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Centenaire Grand Liban : lecture politique

Une longue lutte pour s’entendre sur l’identité du Liban

Une longue lutte pour s’entendre sur l’identité du Liban

Au lendemain de la défaite arabe face à Israël en juin 1967, manifestation devant l’ambassade d’Égypte à Beyrouth pour rejeter la démission du président égyptien Gamal Abdel Nasser. (« Liban, le siècle en images », éditions Dar an-Nahar)

La célébration du centenaire de la proclamation de l’État du Grand Liban, le 1er septembre 1920, a fourni l’occasion d’opérer un retour sur l’histoire, plus spécifiquement sur les phases de l’histoire contemporaine du pays du Cèdre. Celle-ci est en effet riche en événements et développements majeurs qui fournissent autant de leçons à tirer et qui, surtout, sont étroitement liés au processus d’édification de l’État. Ce retour sur l’histoire est dans notre cas d’autant plus précieux que les Libanais sont réputés pour avoir la mémoire courte et, de surcroît, nous avons tous failli à la tâche primordiale consistant à élaborer une mémoire collective sur les plans national, politique et social. Ce survol de notre passé contemporain paraît, en outre, nécessaire car il pourrait nous aider à comprendre les épreuves endurées par le Liban ainsi que les conflits et les dangers auxquels il est confronté.

Les requêtes portant sur l’élargissement du Liban jusqu’à ses frontières historiques et naturelles ont commencé à émerger dès la fin de la première décennie du siècle dernier. L’objectif recherché était alors de rattacher au Mont-Liban les quatre cazas, donc un espace vital économique, ainsi que le littoral formé de la ville de Beyrouth et d’autres ports et localités offrant l’indispensable ouverture sur la mer, avec tout ce que cela implique comme perspectives pour le commerce maritime.

Mais parallèlement à ce volet économique, l’élargissement de l’entité libanaise jusqu’à ses frontières naturelles a eu un impact démographique important au niveau du tissu social libanais, sans compter les retombées politiques et nationales. Un changement de poids s’est ainsi opéré au niveau des anciens conflits entre les communautés du Mont-Liban, lesquels ont cédé la place à un nouveau clivage et à des luttes d’influence opposant deux camps : la faction qui réclamait l’union avec la Syrie, et la partie des Libanais qui étaient attachés à l’indépendance et à l’édification d’un État souverain sous protection française.

Après l’élaboration de la Constitution libanaise, en mai 1926, la vie politique dans le pays a été marquée par un bras de fer entre deux factions : le Bloc national présidé par Émile Eddé et le Destour conduit par Béchara el-Khoury. Cette ligne de fracture correspondait à un clivage entre deux courants de pensée, l’un libaniste et l’autre arabisant. Le premier percevait le Liban comme une patrie chrétienne élargie et considérait que le nationalisme arabe constituait un danger pour le Liban et son indépendance.

Le second courant de pensée, plus réaliste, estimait que la coopération islamo-chrétienne était non seulement possible, mais aussi nécessaire pour édifier un État stable. Ce courant soulignait par ailleurs que la lutte contre le mandat français et la revendication de l’indépendance constituaient un point de convergence entre chrétiens et musulmans.

La base du pacte national

Les tiraillements entre ces deux courants de pensée se sont poursuivis pendant une longue période, plus particulièrement après l’élection d’Émile Eddé à la présidence de la République et la conclusion d’un traité avec la France. C’est à cette époque que sont nés plusieurs partis politiques, dont le Parti populaire syrien, en 1932, les Kataëb, en 1936, et le parti Najjadé en 1937. Le débat sur le positionnement et l’identité du Liban a marqué cette phase de l’histoire jusqu’au moment où le Destour a proposé une issue politique qui a été élaborée par Kazem Solh et Takieddine Solh, percevant le Liban comme un État indépendant, ayant sa propre personnalité spécifique qui le distingue des autres pays arabes.

Cette vision définie par les deux Solh a constitué le fondement pratique de l’entente entre les différentes composantes du pays, plus particulièrement entre les chrétiens et les musulmans. Appuyée par le patriarcat maronite et le patriarche Arida, la vision ainsi définie par le Destour a constitué le pacte national qui sera par la suite explicité dans le discours du président Béchara el-Khoury et la déclaration ministérielle du premier gouvernement de l’indépendance présidé par Riad Solh, le 7 octobre 1943.

