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Centenaire Grand Liban : lecture politique - Édito

Un légitime débat

Un légitime débat

« Quand le passé n’éclaire plus l’avenir,

l’esprit marche dans les ténèbres. »

Alexis de Toqueville


Retour à la case « départ ». Ou presque… Le Grand Liban a soufflé ses cent bougies et entamé sa 101e année dans une atmosphère de crise identitaire profonde semblable à celle qui avait prévalu au lendemain de la cérémonie solennelle tenue sous l’égide du général Gouraud sur le grand perron de la Résidence des Pins, en septembre 1920.

La proclamation du Grand Liban il y a un peu plus d’un siècle par le représentant de la France avait été alors vivement rejetée par une partie non négligeable de la population, principalement musulmane, qui contestait la nouvelle entité libanaise et qui réclamait, sous l’impulsion d’un fort sentiment nationaliste arabe, d’être rattachée à la Syrie. Ce climat de fronde s’atténuera au fil des ans sous le mandat français sans pour autant s’estomper totalement.

Le pacte national conclu en 1943 par les deux pères fondateurs maronite et sunnite de l’indépendance, Béchara el-Khoury et Riad Solh, avait pour vocation de jeter les bases d’une solution durable à la crise identitaire qui rongeait l’édifice libanais. Il n’en a rien été. Cette même faction sociale qui s’était opposée en 1920 à la naissance du Grand Liban se montrera très sensible au chant des sirènes du courant nassérien en 1958, de l’Organisation de libération de la Palestine à la fin des années 60 et du régime syrien en différentes phases de la guerre libanaise.

Dans le contexte présent, c’est une faction chiite – le Hezbollah – qui a fait acte d’allégeance totale et inconditionnelle à la République islamique iranienne. Ces divers positionnements à caractère centrifuge étaient et sont en totale violation de l’engagement pris par les composantes nationales en 1943 de ne plus avoir les yeux rivés sur des puissances extérieures.

Est-ce à dire que le Grand Liban de 1920 n’est pas viable, qu’il a été un accident de l’histoire, qu’il a été le fruit d’une erreur de jugement ? Il faut reconnaître que le débat est ouvert, et il est difficile de l’occulter. Certaines contributions à ce Spécial abordent en filigrane la question et lancent des pistes de réflexion. Force est de relever à cet égard qu’en effectuant un survol rapide de l’histoire contemporaine du pays du Cèdre, il apparaît que certaines réalités sociétales, historiques, voire géographiques, ont contribué à forger une personnalité, une spécificité libanaise, et ont pavé la voie à l’émergence, à partir de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, sous l’Empire ottoman, d’une entité relativement autonome qui correspondait géographiquement, à peu de choses près, au Liban actuel.

Si l’on se transpose au contexte présent, on ne peut que constater que l’expérience inédite de la révolution du Cèdre, en 2005, pourrait apporter une esquisse de réponse, avec toutes les réserves d’usage, aux interrogations sur le bien-fondé de l’option du Grand Liban. Pour la première fois, en effet, nous avons assisté à la convergence d’élans populaires pluriels – chrétien, sunnite et druze, en plus d’une élite chiite – vers un projet politique transcommunautaire purement « libaniste » ayant pour slogan « Liban d’abord ». Il s’agit là d’un fait nouveau au plan populaire, l’entente de 1943 s’étant limitée à un accord entre leaders, sans impact réel au niveau de la base.

En dépit de ce précédent rassembleur et significatif du printemps 2005, qui a subi depuis (il faut le reconnaître) des revers non négligeables, de plus en plus de voix s’élèvent pour exprimer des doutes sur le choix qui a été fait en 1920, ou tout au moins pour réclamer un système politique largement décentralisé ou même de type fédéral.

Ce sentiment, qui fait tache d’huile, est stimulé à n’en point douter par l’exacerbation provoquée par la ligne de conduite du Hezbollah qui a fait acte d’allégeance absolue au guide suprême de la République islamique iranienne et qui, de ce fait, a pris tout le pays en otage pour soutenir de façon inconditionnelle la politique expansionniste des pasdaran dans le monde arabe.

Certes, ce n’est pas la première fois qu’un clivage profond apparaît sur la scène locale au sujet d’un positionnement régional. Ce fut le cas en 1958, en 1969 et dans les années 90. Mais il s’agissait là de divergences en rapport avec des politiques étrangères (nassérienne, palestinienne, syrienne…), alors que dans le cas du Hezbollah, la « prise d’otage » et la crise identitaire reposent sur des bases profondément idéologiques et religieuses inscrites dans la charte politique adoptée lors de la fondation du parti au milieu des années 80, et dont le fondement est précisément l’obéissance aveugle aux décisions stratégiques du guide suprême iranien. Cela fait du Hezbollah un acteur qui se meut non pas sur le terrain libanais (qui lui importe peu) mais sur le terrain délimité par l’interventionnisme iranien dans les pays arabes, avec comme conséquence le blocage de toute perspective de sortie de crise et d’édification d’un État digne de ce nom, ce qui explique les attitudes centrifuges auxquelles nous assistons.

L’élan populaire transcommunautaire de la révolution du Cèdre avait posé les jalons d’un véritable projet « libaniste ». Aujourd’hui, le Hezbollah assume la responsabilité historique de sauver la spécificité libanaise. Et, surtout, de ne pas commettre l’erreur non moins historique d’entraîner le pays sur une voie qui ne ressemble en rien au Liban-message.

Michel TOUMA

« Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres. »Alexis de ToquevilleRetour à la case « départ ». Ou presque… Le Grand Liban a soufflé ses cent bougies et entamé sa 101e année dans une atmosphère de crise identitaire profonde semblable à celle qui avait prévalu au lendemain de la cérémonie solennelle tenue sous l’égide...