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Société - Drame du port

Pour que les victimes du 4 août ne deviennent pas les oubliées de l’histoire...

Douze journalistes ont travaillé sur un ouvrage et un site qui rassembleront les histoires des victimes de la double explosion du port.

Pour que les victimes du 4 août ne deviennent pas les oubliées de l’histoire...

Pendant des semaines après le drame du 4 août, les secouristes ont tenté de retrouver des survivants dans les décombres. Photo João Sousa

Parce que les victimes de la double explosion apocalyptique du 4 août ne sont pas qu’un chiffre dans un bilan. Parce que chacune d’entre elles a un nom, une famille, une histoire. Et parce que leur mémoire doit rester vivante. Un ultime hommage leur sera rendu à travers un ouvrage, Ramad hay (littéralement Cendres vivantes), et un site Web, beirut607.org (pour 18h07, heure à laquelle la double explosion a eu lieu), qui devront voir bientôt le jour. À l’origine de l’initiative, Ahmad Mroué, fondateur de l’Initiative pour une justice socio-économique (MAAN). Un mois après la double explosion, il soumet l’idée à Nathalie Murr, journaliste, qui n’hésite pas à embarquer dans ce projet et à rallier onze collègues de la presse écrite à cette cause. « À l’époque, l’attention était portée au sort des personnes qui travaillaient au port, aux pompiers de la Défense civile et à des habitants d’Achrafieh, se souvient Nathalie Murr. C’est avec les histoires de ces personnes que le projet a démarré, d’autant qu’il était facile de trouver le contact des familles. »

Mais plus le projet avançait, plus la tâche se compliquait, les journalistes ayant été confrontés au manque de données officielles. « Plusieurs listes existaient, mais elles étaient incomplètes ou truffées d’erreurs, déplore-t-elle. Tel était le cas notamment de la liste du ministère de la Santé. Celle du Haut Comité de secours était également incomplète. Le conseil municipal de Beyrouth avait sa propre liste. De plus, les réseaux sociaux relayaient des informations sur des personnes portées disparues. Nous les avons prises en considération et avons ainsi réussi à faire la lumière sur le sort de ressortissants philippins, bengalis, pakistanais et autres. Le travail effectué est entièrement le fruit d’un effort personnel déployé par chaque membre de l’équipe. » Et c’est un travail titanesque de mémoire qui a été mené. Nathalie Murr raconte ainsi que sur les listes officielles figuraient les noms de blessés inscrits comme étant décédés ou encore de faux noms. Tel est le cas de Fida’ Khoury « que nous n’arrivions pas à retrouver ». « Au terme de deux longs mois d’investigations, nous avons découvert qu’il s’agissait de Farida Khoury Ghosn. Nous avons été confrontés à plusieurs situations similaires. Dans certains cas, le nom de la victime n’était inscrit sur aucune liste. C’est principalement le cas de personnes ayant succombé à leurs blessures plusieurs jours ou semaines après l’explosion. De fait, selon le bilan officiel, 204 personnes sont décédées dans l’explosion du 4 août. Nous avons documenté à ce jour 213 victimes et nous continuons d’investiguer les cas de treize ressortissants syriens. Mais nous avons du mal à trouver leurs familles. »


L'évacuation chaotique des victimes dans les minutes qui ont suivi la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Photo Matthieu Karam


Une tragédie

Pour écrire les récits, les journalistes ont été auprès des familles. « L’expérience était difficile sur le plan psychique, confie Katia Chamoun, qui a travaillé sur le projet. Aucun mot ne peut consoler ces familles. Leur plaie reste béante. C’est de leur perte qu’elles ont parlé, d’un avenir inconnu et d’un présent incertain. C’est une tragédie sur tous les plans. Et le plus difficile reste le fait que ces familles sont convaincues que la justice n’aboutira à rien. » Katia raconte qu’elle devait choisir ses mots et veiller à ne pas déranger les familles. « Je remercie Dieu pour avoir réussi à le faire, dit-elle. D’ailleurs, je suis toujours en contact avec elles. »

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Dolly Bachaalany est l’une des habitantes d’Achrafieh dont la maison a subi des dégâts dans la double explosion. Elle affirme avoir immédiatement accepté de travailler sur le projet, d’autant qu’elle connaît plusieurs des victimes. « Leurs histoires m’ont beaucoup affectée, avance-t-elle. Je pensais à elles durant la nuit. Je me disais que beaucoup d’entre elles seraient encore en vie si elles avaient eu l’aide nécessaire. Comme cet homme qui a été blessé aux deux jambes et qui est décédé dans son lit parce qu’il n’a trouvé personne pour le transporter à l’hôpital, alors qu’il avait essayé en vain de se bander les jambes avec les draps. Ou encore le cas d’un homme qui a fait le tour de trois hôpitaux avant qu’un établissement sanitaire ne le reçoive. Mais c’était trop tard. Il avait une hémorragie cérébrale. » Dolly raconte que certaines familles ont refusé de parler, « et je les comprends ».

