
Les ruines aux alentours du port de Beyrouth à la fin de l’été 2020. Photo P.H.B.
Dans un communiqué publié mardi, l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic) a vigoureusement dénoncé la décision n° 47/1 du ministère des Finances, datée de lundi dernier et énonçant les modalités d’application de la loi sur les exonérations fiscales dont bénéficient les rescapés de la double explosion meurtrière survenue au port de Beyrouth le 4 août dernier.
L’Aldic vise plus spécifiquement une des dispositions dictée par le ministre sortant, Ghazi Wazni, selon le président de l’association, l’avocat fiscaliste Karim Daher. Contacté par L’Orient-Le Jour, ce dernier affirme reprocher à M. Wazni « d’inventer » des dispositions. Il s’agit de l’article n° 4 qui impose aux contribuables entrant dans la catégorie des victimes de la tragédie du 4 août de considérer les dons reçus en cette qualité comme des revenus imposables. « Nos reproches ne s'adressent pas au ministre lui-même, mais plutôt à l'administration fiscale », nuance cependant le président de l'Aldic.
Dans cet article, le ministère informe en effet les contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu sur la base du bénéfice réel et qui ont reçu des dons en espèces ou en nature en leur qualité de victimes du 4 août, qu’ils devront déclarer la valeur de ces dons en tant que « revenu exceptionnel ». Il dicte en outre que « si l’individu est soumis à l’imposition sur la base du bénéfice forfaitaire (un prélèvement annuel sur la base d’un pourcentage appliqué au chiffre d’affaires ou aux recettes, NDLR), la valeur des dons reçus, en espèces ou en nature, sera considérée comme faisant partie du revenu généré par son activité ».
Dons et legs
Or, cette double exigence est tout bonnement inacceptable pour l’Aldic qui souligne son incompatibilité avec l’article 6 de la loi n° 194, votée le 16 octobre 2020 et qui exonère les sinistrés du 4 août du paiement de tout impôt sur les dons reçus. Le même article dispense en outre les héritiers de personnes décédées suite à la catastrophe de régler des droits de succession sur les sommes éventuellement héritées.
En bref, la loi n° 194 exonère les donations de l’impôt sur les successions, un impôt progressif auquel sont assujettis les legs et les dons dépassant les 1,6 million de livres, et pouvant atteindre les 45 % s’il n’y a pas de liens de parenté entre le donateur et le receveur.
La loi n° 194 ne s’arrête pas là. Elle permet par ailleurs aussi aux donateurs qui ont versé des aides aux rescapés du 4 août de déduire de leur revenu imposable les sommes versées sous forme de donation. Elle exonère de plus les bâtiments impactés de l’impôt sur la propriété bâtie jusqu’à la fin de l’année fiscale 2021, ou jusqu’à la fin des travaux de reconstruction entamés dans ce cadre.
« Nous avons milité pour cette loi, et avons même fait une proposition qui a été incluse dans le texte final », insiste Me Daher, soulignant la nécessité d’exonérer de tout prélèvement obligatoire l’aide humanitaire majoritairement versée par des ONG, des États étrangers ou des membres de la diaspora. Ce qui donne, selon lui, toutes les raisons du monde de s’indigner de la manœuvre du ministère, qui tente d’assujettir les donations à l’impôt sur le revenu, ce qui est « contraire à l’esprit de la loi n° 194 ».
Il ne s’agit cependant pas du seul reproche qu’adresse l’Aldic au ministère des Finances : l’association accuse également Ghazi Wazni d’outrepasser ses prérogatives de ministre expédiant les affaires courantes, citant la décision 636/2009-2010 du Conseil d’État à l’appui. « Même en temps normal, un ministre doit simplement organiser l’application et non pas la modifier », martèle Me Daher, qui craint que cette décision ne permette à l’État d’intimider les citoyens en les accusant d’évasion fiscale, voire de blanchiment d’argent – des infractions passibles d’au moins trois années de prison – s’ils ne déclarent pas ce « revenu exceptionnel ».
Contacté, le ministère des Finances n’était pas en mesure de répondre immédiatement à nos sollicitations.
La double explosion du 4 août, aux origines toujours inconnues malgré les promesses d’enquête rapide et transparente des autorités et l’intervention sur le terrain de plusieurs pays et organisations internationales dans ce sens, a tué plus de 200 personnes et en a blessé plus de 6 000. Plusieurs estimations des dégâts ont été réalisées, mais la plus complète est à mettre au crédit de de la Banque mondiale, l’ONU et l’Union européenne, qui ont publié fin août un premier bilan chiffrant entre 3,8 et 4,6 milliards de dollars la facture des dégâts, pour des pertes économiques s’élevant entre 2,9 et 3,5 milliards de dollars.
Avant le drame, le pays traversait en outre la pire crise économique de son histoire, marquée par un défaut de paiement de l’État, une violente dépréciation de la livre et des restrictions bancaires illégales. Si le pays a pu compter sur une forte mobilisation de la communauté internationale et des ONG, le versement des aides a été parasité aussi bien par les restrictions bancaires que par la corruption qui règne à plusieurs échelles de l’État.
Dans un communiqué publié mardi, l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic) a vigoureusement dénoncé la décision n° 47/1 du ministère des Finances, datée de lundi dernier et énonçant les modalités d’application de la loi sur les exonérations fiscales dont bénéficient les rescapés de la double explosion meurtrière survenue au port de...
commentaires (5)
Et les donations données au hezb par l'Iran, sont-elles assujettis?
Salim Naufal / SOFTNET ENGINEERING
16 h 58, le 11 février 2021