j’étais vraiment. Mes yeux avaient soif et mon choix était finalement simple : initiée à la culture française depuis mon plus jeune âge à l’école, oui, c’est Paris que je voulais. Pour y étudier l’architecture et goûter à sa gastronomie. »
Un manque
La belle Tara s’envole poursuivre ses études à l’École spéciale d’architecture et fait son stage de fin d’études chez Hala Wardé/Ateliers Jean Nouvel, six mois qui seront renouvelés tant « l’expérience était géniale ». Elle y est pendant que le chantier du Louvre d’Abou Dhabi prend forme, et que Hala Wardé remporte le concours du BEMA pour le premier musée d’art contemporain à Beyrouth. Malgré ce bonheur d’être au bon endroit au bon moment, « j’ai réalisé qu’il me manquait quelque chose », dit-elle. Elle lance avec des copains de l’école d’architecture une start-up d’art numérique, « In-dialog » (dialogue entre l’homme et la machine), qui explore l’utilisation d’algorithmes et de machines afin de créer des expériences artistiques. « Le but était de créer des environnements ou des installations ludiques et interactives où le public est invité à s’exprimer de manière créative et à encourager les interactions physiques et sociales. » Mais il manquait encore autre chose pour la rassasier, un goût plus sucré, l’appel des fourneaux.
Thérapie
La passion instinctive de Tara Habis pour la cuisine l’a accompagnée dès son jeune âge, dans toutes les étapes de sa vie. « Très gourmande, grandissant avec une mère et une grand-mère qui cuisinaient très bien, je passais mon temps libre à cuisiner pour mes amis. Surtout pendant les nuits blanches en architecture durant lesquelles nous avions besoin d’énergie. De plus, dès que j’avais un peu temps libre, je m’inscrivais à des workshops de cuisine et pâtisserie dans l’atelier d’Alain Ducasse à Paris, ou même à des cours de cuisine moléculaire. » Mais peu à peu, cette occupation devient une thérapie, au détour des (tristes) aléas de la vie. « En mai 2019, confie-t-elle, j’ai perdu mon papa Fouad dans un accident de moto. J’ai dû rester à Beyrouth pour m’occuper des démarches administratives. En raison de la corruption notoire du pays, la procédure a duré onze mois. Chaque jour a été une bataille qui a épuisé mon énergie. Mais dès que je me réfugiais en cuisine, je retrouvais une sensation de paix. Aucune thérapie, aucun psychologue n’allait réussir à me procurer le bonheur que de simples tours à ma pâte feuilletée me donnaient. Je me suis ainsi dirigée vers la pâtisserie car c’est là que je me suis retrouvée le mieux. »
Durant cette année difficile à tous les niveaux, la pâtissière crée en janvier 2020 #TaraBakes, un compte Instagram sur lequel, comme dans une vitrine, elle expose ses desserts confectionnés avec soin. « Du jour au lendemain, je commençai à recevoir des demandes de commandes pour mes desserts postés. » Pourquoi pas ? se dit-elle. Se faire plaisir, faire plaisir et, en plus, « pouvoir me faire de l’argent avec ma propre thérapie » !
C’est ainsi qu’elle se retrouve tous les jours les mains dans la pâte, dès 6 heures et jusqu’à 21h, et démarre une collaboration avec Titus Beyrouth pour donner des workshops de pâtisserie. « J’ai pu organiser 12 ateliers avec à chaque fois un groupe de 10 personnes, pour leur apprendre les basiques de la pâtisserie et de la viennoiserie. Malheureusement, le Covid-19 nous a obligés à arrêter les cours, mais j’ai continué à livrer mes desserts. »
« En juin 2020, poursuit-elle, le kilo de beurre était à 100 000 LL. Je n’avais pas le cœur à augmenter mes prix ; un dessert, c’est surtout un moment de douceur. Mon affaire n’était pas rentable, mais j’ai continué, quand même, en particulier à faire des gâteaux pour les sans-abris et les personnes dans le besoin. » Le 4 août 2020, Titus, l’espace et sa cuisine, la maison de Gemmayzé que Tara habite avec une copine explosent, les repères et tous les projets avec. « Ma mère m’a appelée et m’a dit : “ Tu quittes ce pays.” Une partie de moi ne voulait pas, les mois passés en cuisine m’avaient rendue tellement heureuse… Rentrer à Paris pour trouver un job en architecture ? Impossible. » La solution s’impose alors pour Tara qui n’a (presque) peur de rien, comme une manière d’adoucir cet exil forcé : « Faire un diplôme intensif en pâtisserie et redémarrer à zéro. Où, sinon à l’école du grand chef Alain Ducasse ? J’avais déjà fait plus de 10 workshops dans son studio à Paris, je suis fan de sa philosophie et de Jessica Préalpato, cheffe pâtissière du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée et élue meilleure cheffe pâtissière du monde en 2019. » La jeune Libanaise sera même citée dans un article paru dans Le Point en novembre dernier sur le « chef triplement étoilé et homme d’affaires à la tête d’un empire de la restauration qui ouvre, en pleine crise sanitaire, une nouvelle école dont sortiront des professionnels d’excellence ». « Le projet de Tara Habis ? pouvait-on lire : mêler un jour ses deux formations pour créer des “dîners expérimentaux” », expliquait-elle, les yeux brillants. En attendant avril 2021, date de la fin de sa reconversion, qui sera suivie de deux mois de stage, la pâtissière a démarré quelques collaborations, notamment avec le restaurant Liza à Paris. « Pour la suite, j’ai déjà mes petites idées, principalement de combiner mon parcours d’architecture, la technologie et la cuisine dans des dîners expérimentaux et interactifs. Un chef pâtissier doit, à mes yeux, être très patient, précis, habile de ses mains, avec la même maîtrise qu’un musicien, et c’est là que je me retrouve le mieux. D’ailleurs, en architecture, j’adorais faire des maquettes… » N’est-ce pas Ducasse, son maître à penser et à faire, qui confiait aussi : « Si je n’avais pas été cuisinier, j’aurais été architecte : on ne peut pas enseigner de la belle cuisine si le lieu n’est pas aussi beau que ce qu’on enseigne. »
Les viennoiseries de Tara
Recette pour 10 croissants ou pains au chocolat
Pâte levée feuilletée :
Ingrédients
250 g de farine T55
120 g de lait
15 g de levure boulangère
6 g de sel
30 g de sucre
50 g de beurre pommade
130 g de beurre de tourage.