Pour Dia’ Mouzafar, « c’est l’une des plus belles expériences de mon parcours professionnel », bien que sa mission fût difficile « parce que j’ai dû recueillir des informations sur des ressortissants philippins, bengalis, éthiopiens… » explique-t-elle. « Certains consulats n’ont pas voulu m’aider, se souvient-elle. J’ai dû descendre et taper aux portes à la recherche de leurs amis pour pouvoir recueillir les informations nécessaires. Les histoires relayées sur les réseaux sociaux m’ont également été utiles. »

Une liste officielle parallèle

« Cet ouvrage ressemblera à un album pour documenter les histoires de ces victimes, insiste Nathalie Murr. En fin de compte, c’est grâce à notre travail que nous avons réussi à établir une liste officielle parallèle à celle du gouvernement sur les victimes du port, leur existence et les circonstances de leur décès. Elle pourra servir, plus tard, de référence pour indemniser les familles. »

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Elle s’attarde en outre sur le cas de quatre personnes inscrites sur la liste des victimes de la double explosion du port du ministère de la Santé, « mais qui seraient décédées avant le 4 août, selon le directeur de l’hôpital gouvernemental de Machghara, dans la Békaa-Ouest ». « Leurs dépouilles ont été transportées au lendemain de l’explosion de l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri, qui n’avait plus de place dans sa morgue à l’hôpital de Machghara, soutient-elle. Elles s’y trouvent toujours. Personne ne les a réclamées. Il s’agit d’Aram Sarkissian, Issam Hanni, Issam Khalaf et de Taha Tsouni. Au fait, il n’y a personne du nom de Taha Tsouni. Les recherches que nous avons menées nous ont permis d’identifier Hanna Tassana. Finalement, les noms de ces personnes ont été rayés de la liste du ministère de la Santé. »

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Cette initiative de MAAN est un vrai travail de mémoire sur la double explosion du 4 août. « Chaque histoire constitue une scène, assure Nathalie Murr. Elles sont toutes poignantes. » Elle explique que pour mener le projet à bout, les journalistes ont suivi une session de thérapie de traumatisme, et les outils nécessaires leur ont été fournis pour aborder le sujet avec les familles endeuillées. « Cette session a été d’une grande utilité, d’autant que certains journalistes qui habitent Achrafieh ont subi des dégâts dans leurs propres maisons, affirme Nathalie Murr. Sans oublier qu’ils ne pouvaient qu’être affectés par ces entretiens. Onze familles n’ont pas voulu témoigner. Nous avons décidé de garder dans l’ouvrage une page blanche avec le nom de leur proche. Lorsqu’elles seront prêtes, elles rempliront cette page avec les informations qu’elles désirent. »

Parce que les victimes de la double explosion apocalyptique du 4 août ne sont pas qu’un chiffre dans un bilan. Parce que chacune d’entre elles a un nom, une famille, une histoire. Et parce que leur mémoire doit rester vivante. Un ultime hommage leur sera rendu à travers un ouvrage, Ramad hay (littéralement Cendres vivantes), et un site Web, beirut607.org (pour 18h07, heure à laquelle la...

commentaires (2)

Bon courage !!!!

Eleni Caridopoulou

17 h 38, le 04 février 2021

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Commentaires (2)

  • Bon courage !!!!

    Eleni Caridopoulou

    17 h 38, le 04 février 2021

  • POUR QUE LES VICTIMES DU 4 AOUT NE DEVIENNENT PAS LES OUBLIEES DE L,HISTOIRE LA JUSTICE, SI JUSTICE IL Y A AU LIBAN, AURAIT DU COMMENCE PAR POURSUIVRE L,UTILISATEUR BIEN CONNU ET PROPRIETAIRE DE FACTO DU NITRATE EN LE NOMMANT OUVERTEMENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 28, le 04 février 2021

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