Le pacte national représente dans son essence un double engagement pris par les musulmans et les chrétiens. D’un côté, les chrétiens abandonnaient la protection étrangère, et d’un autre côté, les musulmans renonçaient à leur requête portant sur l’union avec la Syrie. Les deux composantes s’engageaient en outre à édifier un État indépendant et souverain, appelé à collaborer sur un pied d’égalité avec tous les pays, sur base de la préservation du visage arabe du Liban et de son ouverture sur le monde occidental. Cette approche a été présentée dans la déclaration ministérielle du premier gouvernement de l’indépendance qui soulignait explicitement : « Le Liban a un visage arabe et il puise tout ce qui est utile et bon de la civilisation occidentale. »

Un problème d’identité

Le pacte national a ainsi représenté l’expression vivante de la volonté des Libanais de vivre ensemble dans le cadre d’un État unitaire, souverain et indépendant. Mais ce pacte n’a pas réglé pour autant le problème de l’identité nationale et politique du Liban, dans la mesure où sa teneur est restée nébuleuse. Celle-ci a voulu en effet satisfaire les musulmans, mais ces derniers n’ont pas été totalement satisfaits car le problème de l’identité du Liban n’avait pas été tranché.

De manière concomitante, le pacte a essayé aussi de satisfaire les chrétiens, mais il a échoué à le faire car il n’a pas surmonté leurs craintes et leurs appréhensions concernant le risque que les musulmans réclament à nouveau l’union avec la Syrie, de même qu’il ne les a pas rassurés au sujet de l’ouverture du Liban sur l’Occident et la culture occidentale.

Ce problème resté en suspens a été évoqué par la fameuse phrase de Georges Naccache dans l’un de ses éditoriaux dans L’Orient : « Deux négations ne font pas une nation. » Ce différend autour de l’identité du Liban s’est poursuivi et s’est exacerbé en différentes périodes, plus particulièrement sous le mandat du président Camille Chamoun avec la doctrine Eisenhower et le pacte de Bagdad, parallèlement à l’union entre l’Égypte et la Syrie.

L’accord de Taëf

Le conflit autour de l’identité du Liban a débouché sur les événements de 1958 et il s’est aggravé encore plus avec le problème palestinien à la suite de la guerre de juin 1967. L’Organisation de libération de la Palestine s’était alors transformée dans le pays en une force politique et militaire et elle avait implanté au Liban-Sud des bases pour lancer ses opérations contre Israël. L’OLP s’était transformée dans ce cadre en un para-État au côté de l’État libanais, ce qui a débouché sur la guerre libanaise de 1975 qui n’a pris fin qu’avec la conférence de Taëf qui s’était tenue en Arabie saoudite en 1989.

C’est au cours de cette conférence de 1989, à laquelle a participé la quasi-totalité des députés libanais sous l’égide arabe et internationale, qu’a été approuvé l’accord de Taëf (le document d’entente nationale), dont le volet politique deviendra une partie de la Constitution, sur base de la loi constitutionnelle numéro 18 du 21 septembre 1990. Le document d’entente nationale a jeté les bases des solutions aux conflits historiques et aux différends politiques qui avaient ébranlé la scène libanaise depuis la proclamation du Grand Liban en septembre 1920 jusqu’au vote de la nouvelle Constitution en 1990.

L’accord de Taëf a notamment tranché de façon claire le conflit autour de l’identité du Liban. Le préambule de la Constitution stipule ainsi explicitement que « le Liban a une identité et une appartenance arabes ». Le document constitutionnel évite cependant de relancer les appréhensions et les craintes des chrétiens. La première clause souligne de fait que le Liban est une patrie définitive pour tous ses fils, et il ne saurait en aucun cas être rattaché à n’importe quel pays, quelle que soit la formule envisagée, de même que le Liban ne saurait être démembré ou partagé et l’implantation ne saurait lui être imposée.

En consacrant de la sorte l’identité et l’appartenance arabes du Liban, l’accord de Taëf – et donc la Constitution – souligne que cette identité arabe n’est nullement imposée ou étrangère au pays, mais elle reflète la réalité et l’histoire du Liban. Les chrétiens ont d’ailleurs été à l’avant-garde du nationalisme arabe, de même qu’ils ont été les porte-étendards de la Renaissance arabe et de la révolution culturelle arabe au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.

Dans cette perspective historique, l’accord de Taëf a défini les fondements du système politique capable de consolider le vivre-ensemble entre les Libanais. Ces fondements reposent sur des principes appelés à renforcer ce vivre-ensemble, à savoir la participation de toutes les communautés au pouvoir sur une base égalitaire entre chrétiens et musulmans, indépendamment du nombre et du poids démographique, la décentralisation administrative élargie et le développement équilibré, la liberté de culte et la sauvegarde des libertés publiques et individuelles, le droit à la différence, l’attachement au leitmotiv « le Liban d’abord », sans que cela signifie une distanciation du Liban vis-à-vis des causes arabes. Autant de principes qui devraient concrétiser la petite phrase symbolique du pape Jean-Paul II : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message. »

Khaled KABBANI

Ancien ministre

La célébration du centenaire de la proclamation de l’État du Grand Liban, le 1er septembre 1920, a fourni l’occasion d’opérer un retour sur l’histoire, plus spécifiquement sur les phases de l’histoire contemporaine du pays du Cèdre. Celle-ci est en effet riche en événements et développements majeurs qui fournissent autant de leçons à tirer et qui, surtout, sont étroitement...