Préparation
Versez le lait au fond de la cuve du mixeur et délayez la levure. Ajoutez le reste des ingrédients et pétrissez pendant 8 minutes. Façonnez la pâte en une boule, couvrez-la avec un torchon et laissez-la pousser pendant 45 minutes. Rompez la pâte (incisez la pâte avec un couteau en forme de X) et laissez refroidir 30 minutes au frigo en la tournant au bout de 15 minutes pour que le refroidissement soit optimal.
Beurrage et tourage :
Assouplissez le beurre entre 2 feuilles de papier cuisson en le tapant avec un rouleau à pâtisserie et formez un rectangle selon la taille de votre boule. Saupoudrez légèrement votre plan de travail avec de la farine et abaissez la pâte en rectangle (la taille doit faire le double du rectangle de beurre). Posez le rectangle de beurre sur la moitié de votre pâte et recouvrez-la en la rabattant dessus comme une enveloppe pour emprisonner le beurre. Étalez la pâte sur la longueur de votre rouleau en la conservant bien rectangulaire. Donnez un tour double, repliez vers le haut le quart inférieur et puis le quart supérieur et pliez le tout en 2. Laissez reposer 30 min au frigo.
Donnez un tour simple, étalez la pâte sur la longueur de votre rouleau (ouverture du pliage à votre droite sur le haut comme si on ouvrait un livre). Pliez-la en 3, rabattez la partie inférieure jusqu’au milieu et puis la partie supérieure dessus. Laissez la pâte reposer 1 heure au frigo couverte. Détaillez la pâte en triangle pour les croissants et en petits rectangles pour les pains au chocolat, en plaçant une barre de chocolat sur un bord et l’autre au 3/4, puis roulez !
Laissez pousser 2 h 30 à 24 degrés.
Dorure :
Ingrédients
15 g de lait
35 g de jaune d’œuf.
Préparation
Dorez une première fois, laissez 20 minutes et dorez une seconde fois, puis faites cuire durant 20 à 25 minutes à 170 degrés.
La tarte au citron de Tara
Recette pour 5 à 6 personnes
Pâte sablée :
Ingrédients
75 g de beurre
50 g de sucre en poudre
30 g d’œufs
160 g de farine
1 g de sel
Une pincée de zaatar.
Préparation
Sablez le beurre avec la farine, le sucre glacé, le zaatar et le sel. Une fois que l’ensemble a une texture similaire au sable, ajoutez les œufs petit à petit.
Abaissez la pâte entre deux feuilles de papier sulfurisé. Elle devrait faire 4 mm d’épaisseur. Puis réservez-là au froid.
Quand elle est refroidie, sortez la pâte et foncez un cercle à tarte (déposez la pâte sur un cercle à tarte, positionnez-la contre le cercle en remontant les bords, puis coupez l’excédent). Placez au froid durant 15 minutes.
Crème d’amande :
Ingrédients
40 g de beurre
40 g de poudre d’amande
40 g de sucre
40 g d’œufs
3 g de rhum (facultatif).
Préparation
Ramollissez le beurre, ajoutez la poudre d’amande, le sucre et mélangez. Ajoutez les œufs au fouet sans trop émulsionner. Garnissez le fond de la tarte et enfournez à 170 degrés pendant 20 à 25 minutes.
Crémeux citron :
Ingrédients
150 g de jus de citron
80 g de jaunes d’œuf
90 g de sucre
120 g de beurre.
Préparation
Blanchissez les jaunes d’œuf avec le sucre et le jus de citron. Portez à ébullition, laissez cuire 30 secondes après ébullition tout en fouettant. Refroidissez la crème à 45 degrés, puis ajoutez le beurre et mixez. Versez sur le fond de tarte cuit et laissez refroidir pour figer la surface de la tarte.
Meringue italienne :
Ingrédients
50 g de blancs d’œuf
32 g d’eau
100 g de sucre.
Préparation
Faites un sirop avec l’eau et le sucre et faites cuire à 118 degrés. Montez les blancs en neige et incorporez en filet le sirop. Battez jusqu’à ce que la meringue refroidisse. Avec une douille saint-honoré, pochez et laissez place à votre créativité !
Bravo Tara! Fiers de toi!
03 h 53, le 18 février 2021