Ils avaient prévu de se rassembler ce matin devant les palais de Justice de Beyrouth, Saïda, Tripoli, Jounieh et Zahlé pour marquer les six mois de la double explosion tragique au port de Beyrouth et dénoncer les arrestations arbitraires de protestataires lors des manifestations, ces derniers jours, à Tripoli, capitale du Nord. Mais l'assassinat de l'intellectuel libanais et opposant au Hezbollah, Lokman Slim, annoncé tôt le matin, s'est imposé à l'ordre du jour des mobilisations dans le cadre desquelles les manifestants ont crié leur colère et réclamé justice.
A Beyrouth, une quarantaine de manifestants étaient présents. Face à eux étaient déployés une trentaine de policiers de la brigade anti-émeute. "Nous étions venus pour réclamer justice dans l’affaire du port, mais malheureusement ce matin nous avons appris l’assassinat de Lokman Slim. Seuls les lâches tuent les gens biens. Si un jour justice est faite dans l’assassinat de (l'ancien Premier ministre) Rafic Hariri et dans l’affaire du port, il pourrait alors y avoir justice dans l’assassinat de Lokman Slim", dit Ebtissam Kehdi, la quarantaine, entourée de femmes tenant des drapeaux libanais bordés de noir.
L'explosion, le 4 août dernier, de plus de 2700 tonnes de nitrate d'ammonium, stockées depuis plusieurs années "sans mesure de précaution" de l'aveu même des autorités, a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés, et dévasté des quartiers entiers de la capitale. Depuis, malgré près d'une trentaine d'interpellations notamment parmi les responsables de la sécurité et du port, l'enquête n'a toujours rien donné de concret.
"L’assassinat de Lokman Slim est un signal dangereux. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase et je crains d’autres assassinats", confie le général à la retraite Georges Nader, venu soutenir les manifestants. Autour de lui, certains brandissaient des portraits de l'intellectuel et écrivain libanais.
Des tracts circulaient parmi les manifestants, sur lesquels l'on pouvait lire : "Nous sommes tous des victimes", "Vous êtes tous responsables" ou encore "Nous voulons notre droit". Les protestataires demandaient également la libération des militants détenus arbitrairement suite aux protestations qui ont viré aux violentes échauffourées la semaine dernière à Tripoli. Ils scandaient "Liberté liberté", répétant ce slogan après le nom de chaque militant détenu.
L'armée a annoncé dimanche avoir arrêté 17 personnes soupçonnées d'implication dans des "actes de vandalisme" au cours de la semaine écoulée à Tripoli, notamment l'incendie de la municipalité.
"Nous savons que vous mentez"
Des manifestants ont également tenu un sit-in devant le palais de Justice de Saïda (Liban-Sud) pour protester contre la campagne d'arrestations arbitraires menée par les forces de sécurité intérieure et l'armée libanaise, rapporte notre correspondant Mountasser Abdallah. Ils réclamaient aussi que les responsables des explosions du 4 août soient inculpés.
Le juge Fadi Sawan, en charge de l'enquête sur l'explosion, a déjà inculpé le Premier ministre sortant, Hassane Diab, et trois anciens ministres pour négligence. Mais l'enquête fait du surplace depuis plusieurs semaines, face aux ingérences de divers responsables politiques, au grand dam d'une large frange de la population qui réclame une enquête indépendante. Les anciens ministres et députés (Amal) Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, mis en accusation, ont ainsi déposé un recours contre le juge, ce qui a forcé la suspension temporaire de l'enquête en décembre dernier. Le procureur a été autorisé, mi-janvier, à reprendre ses investigations, mais rien n'a jusque-là filtré sur d'éventuels nouveaux interrogatoires qui auraient été menés.
Un groupe baptisé "Union des places de la révolution" a résumé dans un communiqué les revendications des manifestants à travers le pays. "Nous sommes ici parce que nous n’abandonnerons nos camarades en aucune circonstance et pour quelque raison que ce soit. N'emprisonnez pas ceux qui combattent l'injustice et ceux qui combattent la corruption, mais plutôt les oppresseurs et les corrompus. Nous n'avons pas vu un corrompu en prison depuis des décennies !", peut-on lire dans le texte. A propos des explosions du port, le groupe s'adresse aux politiques en ces termes : "Nous savons que vous mentez au sujet de l'enquête. Vous perdez du temps à cacher vos responsabilités".
Des proches de victimes du 4 août ont, plus tard dans la journée, tenu un sit-in devant l'entrée du port de Beyrouth. Ils ont brandi des photos des victimes et des pancartes sur lesquelles on pouvait lire des slogans appelant à ne pas politiser l'enquête. Au son des cloches des églises et des muezzins des mosquées environnantes, les personnes rassemblées ont marqué une minute de silence, avant que plusieurs d'entre elles prennent la parole pour réclamer que justice soit faite.
Par ailleurs, les familles des détenus dans le cadre de l'enquête ont adressé une lettre ouverte aux responsables politiques libanais et à l'opinion publique, appelant à "rendre justice aux martyrs, à lever le voile sur le sort des détenus dans l'affaire et à laisser l'enquête suivre son cours pour mener aux véritables auteurs du crime, en allant au-delà des accusations de responsabilité administrative". "En dépit des tragédies et des crimes qui ont frappé notre société ces dernières années, (...) aucun responsable de haut rang n'a été arrêté, des barrières et des lignes rouges ont toujours été érigées pour bloquer la justice", ont-elles dénoncé. "Lors de l'enquête sur l'explosion du port, les choses ont été différentes. La justice a frappé d'une main de fer. (...) Mais ce sont nos enfants qui n'avaient rien à voir dans cette affaire qui ont été arrêtés et les responsables directes laissés", ont affirmé ces familles.
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Bien sûr, les meurtriers de SLIM (qui d'autre que HIZBULLAH) blâmeront rapidement les agents israéliens pour cet assassinat. Tout vrai patriote libanais sait que le Hezbollah et ses maîtres iraniens feront taire toute dissidence par tous les moyens.
Tony BASSILA
22 h 39, le 04 février 2021